Steve JOBS : le come-back de l'enfant prodige.


Steve Jobs fait partie de ces grands patrons n’ayant jamais exercé de profession.

Non, une passion plutôt. Une vocation vécue avec la fièvre des premiers jours.

Ce génie d’une autre époque – celle où les ordinateurs naissaient dans les

parkings – est resté, fait rare dans le milieu, un homme très apprécié.

Effet sans doute dû à l’atmosphère quasi-religieuse qui règne autour des

géniteurs d’Apple.

Né en 1955 à Los Altos en Californie, Steve Jobs n’est pas un excellent élève. Etudiant, il laisse tomber l’université tout en continuant à suivre certains cours. Durant un boulot d’été chez Hewlet Packard, il rencontre Stephen Wozniak, un ingénieur avec qui il se lie d’amitié. En 1974, Stephen Wozniak et Steve Jobs créent ce qui va être l’Apple I dans le garage de ce dernier. Le succès est immédiat. En 1976, ce surdoué fonde Apple computers avec Stephen Wozniak. Jobs devient, à 21 ans, un des plus jeunes PDG de l’industrie informatique. Puis, vient l’Apple II avec le succès qu’on lui connaît. Et l’épopée peut commencer. Steve est millionnaire avant trente ans... à 23 ans exactement !

Le charisme de Jobs et son allure d’éternel adolescent rêveur
n’est pas sans rappeler celle d’un autre colosse :
Bill Gates, son concurrent direct.

Les eighties voient la naissance et le culte du Macintosh. Le Mac est né d’un principe : battre le PC (1) à tous points de vues. C’est ce qu’il fit, jusqu’au milieu des années quatre-vingts. De là, le PC n’étant plus le monopole d’IBM, des constructeurs pouvaient fabriquer le leur. Peu coûteux, le PC s’est imposé, sans jamais atteindre la convivialité du Mac, ni son prix d’ailleurs.

Le temps passe et les choses se compliquent. La concurrence fait rage. La tension est difficilement supportable au sein de l’équipe. Steve Jobs perd peu à peu de son pouvoir, on tente de le mettre à l’écart. Il démissionne.

Après son éviction d’Apple, Jobs va créer NeXT, compagnie fabriquant des ordinateurs et des systèmes d’exploitation (2). Ne survivra que la deuxième industrie. 1993 signe l’arrêt de la production matérielle des ordinateurs NeXT. La firme est couverte de dettes et court à la banqueroute. Mais Steve Jobs s’accroche, persuadé de tenir le bon filon. L’avenir lui donnera raison. Son O.S. est aujourd’hui parmi les plus puissants, les plus simples et les plus stables.

Pourquoi ce triomphe ?

Cet insolent succès, Jobs le doit au Macintosh, premier ordinateur personnel d’une simplicité et d’une convivialité jusque-là inconnues. Ce que les Américains appellent ‘user friendly’, d’une utilisation amicale, en français. C’est cela le Mac, un ami. Le concept était de pouvoir allumer l’ordinateur et s’en servir automatiquement, sans avoir à compulser de manuel. Facilité qui ne fut acquise que très récemment dans le monde des PC, grâce à Windows 95, lancé en septembre de la même année.

Scandale ! Dès la commercialisation de l’O.S. de Microsoft, on crie au plagiat à la copie du Finder de Macintosh. Bill Gates ne s’en soucie guère et continue sa percée aidé par un matraquage publicitaire à l’échelle planétaire. Tout le monde a entendu parler de Windows 95, de Microsoft et de Bill Gates. Rachat du «Start me up» des Rolling Stones pour «quelques» millions de dollars, développement de sons spécifiques par de grands artistes : Brian Eno signe le «Démarrage» de Windows 95. Titres spécialement conçus pour tirer profit de la puissance de cet O.S. La tempête Microsoft écrase tout sur son passage. «Parlez de moi en bien ou en mal, mais parlez de moi !», confie le géant de Seattle. C’est fait ! William Gates troisième du nom est aussi célèbre que Bill Clinton et au moins aussi puissant... Windows 95 fonctionne sur les Pentium d’Intel, fabriquant de puces électroniques d’une puissance équivalente, mais à un prix largement plus attractif que son concurrent de toujours : Apple. Les Personnal Computers à base de «Wintel» (3) se vendent comme des petits pains. Rapides et peu chers ils dominent le marché à 80%. La différence entre Apple et PC s’estompe. Les dirigeants d’Apple refusent d’«ouvrir» le système en le rendant accessible à d’autres fabricants. Cette fausse manœuvre leur sera fatale. La descente aux enfers est enclenchée... Microsoft vend ses logiciels, Intel ses puces et Apple perd de l’argent... De ce principe, Apple tire les leçons : pas de survie sans alliance. La coalition Microsoft-Intel doit aujourd’hui faire face au bloc Apple-NeXT-Motorola, fermement décidé à prendre sa revanche. Toutefois, la guerre est plus orientée sur Microsoft que sur les PC made in Intel. Car en plus d’être fonctionnel sur les plates-formes Mac, NextStep existe – entre autres – en version PC...

Gilbert Amelio PDG d’Apple et Steve Jobs (à droite).

Apple-NeXT : Même combat !

Comment alors damner le pion à Wintel, sinon en les battant sur leur propre terrain ? Sur le plan du hardware (matériel) pas de problème, les Mac ont toujours compté sur les puces de Motorola qui ont su se montrer dignes de confiance. Quant au software (logiciel), il est devenu en quelques années, le talon d’Achille et c’est là qu’intervient NeXT software, jouant le rôle de sa vie : déterminer le système d’exploitation qui emmènera ses utilisateurs vers le XXIe siècle. L’heure de la revanche a sonné : une douce révolution se prépare.

Copland, l’O.S. qui fut développé par Apple ces derniers mois était censé succéder à l’actuel MacOS. Le projet est abandonné, faisant perdre au passage quelques centaines de milliers de dollars...

En désespoir de cause, Apple se tourne vers Jean-Louis Gassée, un Français, ancien d’Apple lui aussi, ayant élu domicile à la Silicon Valley. Gassée, reconverti dans les systèmes d’exploitation, propose son BeOS à base de PowerPC, mais les négociations butent sur un problème de prix. On demande au frenchie de revoir sa copie au rabais, en attendant, on louche sur NeXT. Gassée refuse. Son offre est déclinée. Le PDG d’Apple, Gilbert Amelio comprend rapidement que la relance de son entreprise est étroitement liée à sa fusion avec NeXT. Steve Jobs entre dans la course, plus compétitif et plus expérimenté, tout comme son système. Que faire ? Apple décide de croquer le fruit défendu, s’accaparant la technologie NeXT pour 400 millions de dollars.

Jobs est de retour dans le business ! Oui, mais cette fois, son rôle est quelque peu différent : il ne revêt que sa casquette de consultant. Et Dieu sait si ses conseils valent de l’or. Un homme comme Jobs a connu les premiers pas – parfois maladroits, souvent historiques – de la micro et a été l’instigateur de nombreux rêves collectifs. Dont Apple est le plus pur fruit. L’acquisition de NeXT Software est un pavé dans la mare du conformisme californien et une forte remise en question de l’hégémonie du duo Wintel. Ce retour aux sources a une valeur tant affective que symbolique.

Pour fidéliser les disciples et prêcher la bonne parole aux futurs clients, Gilbert Amelio, a fait appel à Jobs, ancien maître spirituel des adeptes de la firme à la pomme. Oui, mais encore ? L’option Steve Jobs est autant due à ses talents de visionnaire qu’à l’équipe de programmeurs et la technique qu’il amène avec lui. La programmation orientée objet est la base de la toute-puissance de NeXT. Qu’est-ce donc ? Supposons que vous vouliez programmer un scroll (texte qui défile). Les étapes du langage objet peuvent être comparées à des blocs. On commence avec de simples blocs pour afficher un texte par exemple et, ensuite, fabriquer d’autres blocs, s’emboîtant les uns aux autres, perfectionnant ainsi notre programme. L’avantage qu’offre cette technique est son adaptabilité. En effet, pour réutiliser cette même séquence, il suffit de reprendre les blocs que l’on a déjà employés et de les imbriquer au nouveau programme. Simple sur papier mais révolutionnaire en pratique ! Cette méthode de langage orienté objet a tout de suite été adoptée par l’industrie du jeu. Plus simple et largement plus puissante. Elle s’est imposée en tant que norme. Le fameux DOOM a été créé grâce au système d’exploitation et sur des machines NeXT. Mais n’oublions pas qu’à l’heure d’Internet, le langage objet est parfaitement adapté au Web (couche multimédia du Réseau), dont il simplifie grandement la programmation d’applications grâce à la technique appelée WebObjetcs.

L’avenir...

Quelles seront les conséquences d’un tel pacte ? Tout d’abord, Apple poursuivra un itinéraire double. En effet, deux systèmes d’exploitations seront développés simultanément : le premier, MacOS sera destiné aux utilisateurs de Macintosh (60 millions de par le monde) et le second sera un O.S. basé sur celui de NeXT Software à partir des procédés NextStep et OpenStep. D’une technologie autrement plus avancée, NextStep (nom de code : Rhapsody) qui bénéficie du savoir de NeXT en ce domaine, offrira toutefois la possibilité d’exécuter des applications dédiées aux Macintosh classiques (conservant de fait une compatibilité descendante) et fera, cette fois, office de «standard» grâce à son positionnement multi plates-formes.

Steve Jobs, est aujourd’hui un patron bicéphale aux commandes de deux des plus puissantes entreprises informatiques de tous les temps : Apple/NeXT et Pixar. Pixar est l’autre tour dans le sac de Steve. Vous vous souvenez du film «Appolo 13» et de ses trucages si fins, qu’ils semblaient réels ? C’était déjà Pixar, qui a fait du chemin pour arriver à sa consécration : «ToyStory.» Triomphe mondial ! Le premier film entièrement en images de synthèse ! Alors que les passages en procédé virtuel ne dépassaient pas les quelques minutes dans des superproductions telles «Terminator 2» ou «Abyss» – dont les trucages ont été confiés à ILM ; «ToyStory» comptabilise une heure et demie de 3D. Industrial Light and Magic (ILM) est une pointure dans le domaine des trucages informatiques à qui l’on doit encore les dinosaures de «Jurrassik Park». ILM, qui appartient à Georges Lucas, le père des «Star Wars», régnait en maître absolu – détenant les trois-quarts de l’industrie des effets spéciaux. C’était compter sans Pixar, qui veut sa part du gâteau. «ToyStory 2» contribuera certainement à le positionner en deuxième place.

Rhapsody sera disponible dans le courant de l’année. La compatibilité matérielle et logicielle sera d’un bon niveau, affirme-t-on à Cupertino, siège d’Apple en Californie. Quelle qu’en soit l’issue et de quelque côté où l’on se trouve, des défis de cette envergure ont le mérite d’être lancés et se doivent d’être salués.

Conviviale et puissante, la technologie NeXT est le lifting nécessaire à Apple, qui peut vraisemblablement changer la donne. Gilbert Amelio, visiblement subjugué par les promesses de Jobs, a déclaré après de longues heures de démonstration, qu’il s’agissait «d’un des moments les plus excitants de ma carrière.»

Le rêve américain n’est semble-t-il pas mort...

 Saër KARAM.


(1) P.C : Personnal Computer. Ordinateur Personnel. En réalité, lorsqu’on parle d’ordinateur personnel, on pense surtout aux compatibles IBM PC, que furent les 386, 486 et aujourd’hui les Pentium.

(2) Système d’exploitation ou Operating System en anglais. L’O.S. est l’enveloppe qui permet à l’ordinateur de communiquer avec le microprocesseur et d’exécuter les programmes.

(3) Wintel : Contraction de Windows—Intel.