LEGILATIVES 96
LES PERDANTS AU MONT-LIBAN DENONCENT LE CLIMAT ANTI-DEMOCRATIQUE DU SCRUTIN DU 18 AOUT…
M. Fouad el-Saad. |
M. Samir Aoun. |
La première phase des législatives ayant eu lieu le 18 août au Mont-Liban, a débouché sur le succès des “listes officielles”, de rares percées s’étant produites par les candidats de l’opposition. Selon les observateurs, les autres phases du scrutin - dimanche dernier au Liban-Nord; le 1er septembre à Beyrouth et, ultérieurement, dans la Békaa et au Liban-Sud, respectivement les 8 et 15 de ce mois, donneraient les mêmes résultats. Autrement dit, les candidats bénéficiant de l’appui du Pouvoir accèderaient à la Chambre et de ce fait, la prochaine législature risque d’être monochrome. D’ores et déjà, l’échange d’accusations entre les candidats perdants et les représentants de l'Autorité, en particulier le ministre de l’Intérieur, paraît appelé à se poursuivre, beaucoup de ces derniers ayant l’intention de demander au Conseil constitutionnel d’invalider la consultation populaire dans la montagne.
RESERVE D’EL-SAAD
Candidat malheureux de la liste de M. Talal Arslan - celui-ci ayant été le seul candidat de sa liste à être élu - M. Fouad el-Saad, député sortant, se montre circonspect, se réservant le droit “de dire son mot à propos de l’intégrité et de la régularité du scrutin, au moment opportun.” Apposera-t-il sa signature sur un nouveau recours en invalidation de la nouvelle loi électorale? “Je ne veux pas qu’on dise que j’ai signé, cette fois, la requête mise au point par mon collègue Habib Sadek, parce que j’ai échoué aux élections… Mais s’il avait besoin de ma signature pour obtenir le nombre requis, je serais prêt à signer”.
M. Aref Awar.
AOUN MENACE DE DIVULGUER DES SCANDALES
M. Samir Aoun, député du Chouf, ayant été élu en tant que colistier de M. Walid Joumblatt en 1992, a engagé cette fois la bataille électorale sur la liste rivale à celle du ministre des Déplacés, sans doute pour avoir fait de l’opposition à outrance. “Lorsque j’ai rendu visite avant le scrutin à S.Em. le cardinal Sfeir, dit-il, j’ai déclaré que les législatives seront une catastrophe, parce que j’ai touché du doigt ce qui se passait sur le terrain… Quand un chat s’empare d’un morceau de fromage, il ne laisse aucun autre félin s’en emparer et; le garde pour lui… Ainsi, le chef et les membres du gouvernement connaissant leur popularité, ont tenu à superviser eux-mêmes le processus électoral, après avoir élaboré une loi à leur mesure et à celle de leurs alliés et amis”.
- Avez-vous obtenu le relevé détaillé des suffrages exprimés du ministère de l’Intérieur?
“Pas du tout. En dépit de mes démarches, on refuse de répondre à ma demande. Cependant, je sais que les résultats du vote sur le littoral du Chouf, de Damour à Ramaïlé ont été en faveur de la liste dont je faisais partie, dans une proportion de 55 pour cent. “Ils refusent (à l’Intérieur) de nous remettre les résultats détaillés pour éviter le scandale… Dans un bureau, le nombre des votants a été supérieur à celui des personnes inscrites sur les listes d’électeurs”.
A la question: - Pourquoi M. Joumblatt n’a pas voulu coopérer avec vous cette fois comme en 1992? M. Aoun répond: “Parce qu’il a touché mon prix du président Hariri. Ce dernier a voulu m’écarter, pour que je ne dénonce pas les scandales portant sur des questions nationales et sur des adjudications de travaux effectuées de gré à gré. Ceci le gênait en permanence. Est-il besoin de préciser que M. Hariri est revenu à ce pays pour le transformer en un chantier à son profit?”
- Peut-on s’attendre à un regroupement de l’opposition?
“J’ai toujours été un opposant acharné et le resterai. Je coopèrerai avec l'opposition de l’extérieur à l’avenir, d’autant que je me retrouve avec elle sur la même plateforme politique”.
Me Ernest Karam.
ACTION EXTRA-PARLEMENTAIRE
- Quelle sera la nature de votre action politique en dehors du parlement?
“Je suis en permanence aux côtés du peuple et de ma patrie. Nous coordonnerons avec la Syrie voisine dans le cadre de l’indépendance et de la souveraineté, sur base du respect et de la confiance mutuels”.
- Qu’auriez-vous à dire à propos de la participation des nouveaux naturalisés aux législatives?
“Je n’ai cessé de protester contre leur naturalisation et, partant, contre leur participation au scrutin. J’avais adressé une question écrite à ce sujet au ministre de l’Intérieur; elle est restée sans réponse et le président de la Chambre n’a pas consacré une séance plénière aux questions et interpellations”. Et d’enchaîner: “Je donne raison à l’opposition de l’extérieur qui a prévu les conditions conformément aux-quelles les élections générales auront lieu, celles-ci ayant consacré le fait accompli, l’Etat ayant leurré son peuple”. M. Aoun fait état, enfin, des irrégularités ayant entaché le scrutin au Mont-Liban.
AWAR PREND A PARTIE MURR, JOUMBLATT ET HOBEIKA
Quant à M. Aref Awar, candidat pour le siège druze à Baabda, colistier, du Dr Pierre Daccache et de M. Ali Ammar (Hezbollah), il s’en prend aux ministres Michel Murr, Walid Joumblatt et Elias Hobeika, les accusant d’avoir falsifié le scrutin pour favoriser les listes officielles. “Ces ministres devraient être jetés en prison, dit-il, et être poursuivis pour les méfaits que leurs mains ont commis… Le président de la République devrait résigner ses charges officielles, car les législatives de 96 au Mont-Liban n’ont jamais été autant manipulées et falsifiées. “Ainsi, les électeurs parmi les personnes déplacées n’ont pu accomplir leur devoir parce que le bureau où ils devaient voter s’est perdu entre Hadeth et Kfarsélouane. “Les hommes de Walid Joumblatt, membres du Parti socialiste progressiste, ont contrôlé les bureaux de vote dans la région à prédominance druze, aidés par les fonctionnaires et les FSI. A l’extérieur, l'armée avait pour mission de maintenir l’ordre; elle n’avait pas à intervenir dans les bureaux. “A Btekhnay où existe une seule famille, celle d’Aboul-Hosn, proche de Joumblatt, 315 électeurs pro-PPS se sont servis d’extraits de l’Etat civil falsifiés et autant dans le bureau réservé aux femmes. “Le bureau de vote de Btekhnay s’est volatilisé à l’entrée de Hammana, au moment où on le transportait à Baabda. Lors du dépouillement des voix, on a enregistré 501 votants, alors que le nombre des électeurs enregistrés était de deux cents environ. Comment cela est-il possible, alors que la majorité des habitants de cette localité se trouvent à l’étranger?
Dr Paul Gemayel.
DES MINISTRES “MILLIONNAIRES”
“Ceci peut se passer là où les “socialistes” sévissent sur une large échelle… Qu’ils nous disent donc ce qu’est le socialisme? Le chef du parti socialiste, Walid Joumblatt est devenu l’homme le plus riche au Liban après Hariri. Il possède plus de 1500 millions de dollars. Feu son père, Kamal bey me disait souvent: “Je suis pauvre”. “Puis, j’aimerais savoir où le ministre Hobeika a amassé sa fortune, lui qui a payé des milliers de dollars le jour des élections. De plus, la plupart des fonctionnaires affectés aux bureaux de vote à Baabda font partie du personnel du ministère des Affaires hydrauliques et électriques dont le même Hobeika détient le portefeuille. Je saisirai le Conseil constitutionnel d’une requête pour tirer au clair tous ces faits louches et compromettants”.
- Comment expliquez-vous le fait pour le Dr Daccache d’avoir percé la liste rivale?
“Ceci entre dans le jeu, pour faire croire aux gens que les élections étaient saines, exactement comme ce fut le cas de MM. Nassib Lahoud au Metn et de l’émir Talal Arslan à Aley”.
- Croyez-vous que les résultats étaient connus à l’avance?
“Sans nul doute. Est-il permis que le ministre de l’Intérieur supposé superviser le scrutin, pose sa candidature aux élections? D’habitude, un Cabinet neutre était chargé d’organiser les législatives. Vivons-nous en France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis pour nous permettre de confier à un gouvernement dont tous les membres sont candidats, le soin de superviser le scrutin?”
MURR, LES NATURALISES ET LES ARMENIENS
- Comment Michel Murr a-t-il pu obtenir tant de voix au Metn-Nord?
“Il a fait voter les nouveaux naturalisés, auxquels sont venus s’ajouter les Arméniens, soit près de 8.000 électeurs. L’argent a fait le reste… Quoi qu’on dise, cet homme est peu digne de respect et doit être poursuivi en justice… “Puis, est-il logique que l’émir Talal (Arslan) obtienne 18.000 voix à Aley et le fils Chéhayeb (Akram) plus de 28.000?” M. Awar répond par l’affirmative en réponse à une question qui lui a été posée sur le point de savoir s’il adressera un recours en invalidation du scrutin au Metn, au Conseil constitutionnel.
ERNEST KARAM CRITIQUE LE VOTE DES “NATURALISES”
Me Ernest Karam, président de la Ligue maronite, est le premier perdant de l'un des trois sièges maronites dans la circonscription de Baabda. Il a obtenu 17.382 voix, soit moins de cinq mille voix que le Dr Pierre Daccache, celui-ci ayant percé la “liste officielle” dont le chef de file était M. Elias Hobeika, ministre. Invité à juger des conditions conformément auxquelles s’est déroulé le scrutin, il émet ces réflexions: “Dans chaque élection, des irrégularités se produisent; celle du Mont-Liban n’a pas dérogé à la règle”.
- Regrettez-vous d’avoir quitté les rangs de l'opposition?
“Je n’ai à aucun moment rallié l’opposition, ni adhéré à un parti durant toute ma vie politique qui a commencé dans les années 60. J’ai toujours engagé mes batailles électorales à titre individuel, faisant parfois partie d’une liste déterminée en ma qualité personnelle”.
- Pourquoi n'avez-vous pas coopéré avec le Dr Daccache?
“Le jour où le Dr Pierre Daccache envisageait de mettre sur pied une liste de coalition avec M. Hobeika, je préparais une liste en compagnie des Awar et des chiites. “Cependant, je me suis heurté à un fait chiite déterminé, ma base ayant émis un avis défavorable quant à ma coopération avec cette fraction. “Par la suite, quand Daccache et Hobeika ont renoncé à se coaliser, le premier a formé sa liste et j’ai été contraint de rallier la liste rivale”.
- Comment justifiez-vous votre échec seul de la liste?
“J'ai donné à mes colistiers toutes les voix et j’ai obtenu le soutien d’une large fraction de l’électorat chrétien. Mais nos frères chiites ont accordé leurs suffrages au Dr Daccache par le biais du “Hezbollah” et c’est ainsi qu'il m’a devancé”.
- Etes-vous d’avis que les élections sont préparées à l’avance?
“Toutes les éventualités sont possibles. Cependant, je ne peux porter un jugement sur ce point précis, car il n’y a rien de palpable. J’ai posé ma candidature sur base des principes et des constantes pour lesquels je milite. Tel était mon discours politique dans les régions à prédominance tant chrétienne que chiite”. Me Karam qui avait gelé toute activité en tant que président de la Ligue maronite durant la période électorale, l’a reprise maintenant et continuera à assumer ses responsabilités jusqu’en juin 97, date à laquelle des élections auront lieu pour le renouvellement du Conseil de la Ligue”.
- Le scrutin au Mont-Liban était-il intègre et démocratique?
“J’attends de connaître les résultats définitifs du ministère de l’Intérieur pour pouvoir porter un jugement en connaissance de cause”.
- Qu’auriez-vous à dire de la participation des nouveaux naturalisés aux législatives, la plupart d’entre eux ayant accordé leurs suffrages aux “listes officielles” dont vous faisiez partie?
“J'ai été privé de leurs voix, parce que je me suis opposé à leur naturalisation et j’ai présenté une plainte que je poursuis auprès du Conseil d’Etat. J’ai bien précisé que je m’opposais à ce que la nationalité libanaise fût accordée à ceux qui ne la méritaient pas, d'autant que l’équilibre démographique n’a pas été respecté. Lorsque cet équilibre est rompu, le pays pâtit de la déstabilisation et de l’instabilité. Je ne cesse d’œuvrer en faveur de l’unité des rangs chrétiens, prélude aux retrouvailles nationales”. Enfin, en réponse aux prises de position du cardinal Sfeir, Me Karam reconnaît que “l’éminent prélat a toujours raison, car il porte un jugement sur tous les problèmes nationaux à partir d’une vue objective et saine des choses”.
Me Nagi Boustany.
Dr PAUL GEMAYEL POUR L’INVALIDATION DES ELECTIONS
Le Dr Paul Gemayel, ancien chef du régional Kataëb du Metn-Nord, candidat à l’un des sièges maronites dans cette circonscription, a passé outre à la décision du bureau politique du parti qui a posé la candidature de Me Mounir Hajj, vice-président. Bien que s’étant présenté à titre individuel, il a obtenu 10.958 voix, ce qui constitue un record. “J’aurais souhaité que les élections aient lieu dans un climat libre et démocratique, avec moins de pressions, car ce qui s’est passé dans certains bureaux de vote n’est pas édifiant. En fait, je ne suis nullement satisfait de ce climat et souhaite l’invalidation de l’opération électorale. Je déposerai un recours auprès de l’instance qualifiée, car les élections n’ont été ni libres, ni intègres”.
- Regrettez-vous d’y avoir pris part?
“Pas du tout. J’y ai participé en toute conviction, partant de l’idée que la députation est une position avancée pour l’action politique au Liban. Le fait pour moi d'avoir obtenu 10.958 voix m’incite à poursuivre mon action. Contrairement à ce qu’on imagine, on ne peut me considérer comme un dissident des Kataëb, même si des divergences m’opposent à la direction du parti et je souhaite que le score que j’ai enregistré soit le mobile au regroupement des rangs du parti et des chrétiens. A cette occasion, je remercie ceux qui m’ont soutenu: on compte parmi eux des membres du parti, des opposants et des loyalistes”.
- Maintenez-vous le contact avec l’ex-président Amine Gemayel?
“Le contact est maintenu d’une manière indirecte. En fait, il a opté pour le boycottage et n’a pas appuyé ma candidature”.
- Pourquoi n’avez-vous pas coopéré avec le Dr Moukheiber et M. Nassib Lahoud?
“Il y a eu des pourparlers entre nous, mais ils n’ont pas abouti pour maintes raisons. A vrai dire, les dissensions au sein des Kataëb ont rendu le Dr Moukheiber et M. Lahoud perplexes, ne sachant quelle décision prendre”.
- Jugez-vous le boycottage du scrutin valable?
“Je ne le pense pas et sans le boycottage, les résultats auraient été différents au Mont-Liban et ailleurs”.
N. BOUSTANY: LE CAZA N’A PAS RENDU JUSTICE AUX CHRETIENS
Ayant présidé la “Liste de la dignité et de la décision” au Chouf, liste rivale à celle de M. Walid Joumblatt, Me Nagi Boustany a perdu avec une différence de 12.000 voix par rapport à celles obtenues par son rival, Wadih Akl, le troisième maronite de la liste joumblattiste. D'ores et déjà, il prépare un recours en invalidation du scrutin, sur base de faits et de chiffres relevés durant le déroulement de l’opération électorale. Il fait état du faible pourcentage (5 pour cent) de voix obtenues par sa liste dans certains milieux acquis à cette dernière dans une proportion de 30 à 40 pour cent. “De plus, les représentants de notre liste ont été empêchés d'accéder à beaucoup de bureaux de vote. “Puis, les listes d’électeurs étaient tronquées ou incomplètes; aussi, avons-nous entrepris des démarches auprès du caïmacamat de Beiteddine pour les rectifier, d’autant que plusieurs pages manquaient à l’une d’elles. “Des noms en grand nombre étaient mal transcrits et il nous a été impossible de les corriger, le responsable du service de l'Etat civil à Beiteddine s’étant absenté durant toute la matinée, le jour des élections. “Plus de 4.000 extraits d’Etat civil ont été bloqués pendant des heures entre les services qualifiés de Barja, Chéhim et Beiteddine, jusqu’à la clôture des bureaux de vote, ce qui a empêché ces électeurs de se rendre aux urnes”. Me Boustany indique qu’il n’a été possible d’obtenir des copies des listes d’électeurs que trois jours avant la date du scrutin, en dépit de toutes les démarches effectuées auprès du ministère de l’Intérieur. Aussi, s'emploie-t-il à préparer un recours en invalidation, en coopération avec ses colistiers.
- Avez-vous regretté de vous être engagé dans une bataille électorale, en sachant qu’elle était perdue d’avance?
“Pas du tout. J'estime les résultats obtenus comme étant satisfaisants. D’autant que le prétexte invoqué pour opter pour le caza au Mont-Liban, s’est avéré inexact, en ce sens que ce dernier n’a pas assuré la représentativité des élus, la fraction druze ayant prédominé toutes les autres au Chouf. Ajoutez à cela, que les régions druzes étaient inaccessibles à tous les candidats”.
(Propos recueillis par HODA CHEDID)