HOUET QATTINE AZAR :

DES SPELEOLOGUES AU SERVICE DU CITOYEN

Au bout de 15 jours, la fluorescéine verte apparaît à la source de Faouar Antélias,
Juliana Tohmé fait un dernier prélèvement d’eau pour analyse.

Dimanche 27 octobre, 9h du matin. L’eau de Fawar Antélias, toute rouge d’avoir charrié de la boue durant les jours de pluie, se teint curieusement en un vert fluorescent. Ceci n’est point une surprise pour les spéléologues qui ont découvert, quelques mois plus tôt, une rivière souterraine au fond d’un gouffre dont la profondeur avoisine les 500m. Houet Qattine Azar, tel est le nom donné à ce gouffre, se situe - comme nous l’avons précisé dans un reportage paru précédemment dans “La Revue du Liban” (1) - dans le village metniote Majdel Tarchich.

Avec la découverte de ce gouffre, des spéculations d’ordre hydrogéologiques ont été établies. Spéculations vérifiées au bout de plusieurs explorations à l’intérieur de la terre et par une coloration de la rivière souterraine. Exploré d’abord par l’Association libanaise d’Etudes spéléologiques (ALES), Houet Qattine Azar fut l’objet au fil des semaines d’une collaboration entre la précédente association et le Spéléo Club du Liban (SCL). Exploration mixte placée sous le patronage du ministère des Ressources hydrauliques et électriques. En fait, la rivière souterraine est considérée comme une aubaine pour la région qui transporte depuis la côte son eau vitale. COLLABORATION MIXTE ALES-SCL Plusieurs équipes mixtes ALES-SCL se sont succédé dans le gouffre pour réaliser les objectifs suivants: - Continuer l’exploration de la rivière souterraine et en réaliser la topographie. - Faire une mesure précise du débit. - Effectuer une coloration à la fluorescéine (= uranine) en vue d’identifier le ou les points d’émergence de la rivière. Au bout de nombreuses descentes dans le gouffre, les spéléologues libanais peuvent aujourd’hui nous révéler le résultat de leur laborieux travail. La rivière souterraine a été explorée sur 1800 mètres de longueur et deux nouveaux affluents ont été découverts, lesquels n’ont pas été explorés faute de temps. La profondeur du gouffre approche les 500 mètres pour un développement total d’environ 2500 mètres. Le débit total, mesuré le 12-10-96 c’est-à-dire en fin de période d’étiage, lorsque le niveau d’eau est à son minimum, atteint les 7000m3/jour.

Fadi Beayno et Marwan Zgheib, vêtus de leurs combinaisons étanches et néoprènes, ne craignent pas le froid mordant de l’eau souterraine.

Les galeries menant à la rivière souterraine regorgent de ces perles de caverne, sorte de concrétions parfaitement sphériques. Les spéléologues n’en ont relevé que quelques-unes pour les besoins de l’étude géologique.

LA COLORATION DE L’EAU

La partie la plus difficile du travail a été sans conteste la coloration. Car elle a nécessité à elle seule, deux descentes dans le gouffre. A la première, il a fallu transporter au fond de 450m, tout le matériel lourd nécessaire à la coloration, dont 25kg de fluorescéine et 25 l d’alcool pour diluer la substance chimique; et la seconde pour effectuer la coloration. Il a fallu, également, prévoir six points d’eau répartis entre 10km et 20 km à la ronde pour faire le guet, prendre des prélèvements d’eau et les analyser. Pendant 15 jours et nuits, des membres de l’ALES-SCL se sont relayés auprès de ces points d’eau à attendre la parution de l’eau verte, pelotonnés au chaud dans leur voiture, pendant que la pluie martelait tout au dehors et que les rivières se teignaient en un rouge bien différent du vert de la fluorescéine. A savoir que cette substance est un colorant très puissant qui donne à l’eau une belle couleur verte. Elle est au demeurant totalement inoffensive et l’eau ainsi colorée, peut être bue sans que cela cause aucun trouble digestif.

Tony Comaty transporte dans une galerie étroite à - 450m le matériel de coloration.

Repos bien mérité à l’abri des couvertures de survie qui procurent une chaleur bénéfique, pour cette équipe formée de Fadi Dagher, Badr J.-Gédéon, Hugues Badaoui et Marwan Zgheib (de g. à dr.).

Ce colorant est utilisé internationalement pour effectuer des traçages hydrauliques et étudier le parcours des eaux souterraines. Des hypothèses concernant les points d’émergence de la rivière de Houet Qattine Azar ont été faites. Ainsi, les équipes de guet ont-elles attendu la réapparition du colorant à la source de Daichouniyé (Nahr Beyrouth), aux alentours de la grotte de Jeita et à Faouar Antélias. Cette dernière hypothèse s’est révélée être la bonne, puisque pendant deux jours entiers, dimanche et lundi, Faouar Antélias déversait une énorme quantité d’eau verte fluorescente, flagrante preuve que des galeries souterraines relient le gouffre de Qattine Azar à la source de Faouar Antélias en aval. De cette précieuse constatation, le haut Metn peut bénéficier, désormais, d’une source hydraulique autonome et économe, avec un degré de pollution infiniment plus petit que celui des eaux exploitées le long de la côte. Procéder donc à un captage de cette eau à haute altitude est non seulement envisageable, mais un projet en cours d’étude. Ceci démontre une fois de plus le rôle utilitaire joué par la spéléologie libanaise dans la découverte et mise en valeur de nouvelles ressources aquatiques. Aujourd’hui, les spéléologues de l’ALES-SCL, ont déséquipé le gouffre pour l’hiver, après y avoir effectué plusieurs descentes dans des conditions presque surhumaines, puisqu’il s’agissait de rester sous terre près de 16h d’affilée, dans un froid glacial, de descendre et de remonter des puits en chute parfaitement verticale, de ramper dans des galeries étroites en transportant de lourds sacs à dos bourrés de matériel de spéléologie comme des cordes, des mousquetons, des marteaux pour enfoncer les spits dans les parois rocheuses, les boîtes à carbure nécessaire pour l’éclairage du casque, de la nourriture et de l’eau.

Hadi Akl effectuant la descente du premier puits de 70m.

A - 460m, une rivière souterraine à creusé son lit.

LE MYSTERE DE LA CHAUSSURE FEMININE

Les spéléologues ont rapporté, également, à la surface une cannette de bière, des sacs en nylon et... une chaussure féminine, mystérieusement échoués au bord de la rivière souterraine. Ceci laisse à penser, que l’exploitation en amont n’est pas encore terminée, puisque les eaux ont pu véhiculer des déchets jusqu’à cette profondeur. Aussi, les spéléologues de l’ALES et du SCL se sont-ils donné rendez-vous l’été prochain afin de révéler les derniers secrets cachés de Houet Qattine Azar.

Pour des raisons de sécurité (évacuation éventuelle de blessés), il a fallu élargir le boyau d’entrée. Ici, Hani Abdul-Nour, doyen de l’Institut des Beaux-Arts (UL), travaillant au perforateur.

HELENE RECHMANY.