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Grande découverte spéléologique dans le Metn
UN ABIME ET UNE RIVIERE SOUTERRAINE A 417 M. DE PROFONDEUR
Pour les spéléologues de l’Association Libanaise d’Etudes Spéléologiques (ALES) la découverte est de taille. A 417 mètres de profondeur une rivière souterraine gronde de rage dans la région du Metn, dans le village de Majdel Tarchich au fond d’un grand gouffre, découvert tout récemment. Portant le nom de “Houet Qattine Azar”, le gouffre est d’un accès difficile, découvert il y a trois mois par deux villageois ayant décidé d’explorer le plafond obscure d’une grotte connue pour héberger les troupeaux de chèvres de la région. Quelle ne fut leur surprise quand ils s’aperçoivent que le plafond camoufle l’entrée d’un puits bien profond nécessitant équipe chevronnée et matériel sophistiqué pour pouvoir y descendre. L’ALES qui providera spéléologues aguerris et matériel adéquat partira à la découverte d’une succession de puits séparés par de courtes galeries. Le dernier puits, avec ses 182 mètres de profondeur est à lui seul un nouveau record pour le Moyen-Orient. Et au fond, à moins 417 mètres, des galeries horizontales débouchent sur une rivière souterraine débitant (selon l’estimation approximative des explorateurs) une centaine le litres/seconde. L’exploration s’étant arrêtée là, au moment de la parution de cet article, de nombreuses questions demeurent sans réponses... Intéressante affaire à suivre!
Faisant partie de l’équipe de pointe, Fadi Beayno semble joyeux de partir à la conquête de parties inexplorées de la terre. |
Descente dans un puits en chute verticale vers l’inconnu obscur. |
Depuis près de trois mois l’excitation est à son comble au sein de l’Association Libanaise d’Etudes Spéléologiques. Au point de faire monter la fièvre de la découverte chez les membres du club à son plus haut degré. La soif de l’exploration les poussera très loin dans le fond, à moins 417 mètres pour s’étancher auprès d’une rivière souterraine et cela au bout d’une cinquième journée d’expédition.
Face à face entre Georges Assil et son coéquipier, juste avant d’entreprendre la descente d’un énorme puits. |
Suspendu au bout d’une corde dans ce qui ressemble à un estomac. Ce n’est que le ventre de la terre! |
LA DECOUVERTE DU GOUFFRE
L’histoire du gouffre de “Qattine Azar” se présente par flashes consécutifs, comme les événements d’une série télévisée à succès. La découverte date de la mi-juin: jour où trois membres de l'ALES (Hani Abdul-Nour, doyen de l’Institut des Beaux-Arts de l’Université Libanaise, son épouse Nayla et Juliana Tohmé) passaient la région de Aintouret el Metn au peigne fin, le temps d’une promenade dominicale, à la recherche de grottes, gouffres et vestiges romains dont regorge apparemment la région. La chaleur étant très forte, Hani Abdul-Nour décide de remonter jusqu’à sa voiture faire une petite sieste à l’ombre bienfaisante d’un arbre, tout en attendant que ses compagnes finissent leur exploration. Soudain une jeep s’arrête à la hauteur de notre dormeur-rêveur solitaire et interrompt ses rêveries. Son conducteur, c’est Tony Boutros Azar de Aintouret el-Metn qui révèle une nouvelle d’importance au conseiller de l’ALES. Il lui raconte avoir découvert avec son frère Nohra un gouffre très profond dans une grotte située dans une falaise, visible depuis la route. Une grotte soit-disant considérée comme peu intéressante par Nayla Abdul-Nour qui en revenait justement. Mais Tony Azar tient d’autres propos qui rendent perplexes nos spéléologues, tout en faisant naître en eux un soupçon d’espoir et d’exaltation latente. L’entrée du gouffre est nichée dans le plafond de la grotte, à 8 m de hauteur. Ayant escaladé la paroi rocheuse, avec son frère, Tony explique avoir suivi en rampant un étroit boyau d’une trentaine de mètres jusqu’à arriver au sommet d’un puits sombre, avec courant d’air froid. Un autre détail achève de convaincre le trio de l’ALES: une pierre jetée dans le puits met très longtemps à atteindre le fond. Ce qui signifie que le puits descend en chute verticale très profondément, vers un abîme inconnu.
Mayssa Zoghbi observe avec fascination les étranges concrétions de la caverne. |
Riad Abdou fait le tour d’une grande salle souterraine avant d’aller explorer la galerie qui apparaît dans le fond. |
UNE EXPLORATION EN CINQ TEMPS
Ces détails seront vérifiés une semaine plus tard, plus précisément le 23 juin. Partie en exploration, une équipe de trois membres de l’ALES (Fadi Beayno, Badr Jabbour-Gédéon et Riad Abdou) fait une première reconnaissance. Restés en contact avec l’extérieur - où s’est installée une équipe de surface et de soutien - par un câble téléphonique, les explorateurs envoient coup sur coup des compte-rendus de leur découverte. Un boyau se trouvant dans le plafond de la grotte d’accès est long (36 mètres) étroit et très tortueux, jonché de pierres et de gros cailloux. Il faudra ramper pour arriver au sommet du premier puits. Ce qui constitue un grand problème pour le transport du matériel et la sortie des membres de l'expédition épuisés par 12 heures d’exploration dans des conditions difficiles. Les compte-rendus tiennent régulièrement l’équipe de surface au courant de ce qui se passe à l’intérieur: le trio descend un puits de 60m de profondeur, parcourt au fond une courte galerie pour arriver à un deuxième puits d’une quinzaine de mètres. Les spéléologues décident alors d’arrêter là leur exploration de ce jour par manque de matériel. Qui aurait cru que le gouffre pouvait être aussi profond?
L’équipe de pointe formée par Fadi Beayno (debout) et Fadi Mehanna pose pour une photo-souvenir. |
Heureux mais épuisé par un parcours de plus de 10h, Fadi Beayno prend un curieux petit somme accroché à ses suspendeurs et par son bloqueur. |
DEUXIEME EXPEDITION: 120 M DE PROFONDEUR
Six jours plus tard, une deuxième expédition est mise sur pied. Cette fois, six spéléologues, armés jusqu’aux dents (matériel, cordes, spits, descendeurs, jumars, bloqueurs etc...) travaillent par équipes de deux. Pour Fadi Beayno, Badr J.- Gédéon, Riad Abdou, Georges Assil et Fadi Dagher la descente jusqu’à une profondeur de 120 mètres est une occasion pour bien se roder aux nouvelles techniques d’exploration des grands gouffres dans des conditions réelles. Aucune erreur n’est permise car il serait très difficile d’évacuer un blessé, surtout lors du passage du boyau d’entrée trop étroit et tortueux. Remontés à la surface, les spéléologues n’ont de cesse de redescendre. Mais ce n’est que trois semaines plus tard que l’attaque du gouffre repend. Car, entretemps, les membres de l’ALES devaient entreprendre d’autres explorations, notamment dans les grottes de Ain el-Libné et Moutrane, dont on enregistre la découverte de nouvelles galeries. Retour à “Houet Qattine Azar”, une équipe de pointe formée par Fadi Beayno et Pierre Abi Saad descend à - 235 mètres. Un énorme puits s’étend au-dessous d’eux, dont ils estiment la profondeur à 150m. Le rapport des spéléologues devient de plus en plus exaltant. Ce n’est pas seulement une question de descendre toujours et beaucoup plus profondément, car à l’intérieur de la terre, le gouffre est spectaculaire. On pourrait rester bouche bée d’admiration des heures entières devant la beauté des concrétions rocheuses: stalactites et stalagmites multicolores, perles de cavernes de formes sensationnelles, cascades impressionnantes, et enfin cet attrait de l’inconnu plongé dans l’obscurité.
A l'entrée de la grotte de Qattine Azar, l’équipe de surface a installé son campement. |
Kamal el-Hélou s’apprête à explorer le grand gouffre. |
L’ALES ORGANISE SES EXPEDITIONS
L’expédition du 3 août est destinée à effectuer la topographie des parties déjà explorées, de faire des photos et de réaménager les équipements de certaines zones difficiles. Il faut préciser que pour gagner du temps et préserver les forces de chacun, le matériel reste suspendu aux parois rocheuses du gouffre, d’une semaine à l’autre. Une expédition de travail formée de sept spéléologues, Fadi Beayno, Fadi Mehanna, Fadi Dagher, Kamal el-Hélou, Badr Jabbour - Gédéon, Georges Assil et Mayssa Zoghbi. Cette dernière a de qui tenir: son père Farid Zoghbi était un des premiers spéléologues libanais ayant participé avec le Spéléo-Club du Liban à l’exploration de Jiita dans les années 50 et à celles du gouffre de Faouar Dara, le plus profond du Liban avec 620 m de profondeur. Le grand puits terminal qui mesure en fait 182 mètres de profondeur est un nouveau record pour le Liban et le Moyen-Orient. C’est le premier puits de Houet el Badawiyé, gouffre situé entre Faraya et Afqa qui détenait le dernier record de la plus grande verticale pure (164 m).
Etre spéléologue ce n’est pas uniquement une partie de plaisir car il faut transporter tout un matériel à l’aller comme au retour. C’est le travail de l’équipe de surface, dont fait partie Jean-Pierre Zahar. |
Un rideau de stalagmites et de stalagtites, tout en couleurs, entoure notre jeune spéléologue, Mayssa Zoghbi. |
UN COURS D’EAU A - 417M: UN REVE DEVENU REALITE
La dernière exploration en date du gouffre s’est faite le 24 août. Préparée minutieusement comme “une offensive à main armée”, l’expédition s’est faite en trois temps. Trois équipes se succèderont dans les profondeurs obscures de la terre. D’abord, l’équipe de pointe avec Fadi Beayno, Fadi Mehanna et Pierre Abi Saad qui s’attaqueront au grand puits de 182 mètres. Badr Jabboour - Gédéon, Mayssa Zoghbi et Riad Abdou auront en charge la topographie et la prise des photos jusqu’à une profondeur de 220m. Une troisième équipe formée de Georges Assil, Sleimane Chaaya et Rany Sfeir installera un cable téléphonique pour établir un contact permanent avec l’équipe de surface. Laquelle équipe a installé son campement à l’entrée de la grotte d’accès: tentes, matelas-mousse, camping-gaz et bonne bouffe sont à l’ordre du jour de Hani Abdul-Nour qui a pris en charge la direction de l’équipe de surface. Le contact téléphonique entre le fond et la surface maintient un climat de sûreté, ô combien bienfaisant! dans les cas d'expédition de longue durée, ici près de 15h d’affilée. Bientôt la nouvelle se propage. L’équipe de pointre arrive au fond du puits de 182 mètres qui débouche sur une salle sablonneuse donnant accès à une longue galerie tortueuse de quelques centaines de mètres. Soudain, parvient l’écho lointain d’un grondement de cours d’eau. Pour les spéléologues, c’est la récompense de tant d’efforts, la concrétisation d’un rêve fou. Une rivière souterraine, impressionnante et majestueuse coule sous leurs pieds et devant leurs yeux émerveillés, dans une galerie de 4 à 5m de large, avec un débit estimé à 100 l/s. Très vite deux possibilités s’ouvrent devant nos explorateurs: aller soit en aval ou en amont. La première se révèle impossible cette fois-ci, car ils sont arrêtés par des bassins très profonds où une tenue néoprène (qu’ils n’ont pas prévue) devient nécessaire. En amont, après un parcours de plusieurs centaines de mètres, les spéléologues doivent arrêter là leur exploration par manque de temps et d’éclairage. Une décision qui leur coûte beaucoup, car l’appel de l’inconnu est très fort chez ces “Christophe Colomb” de l’an 2000. Mais ce n'est que partie remise. La prochaine expédition apportera-t-elle des réponses à des questions qui ne cessent de hanter leur esprit. Jusqu’où va la rivière souterraine? D’où prend-elle sa source? Autre spéculation d’importance majeure: la rivière souterraine de Houet Qattine Azar peut très bien déboucher sur une autre rivière, celle du gouffre de Faouar Dara (à quelques kilomètres de là) et qui fut découverte par le Spéléo-Club du Liban dans les années 60. Enfin, y-a-t-il certaine relation avec la source de Faouar Antélias sur la côte? Seule une étude approfondie de cette eau, le dira. Les semaines à venir éclaireront notre lanterne sur ces spéculations d’ordre capital pour la région du Metn qui manque de richesse aquatique. Quelle découverte inconnue attend encore les spéléologues de l'ALES au-delà de la rivière de Houet Qattine Azar? Attendons la suite dans un prochain épisode.
LES MOYENS DE RESISTANCE D’UN SPELEOLOGUE Un spéléologue qui doit réaliser un parcours de longue durée en milieu souterrain doit faire face à de nombreuses difficultés rencontrées dans un milieu hostile à l’organisme humain. * Un grand danger le guette: l’hypothermie. A savoir: baisse brutale de la température du corps qui entraîne une mort quasi certaine. Pour se prémunir contre l’hypothermie, le spéléologue doit s’imposer une discipline stricte qui consiste à suivre un régime alimentaire à base de liquides, de glucides et de sels minéraux. Donc il faut absorber des quantités énormes d’eau pour compenser les pertes en H2O que son organisme aura subies lors des efforts physiques, et consommer également des aliments à substance énergétique, sous forme de concentré comme le lait condensé, les raisins secs, les dattes. Autre conseil à suivre: emporter dans son sac à dos un thermos, rempli de thé chaud, considéré comme un tonique cardiaque. * Pour lutter contre le froid également, le spéléologue doit se munir d’une sous-combinaison faite dans une matière à substance spéciale: la fibre polaire est un tissu synthétique qui permet d’évacuer la transpiration tout en conservant la chaleur de l’organisme. Le spéléologue doit porter en-dessus une combinaison à substance imperméable qui sert à le protéger contre les contacts brutaux avec la paroi rocheuse. * En cas de froid extrême, il faut emporter sur soi une couverture de survie (2m2). C’est un film synthétique de quelques dizièmes de millimètre d’épaisseur, recouverte des deux côtés d’une très fine couche argentée. Lorsqu’elle est pliée, cette couverture ne prend pas beaucoup de place et tient dans une poche minuscule. Déployée, elle tient aussi chaud qu’une couverture en laine. * 15 à 20h de séjour souterrain nécessitent une grande provision de carbure de calcium et de piles électriques de secours nécessaires pour l’éclairage du casque du spéléologue. Car sans la lumière individuelle de chacun, aucune progression souterraine n’est possible, pour cause d’obscurité complète. * Se méfier des cours d’eau que l’on rencontre en profondeur serait d’une grande sagesse. Personne ne connaît le degré de pollution que cette eau charrie avec elle des égoûts des villages de la surface. * Garder enfin un moral haut en toutes circonstances, car des efforts constants dans des conditions hostiles pourraient annihiler la confiance en ses capacités morales et physiques du plus costaud de ces spéléologues. Alors, Gare!
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HELENE RECHMANY.