EDITORIAL

Par MELHEM KARAM

POUR QUE L'OCCASION NE NOUS ECHAPPE PAS!

J'ai visité Cana… Et on se doit de reparler de ce village-martyre… Et du 18 avril. Afin de ne pas pleurer sur les décombres à la manière de Mroh el-Kaïss? Plutôt pour ranimer les élans et parachever la marche. Car Cana est le point de départ… le début, non une station terminale de la marche.

Cana est le commencement et combien le commencement est honorable quand c'est un martyre.

J'ai visité Cana. Cana-la-tuerie que nous voulons voir consacrer l'unité. Dieu combien sommes-nous des bienheureux parfois, au point de ne point voir, ni entendre, ni penser ou nous souvenir, lire ou retenir!

Ces paroles appellent un point d'interrogation. Pourquoi? Parce que bien des occasions nous ont échappé, sans rien en apprendre. Des occasions qui, si nous en avions profité, Cana n'aurait pas eu lieu. Ou s'il s'était produit dans le monde de ceux qui profitent de leur Histoire, il aurait laissé une grande trace. Car à ce moment, il aurait édifié le temps évoluant avec l'éveil de ceux qu'il influence.

Revenons un peu à ce temps. L'indépendance nous a échappé… au point qu'il n'en reste rien… Par notre faute et non par celle des autres. Si nous avons eu à affronter des circonstances plus grandes que nous, c'est aussi par notre faute et non par la faute des autres. Car les crises sont supposées ne pas s'amplifier, pour que nous n'en soyons pas les victimes.

Les circonstances ont grandi parce que nous nous sommes montrés petits, surtout en l'absence de notre entente. Avons-nous eu une vision nationale constructive, sauf en certaines circonstances, cette vision s'étant estompée chaque fois avec elles?

L'indépendance nous a échappé. Et d'autres occasions, avant et après l'indépendance. Les propos d'aujourd'hui ne visent pas à nous ressouvenir, mais pour partir de l'action erronée ou de l'inaction, à l'action exacte. Nous avons devant nous deux étapes fondamentales: la paix et l'après-paix. Nul ne sait si nous nous sommes préparés pour ces deux étapes, de manière à les confronter avec tranquillité. Etant entendu que le chemin menant à chacune d'elles abonde en barrages et en chocs.

Israël sait ce qu'il veut, bien que maintes fois, il n'a pu atteindre ce qu'il vise. Nous limitons nos propos à court terme: au Liban, il n'a pas voulu l'unité nationale, parce qu'il ne veut pas l'unité d'une patrie. Mais il n'a pas atteint cet objectif. En frappant le Liban-Sud, il n'a pas voulu maintenir la résistance… Mais la résistance est restée. Il n'a pas voulu de la coordination libano-syrienne dans les négociations. Et la coordination libano-syrienne est restée. Il n'a pas voulu voir récupérer les villages sudistes. Et ces derniers ont été récupérés… ainsi que l'infrastructure… de même que la sécurité entachée d'angoisse, de peur et menacée par l'humeur israélienne.

Israël n'a pas voulu d'Etat palestinien. Et jusqu'aujourd'hui, les propos israéliens sur "l'Etat" palestinien sont doubles: les propos de Pérès, acceptant la création de l'Etat palestinien, en définitive, même dans la limite minima des concepts de "l'Etat". Et les propos de Netanyahu rejetant l'Etat palestinien, se contentant du régime d'autonomie pour les Palestiniens, à l'ombre de la sécurité israélienne qui se préoccupe davantage de la sécurité des colons, naturellement, que de celle des Palestiniens.

Malgré cela et au milieu de cette divergence… Israël sait ce qu'il veut. La sécurité de sa région-nord, aujourd'hui, quel qu'en soit le prix… Même aux dépens de la sécurité des autres, celle-ci étant mena-

cée du côté d'Israël, sous des prétextes et des arguments que l'univers tout entier connaît, auxquels il s'oppose en votant contre eux. Il tourne le dos au vote du monde… même lorsque le vote se déroule à l'assemblée générale des Nations Unies… Et même le jour où les soldats du secrétaire général établissent un rapport consignant les faits. Cana en est un exemple et les "grappes de la colère" est l'une des opérations.

Du Nord, aujourd'hui et demain… Quand demain? Jérusalem capitale unifiée d'Israël. Et une entité palestinienne appelée à attendre… Nul ne sait pourquoi et jusqu'à quand… Jusqu'à devenir ce qui a été promis aux Palestiniens, parce que la promesse Balfour a trouvé qui milite pour elle. Quant aux promesses obtenues par les Palestiniens, elles restent jusqu'à ce jour et à une échéance prévisible, au moins, des chèques sans provision.

Au Liban et en Palestine, Israël ne change pas. Qu'il soit gouverné par le Parti travailliste ou par le "Likoud". Dans l'un et l'autre cas, c'est une entité vivant de la supériorité du fort sur le faible… les faibles pouvant être, parfois, des grands de ce monde.

Qui a dit que l'Amérique a peur d'Israël? Elle a peur, dit-on? Oui, elle a peur d'un lobby juif en Amérique, capable de porter préjudice aux Américains… Non seulement à adopter les positions, comme on le sait.

Un lobby juif capable de causer du tort à l'Amérique, à perpétrer des agressions chez elle et contre elle. Cela est-il vrai?

Qui sait?

Et s'il était vrai, que resterait-il du nouvel ordre mondial du côté du monde libre?

Et les droits de l'homme?

Qui, après cela, est prêt à tolérer cette plaisanterie?

RdL du 18 au 25 mai 1996.