RECHERCHE SUR LE SOMMEIL AU ROYAUME-UNI

C’est à l’université de Loughborough, dans le Leicestershire, au centre de l’Angleterre, que se trouve le premier centre de recherche sur le sommeil du Royaume-Uni. Ses travaux jouissent d’une réputation internationale et couvrent des sujets très divers, depuis la question fondamentale de savoir à quoi sert le sommeil jusqu’à une recherche plus appliquée sur les accidents de la route qu’il provoque et l’effet du bruit des avions sur le sommeil des gens qui habitent à proximité d’un grand aéroport. Le centre entreprend aussi des recherches cliniques sur la schizophrénie, la dépression et les cas de fatigue diurne excessive, comme le syndrome de la fatigue chronique ou encéphalomyélite avec myalgie. Cela fait des années que le centre étudie les fonctions du sommeil, principalement par le biais des effets de la privation de sommeil. L’organe qui en souffre le plus et celui qui semble en avoir le plus besoin, est le cortex cérébral. Plus spécifiquement, c’est la zone frontale du cortex (lequel comprend plus de 30% du cerveau), la partie la plus active du cortex de veille, qui est la première à donner des signes de faiblesse durant une perte de sommeil. C’est à cette zone du cerveau qu’il revient de diriger et de soutenir l’attention, d’empêcher la distraction, de planifier beaucoup d’aspects du comportement (y compris la parole), de faire fonctionner la mémoire (à court terme) et rendre la pensée novatrice et souple. La privation de sommeil réduit l’aptitude à comprendre un changement rapide de situation, augmente les possibilités de distraction, rend la pensée plus rigide et moins flexible en obligeant à persévérer dans une même direction et diminue l’aptitude à produire des solutions imaginatives à des problèmes complexes. La privation de sommeil finit par appauvrir le vocabulaire, ce qui se traduit par des conversations guindées, des phrases plus courtes et l’emploi accru de clichés. La plupart des gens qui travaillent toute la nuit sans sommeil connaissent au moins quelques-uns de ces effets.

CORTEX FRONTAL

Chose intéressante: certaines formes de schizophrénie sont associées à un mauvais fonctionnement du cortex cérébral, et, coïncidence ou non, ces symptômes sont semblables à ceux de la privation de sommeil chez les gens normaux. Comme le souligne le centre de Loughborough, la privation de sommeil chez les gens normaux pourrait bien «être» un modèle pour la schizophrénie. Une grande dépense physique peut provoquer un sommeil très profond et une école de pensée y voit la preuve que le sommeil joue un rôle majeur dans la relaxation musculaire. Mais le centre a démontré grâce à une série d’expériences inédites que l’effet de sommeil n’était pas causé par l’exercice en soi, mais par la hausse de la température du cerveau (et du corps) qui l’accompagne. Il l’a prouvé en maintenant une personne faisant de la gymnastique dans une atmosphère fraîche, ce qui empêche l’effet de somnolence, mais on peut obtenir le même résultat en l’asseyant dans une baignoire remplie d’eau tiède. Ceci n’a rien à voir avec la récupération musculaire. La plupart d’entre nous pourrions facilement, si nous le voulions, dormir plus longtemps qu’à l’accoutumée. De nombreux chercheurs en ce domaine, surtout aux Etats-Unis, supposent que ce sommeil supplémentaire est nécessaire. Le centre réfute cette théorie et fournit des preuves expérimentales à l’appui de sa thèse indiquant que le sommeil supplémentaire est pratiquement superflu. Dans la mesure où nous pouvons manger plus que nécessaire, nous pouvons aussi dormir plus longtemps que nécessaire. En fait, trop dormir va à l’encontre du but recherché et engendre des sensations de grande fatigue et même d’épuisement. Ceci pourrait avoir un rapport avec le syndrome de la fatigue qu’est l’encéphalomyélite avec myalgie, les personnes qui en sont atteintes tendant aussi à dormir de façon excessive.

EXALTATION IMMEDIATE

Par contraste et pour des raisons qui ne sont pas encore évidentes, limiter le sommeil à environ quatre heures par nuit peut produire une exaltation immédiate qui peut être précieuse pour les personnes qui souffrent de dépression clinique. Bien que somnolentes, elles sont beaucoup plus heureuses, mais cet effet disparaît quand elles retrouvent un temps de sommeil normal. C’est là un autre domaine de recherche qui intéresse le centre de Loughborough. Il y a des différences marquées chez les gens en fonction du moment de la journée où leur horloge corporelle leur permet de se sentir le plus dispos; on pourra dire à l’extrême que les gens sont «du matin» ou «du soir» (ce que les Britanniques appellent «alouettes» et «hiboux»). Le centre a développé des méthodes pour mesurer ce phénomène. Il est intéressant de savoir que les «gens du soir» tolèrent mieux le travail par roulement et semblent mieux s’accommoder du décalage horaire. Un problème parallèle sur lequel il vaut de s’arrêter est celui du «creux» ou relâchement naturel de vivacité en début d’après-midi, ressenti par beaucoup de gens qui, de ce fait sont plus vulnérables aux effets de l’alcool et de l’ennui à ce moment-là. L’alcool est alors deux fois plus fort, par comparaison avec le début de la soirée quand l’horloge corporelle fait que l’on atteint alors son maximum de vivacité. Le centre s’intéresse, aussi, entre autres travaux, aux accidents de la route. A partir d’études conduites de concert avec de nombreuses polices du Royaume-Uni, il a récemment indiqué que la somnolence était responsable d’environ 15 à 20% des accidents graves sur des routes monotones, le plus souvent des autoroutes.

METHODES PRATIQUES

A l’aide d’un simulateur de voiture, le centre mène des études de laboratoire sur les conducteurs qui s’endorment au volant et évalue des méthodes pratiques pour leur permettre de surmonter leur envie de dormir. Ce travail comporte des aspects médicaux-légaux et spécialement dans quelle mesure les conducteurs qui s’endorment au volant réalisent qu’ils ont sommeil avant l’accident. Au titre d’une étude sur le bruit des avions, le centre a entrepris l’une des recherches les plus approfondies qui aient jamais été faites sur le sommeil. On a enregistré en continu le sommeil de quatre cents sujets sur un total de 6400 nuits, recueillant ainsi plus de 6,5 millions de données. On a synchronisé les mouvements nocturnes du corps, indicatifs de brefs périodes d’éveil, par rapport au bruit extérieur, spécialement celui des avions. Par comparaison avec les partenaires et les petits enfants, tous deux reconnus causes majeures des troubles du sommeil chez les adultes, le bruit des avions a relativement peu d’effet. Une petite minorité de personnes a paru plus sensible au bruit et elle va constituer un autre domaine de recherche pour les travaux du centre.

Professeur JIM HORNE Loughborough University