POINT DE VUE
OMAR KARAMÉ:
Les résultats des dernières législatives l’ont déçu, au point qu’il a failli résigner son mandat de député. Ceci n’a en rien affecté son leadership nordiste, mais lui a révélé les bons alliés et les mauvais amis. Tout en prenant ses distances de la scène parlementaire en n’assistant pas aux séances de l’Assemblée, sa présence politique s’affirme en tant que membre éminent du «front des six» qui constitue le fer de lance de l’opposition. L’ancien président du Conseil considère que «la politique est changeante, alors que l’alliance au plan politique repose sur des principes et des constantes sacrés». Au cours de l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, Omar Karamé n’a pas manqué de décocher des flèches envenimées en direction du pouvoir, accusant les chefs de l’Etat et du gouvernement «d’avoir ourdi le complot du 6 mai» (ayant entraîné la chute de son Cabinet) et, le président Hariri, de dominer l’Exécutif.
LA MAGISTRATURE ET LES INGÉRENCES POLITIQUES
- Quel est votre avis à propos de l’ordonnance d’inculpation récem-ment rendue publique au sujet de l’attentat contre le président Rachid Karamé, notamment en ce qui concerne le brigadier Khalil Matar?
«Naturellement, après l’assassinat du président-martyr Rachid Karamé, des investigations ont été effectuées par l’armée, d’autant que l’attentat a été perpétré à bord d’un hélicoptère ayant pris le départ d’une base militaire à Adma. «L’enquête n’a rien donné et l’af-faire avait été déférée devant la Cour de justice. Un magistrat instructeur a procédé à l’interrogatoire de gens qui étaient relâchés par la suite sans parvenir à aucun résultat. Etant entendu que certains éléments sur lesquels pesaient des soupçons, tel Ghassan Touma, se trouvaient à l’étranger. «Ainsi que je l’ai compris par hasard, la secrétaire de Touma a parlé de l’affaire devant certains de ses proches; aussi, l’enquête a-t-elle repris à partir de ce point. «En prenant connaissance de l’or-donnance d’inculpation - et je parle en tant qu’avocat - tout est apparu aussi clairement que la lumière du soleil. Le dossier y relatif est l’un des plus cohérents en ce qui a trait à tous les accusés. «C’est pourquoi, nous avons entière confiance dans la magistrature et attendons qu’elle dise son mot. Car le président Rachid Karamé a assumé pendant de longues années les responsabilités nationales et joué un grand rôle, œuvrant sans répit pour la sauvegarde du Liban et sa pérennité. «En ce qui concerne le brigadier Matar, l’opinion publique ignorait qu’il est le frère de Mgr Matar, lequel n’est pas, naturellement, responsable des comportements de son frère. Nous avons lu les faits consignés dans l’ordonnance d’inculpation et ces derniers prouvent, sans ambiguïté, que le brigadier Matar a été un associé fondamental et un exécutant de l’assassinat de Rachid Karamé. «Je connais les contacts effectués par l’archevêque du plus haut au plus bas niveau; aussi, souhaitons-nous que cette affaire soit maintenue à son niveau national et loin des interven-tions... Si la justice ne devait pas suivre son cours normal, des faits déplorables pourraient se produire dans le pays et nous avons assez d’histoires sans cela»...
L’AUTORITÉ POLITIQUE TENTE DE TOUT CORROMPRE
- Vous semblez douter de la neutralité et de la probité de la magistrature, en insinuant qu’elle pourrait faire l’objet d’interventions d’ordre politique ou non-politique...
«Je dis que l’autorité tente de tout corrompre et, spécialement, le pouvoir judiciaire. C’est pourquoi, nous avons étudié cette question lors de la «rencontre nationale» et décidé de n’épargner aucun effort ni moyen au sein et en dehors de la Chambre, à l’effet de garantir l’indépendance de la Magistrature pour qu’elle soit, effectivement, le troisième pouvoir dans le pays. «Malheureusement, des interven-tions se produisent auprès de la Justice et certains juges se laissent faire; c’est là où réside le danger. Je dispose de renseignements confirmant de telles interventions de la part des hautes autorités... Mais je ne m’en suis pas encore assuré, sinon j’aurais cité des noms. Les hautes autorités sont inter-venues pour empêcher la publication de l’ordonnance d’inculpation, et, de toute façon, dès que je complèterai mes renseignements, je tiendrai une conférence de presse pour tout divulguer».
ALLIANCES NORDISTES
- Déjà divisés par la politique, les députés du Liban-Nord l’ont été davantage par les dernières législa-tives; quelle déduction avez-vous tiré de la consultation populaire de 96 au plan des alliances?
«Nous étions habitués à ce que les candidats sur une même liste au Nord et ailleurs, soient de simples compa-gnons de route; en ce sens que peu d’entre eux se regroupent au sein d’un bloc politique après le scrutin. «En 1996, nous avons constitué la «liste de la solidarité», car bien des faits liaient ses membres. Au terme de plusieurs réunions, nous avons résolu de rester solidaires par la suite. Mal-heureusement, les résultats n’ont pas été conformes à notre souhait. «Les députés ayant été élus en tant que membres de la «liste de la soli-darité» préservent un minimum de solidarité, mais il n’existe aucune coordination, ni programme entre eux, c’est pourquoi, ils ne forment pas un bloc cohérent. «En revanche, nos concurrents ont constitué un bloc et en dépit de mon respect à tous les groupes parlemen-taires, aucun d’eux n’est efficace. Nous manquons jusqu’ici de partis organisés capables de faire accéder des députés au parlement par leur force populaire.
LA VIE POLITIQUE PARALYSÉE
«Tous ont compris que la vie politique est paralysée au Liban. Aussi, espérons-nous que la situa-tion évoluera dans un proche avenir, de manière que des partis dignes de ce nom soient formés, disposant de programmes et de principes clairs. C’est le seul moyen de servir le pays. «Actuellement, le membre de l’Assemblée agit, individuellement, et son action se concentre sur les services à rendre aux gens, beaucoup de députés consacrant leur temps et leurs efforts à entreprendre les démarches afin d’accélérer l’accomplissement des formalités».
- On constate que vos relations sont rompues avec les députés nordistes: serait-ce la conséquence des législa-tives ou y aurait-il une autre raison?
«A qui faites-vous allusion?»
- A Nayla Moawad, Abdel-Latif Kabbara et d’autres encore...
«Tout lien est rompu avec les deux parlementaires que vous venez de nommer. En fait, par principe, ceux à qui nous tendons la main, nous ne la retirons que s’ils man-quent de crédibilité. Puis, nous croyons qu’en politique il n’y a ni amitié ni inimitié permanentes, les principes et la crédibilité étant au-dessus de tout. Malheureusement, il y a eu des trahisons dont nous avons pris connaissance durant l’opération électorale. Mais du moment que nous avions donné notre parole, nous ne la renions pas, quoi qu’il arrive».
NOS RELATIONS AVEC FRANGIÉ SONT HISTORIQUES
- Qu’en est-il de l’alliance Karamé-Frangié après les législatives, alors qu’on fait état d’une tiédeur dans vos relations avec M. Sleiman Frangié?
“Je crois que rien n’a changé dans notre alliance et nos relations. Lors d’une récente visite, le ministre Frangié a déclaré que nos relations sont historiques et non de fraîche date; ce sont elles qui ont préservé le Liban-Nord au cours des douloureux événements et sauveront ce district de toute frustration à l’avenir. “Il n’y a pas de tiédeur dans nos rapports. Cependant, les circonstances actuelles ne nous permettent pas de nous rencontrer plus fréquemment comme par le passé. Il est, aujour-d’hui, au pouvoir et je suis contraint de rester à Beyrouth”.
- En ayant déclaré dernièrement: “Quand je me rends chez le président Karamé, je considère avoir rendu visite à tout Tripoli”, a-t-il voulu couper la voie à toute fausse interprétation?
“Il a voulu, ainsi, élucider la nature de nos rapports dont je viens de parler, d’autant que les médias persistent à nous brouiller et à prétendre que notre alliance a vécu”.
- Comment interprétez-vous la rencontre ayant eu lieu entre le mi-nistre Frangié et les députés Ahmed Karamé et Ahmed Fatfat au domicile du Dr César Moawad à Zghorta?
“Nous ne sommes pas des enfants jouant aux billes. Peut-on lier la liberté d’action d’un homme politique, l’empêcher de rencontrer certaines personnes ou de dîner avec d’autres? Il s’agit de petites choses auxquelles nous n’attachons aucune importance”.
QUID DES RAPPORTS KARAMÉ-MOAWAD?
- Il est de notoriété publique que l’alliance Karamé-Moawad est, également, historique; pourquoi n’a-t-elle pas été sauvegardée?
“Nous sommes fiers de la profonde relation qui rapprochait les regrettés Rachid (Karamé) et René (Moawad), d’autant qu’elle était basée sur l’affec-tion, la confiance, le respect mutuel et l’intérêt commun. Je sais à quel point les deux hommes comptaient l’un sur l’autre, surtout dans les moments difficiles. “Malheureusement, nous avons tenté, par respect à cette amitié, de poursuivre dans la même voie, mais la manière de traiter a changé”.
- N’est-il pas possible de vous raccommoder avec le député Nayla Moawad ou bien la rupture entre vous est-elle définitive?
“Il n’y a pas en politique une amitié ou une inimitié permanentes. Mais ce qui s’est passé aux élections générales de 92 et 96 est illogique”.
DIFFÉRENCE DE MENTALITÉ AVEC MESKAOUI
- Quelles sont les causes de votre différend avec Omar Meskaoui, étant entendu que vous aviez avancé au début, sa candidature en tant que membre du gouvernement?
“A vrai dire, je préfère dans cette étape ne pas évoquer ce sujet. Je vous prie donc de passer outre à cette question”.
- Pourtant, il vous a rendu visite au lendemain des législatives; ceci n’a-t-il pas suffi pour rasséréner l’atmos-phère entre vous?
“Sur le plan personnel, rien ne nous sépare. Mais sur le plan politique, il existe des différends qui ne sont pas récents et remontent au temps du (président) Rachid. “Il existe une différence dans la mentalité et l’action politique que je considère radicale. Il est difficile de nous rencontrer avec lui sur ce plan. Mais sur le plan personnel, il n’y a pas de sang entre nous”...
LA POLITIQUE DE HARIRI EST DANGEREUSE POUR LE PAYS
- Votre différend avec le président Hariri aurait-il pour cause le fait qu’il tentait de créer à Tripoli un courant hostile aux Karamé pour affaiblir votre leadership au Liban-Nord?
“Ce n’est pas juste. Chaque per-sonne s’adonnant à la politique cherche à se créer un courant et une base populaire. C’est son droit naturel, à condition qu’il utilise la voie légale. “Notre différend avec le président Hariri est plus profond que cela et est motivé par une double cause: Primo, sa politique générale que nous avons considérée, dès le premier jour, comme dangereuse pour le pays. Mal-heureusement, tout ce que contre quoi nous avons mis en garde est arrivé, sur le double plan financier et économi-que, tous les efforts étant concentrés dans le Grand Beyrouth. “Secundo, il a sciemment ignoré le Liban-Nord, en général et Tripoli en particulier, les privant de leurs droits les plus élémentaires, que ce soit au plan du développement équilibré ou au plan de l’administration officielle. “Au début de son premier Cabinet, nous étions amis et alliés. Mais la politique qu’il a suivie, par la suite, nous a poussés dans le camp de l’op-position. Nous y persévèrerons tant que nous touchons du doigt les erreurs qui se commettent. Cela n’a rien à voir avec nos relations personnelles”.
LE TANDEM HRAOUI-HARIRI
- D’aucuns font grief à M. Hariri de mener une action diplomatique parallèle à celle du ministre des Affaires étrangères, ainsi que l’a observé un membre de la “rencontre des six” (front d’opposition). En tant qu’ancien chef du gouverne-ment, qu’auriez-vous à dire à ce sujet?
“Le président Hariri ne supporte pas le fait de s’en tenir aux disposi-tions constitutionnelles et, dès le premier jour, il tente de dépasser toutes les règles. En quatre années, il a pu changer toutes les institu-tions de l’Etat, de manière à acca-parer le pouvoir exécutif, à com-mencer par le Conseil des ministres qui est l’autorité exécutive effec-tive, prenant ses décisions par voie de consensus ou à la majorité. Quand vingt ministres sont des fonctionnaires auprès de Hariri, celui-ci dispose à sa guise du Conseil des ministres. Aussi, prend-il les décisions au nom et à la place des membres du gouvernement, souvent à leur insu. De cette ma-nière, il a pu modifier l’adminis-tration dans son ensemble, tenant en main le ministère des Finances, la Banque Centrale, en plus des mi-nistres de son bord, lesquels détien-nent les portefeuilles-clés. “Avec le chef de l’Etat, il forme un tandem et mènent la République à leur guise. “M. Farès Bouez, ministre des Affaires étrangères, qui est le gendre du président de la République, a prouvé sa compétence et acquis une grande expérience. Mais le président Hariri veut renforcer sa présence à l’étranger, après l’avoir fait à l’intérieur. C’est un homme ayant des amitiés et des relations, disposant d’un vaste réseau international qui l’a mené au pouvoir. “Naturellement, tout responsable est tenu de prendre l’autorisation du Conseil des ministres avant d’entre-prendre une mission à l’étranger. De même, il doit se faire accompagner d’une personne pour enregistrer la teneur de ses entretiens. Le pouvoir ne peut s’exercer d’une manière fantai-siste et personnelle. “Le président Hariri se comporte selon son bon plaisir et lorsqu’il se présente devant la commission parlementaire des Affaires étrangères, on ne peut rien comprendre de son exposé. Combien de fois le chef du palais Bustros s’est-il plaint auprès de nous de cet état de choses, mais qui s’en soucie?”
LE “COMPLOT DU 6 MAI”
- Vous soutenez que les Cabinets du président Hariri sont constitués et se maintiennent en vertu d’un consensus arabe et international, à la lumière de la conjoncture régionale particulière-ment délicate. Estimez-vous que la chute de votre gouvernement le 6 mai 1992 était motivée par la conjoncture régionale ou bien était-elle la consé-quence de facteurs intérieurs?
“Non, ce fut la conséquence d’un complot qui a été établi et nous en avons exposé les éléments maintes fois. Hariri en était le “champion” et le président Hraoui lui a apporté son soutien”.
- Le président Hariri a appelé plus d’une fois à ouvrir une nouvelle page avec l’opposition; jusqu’à quel point avez-vous réagi favorablement à cet appel?
“Nous faisons partie de la “rencon-tre nationale” (front d’opposition) et avons prouvé au cours des quatre dernières années que nous faisons une opposition constructive. Nous n’agis-sons pas selon le principe: Ote-toi de là pour que je prenne ta place, comme ils ont tenté d’imaginer et comme ils se l’imaginent. «C’est pourquoi, quand une action ou une initiative est valable, sert le Liban et l’intérêt public, nous y souscrivons. Mais quand nous détectons des transactions menaçant le pays, nous les dénonçons. Ainsi, lorsque M. Hariri nous tend la main, nous sommes prêts à la prendre, non par complaisance, mais sur une base claire, dans le but de rectifier la déviation et de servir l’intérêt du Liban».
LA TROÏKA ET SES MÉFAITS
- Comment voyez-vous les diffé-rends entre les pôles du pouvoir et l’éclatement de la troïka intervenu dans une phase délicate, régionale-ment?
«Les trois pouvoirs chargés de gérer la chose publique doivent coopérer, sinon l’Etat ne peut pas fonctionner normalement. «Nous nous sommes opposés à la troïka, pour la simple raison que les pôles du pouvoir qui la constituaient se partageaient les parts et avaient ramené les institutions à leurs personnes. Nul hormis les trois présidents n’avait le droit de réclamer la part des maronites ou celle des sunnites et des chiites. Lorsque le président Berri a annoncé la «mort» et «l’enterrement» de la troïka, nous avons été les premiers à présenter les condoléances».
- Pourquoi n’assistez-vous pas aux séances de l’Assemblée, donnant ainsi l’impression de prendre vos distances de la scène politique?
«Il existe une différence entre l’action politique et parlementaire; je l’ai explicité plus d’une fois par voie de presse. «En ce qui concerne mon absence du parlement, je tiens à rappeler que j’avais l’intention de démissionner au lendemain des législatives, parce que je refuse de m’imposer en tant que représentant du peuple avec le nombre des suffrages obtenus. Quand j’ai décidé de présenter ma démission, la direction syrienne est intervenue pour me faire changer d’avis. Nous avons gelé la démission, mais sans reprendre l’action parlementaire. Cependant, nous assumons nos responsabilités nationales de la meilleure manière possible».
SUCCÈS DE LA «RENCONTRE DES SIX»
- Qu’en est-il de la «rencontre des six» (front d’opposition) et de son projet politique?
«Au cours de notre première réunion, j’ai formulé deux propositions: d’abord, élargir notre mouvement pour qu’il rassemble des députés et des personnalités politiques extra-parlementaires; ensuite, élaborer un programme clair et le présenter à l’opinion publique. Mes collègues ont adopté les deux propositions, en principe, mais prennent leur temps pour les concrétiser».
- Serait-il question de transformer cette «rencontre» en front d’opposition effectif?
«Il est question de la transformer en parti, mais l’idée a besoin de temps et de concertations pour mûrir. De toute façon, l’expérience de la «rencontre des six» a réussi, Dieu merci».
- Qu’auriez-vous à dire à propos de la réunion tenue au domicile du président de la CGTL?
«Il s’agissait d’une invitation à dîner et les délibérations avaient un caractère syndical plus que politique».
ENTRE BAABDA ET TRIPOLI...
- Vous avez rendu visite au chef de l’Etat depuis près d’un an et annoncé que vous comptiez ouvrir une nouvelle page dans vos relations avec Baabda. Qu’est-ce qui a provoqué la nouvelle rupture avec le palais présidentiel?
«J’avais visité Baabda pour remercier le président Hraoui de s’être associé au deuil qui m’avait frappé, alors, suite au décès de ma sœur. «J’aurais pu exprimer le désir d’ouvrir une nouvelle page avec Baabda, mais nous n’avions pas évoqué les raisons de nos divergences. Est-il besoin de rappeler que les grandes divergences politiques ne se règlent pas par les accolades ou par de belles paroles prononcées durant des circonstances sociales?»
- Quelles sont, en fait, les causes de vos divergences?
«Cela a commencé le 6 mai, date à laquelle mon Cabinet a cédé sous la pression de la rue. Le président de la République est le chef du pays: il préside le Conseil des ministres quand il le veut, promulgue les décrets et les lois. Sa responsabilité est donc claire dans toute la politique instaurée et dont tout le monde se plaint».
POUR OU CONTRE LA RECONDUCTION DU MANDAT PRÉSIDENTIEL?
- Le président Hraoui vous a contacté avant de se rendre aux Nations Unies, le lendemain de l’agression d'avril et tout paraissait bien marcher entre vous...
«Depuis lors, aucun contact n’a eu lieu entre nous et le problème réside dans le fait que le président de la République se laisse emporter par son humeur».
- Si la reconduction du mandat présidentiel était de nouveau posée, quelle serait votre attitude?
«Du point de vue du principe, je suis contre toute violation de la Constitution et j’estime que six ans sont suffisants pour le mandat présidentiel, sauf s’ils veulent le ramener à quatre ans renouvelables comme aux Etats-Unis, à condition que l’élection présidentielle ait lieu au suffrage universel. «Mais tant que notre Constitution est ainsi élaborée, on ne peut ni ne doit la réviser pour n’importe quel motif. «Quant à mon attitude, elle est liée à la conjoncture politique. En principe, je suis contre la reconduction, sauf si l’intérêt du pays l’exige».
RÉFORMES ET SCANDALES
- Que pensez-vous des réformes constitutionnelles proposées par le chef de l’Etat?
“Le chef de l’Etat a le droit de proposer des réformes constitution-nelles. Cependant, la Constitution est le fruit d’un consensus national ayant rassemblé tous les députés libanais sous une égide internationale. C’est pourquoi, le président de la Répu-blique devrait prendre, au préalable, l’avis de toutes les fractions politi-ques, pour éviter tout clivage ou confusion dont nous avons intérêt à nous passer. “Je ne crois pas que ces fractions s’y opposeraient, si les réformes rectifiaient les erreurs et servaient l’intérêt public. Or, ceci ne s’est pas produit et les propositions présiden-tielles ont tout l’air de vouloir détourner l’attention en suscitant de profonds remous au plan politique”.
- Quelles affaires voulait-on éclipser?
“Vous vous souvenez de “l’affaire Raafat Sleiman”, des scandales et des accusations échangées par les présidents et les ministres. Les réformes paraissaient avoir été soulevées pour produire l’effet d’une bombe fumigène destinée à couvrir tous ces faits. “Quoi qu’il en soit, nous sommes avec toute proposition de révision constitutionnelle de nature à servir l’intérêt public”.
LA VISITE PAPALE, UN GRAND ACQUIS POUR LE LIBAN
- Qu’attendez-vous de la visite au Liban du Souverain Pontife et comptez-vous rencontrer S.S. Jean-Paul II?
“La visite papale constituera un grand acquis pour le pays dans cette étape, d’autant que Sa Sainteté ne visitera que le Liban. “En ce qui concerne ma participa-tion à la réception de l’éminent visi-teur, je n’ai pas l’habitude de prendre part à de pareilles circonstances”.
- Comment jugez-vous la situation régionale, à la lumière des proposi-tions israéliennes et l’option “Liban, d’abord?”
“Depuis l’accession au pouvoir de Netanyahu, à la tête d’un gouvernement extrémiste de droite, le chef du gouvernement israélien veut tout prendre sans rien donner en retour. “La question, aujourd’hui, est de savoir si on doit relancer les né-gociations à partir du point auquel elles ont abouti ou de les reprendre à zéro. Le président Assad connaît la tactique et la mentalité israé-liennes, c’est pourquoi, il reste prudent, que Dieu lui vienne en aide. De toute manière, les Israé-liens ne peuvent pas se jouer de la Syrie. “Il ne fait pas de doute que l’étape est difficile et délicate; elle exige l’unité des rangs arabes, celle-ci étant notre unique arme pour déjouer les complots et les pressions”.
- Et qu’auriez-vous à dire du rôle français dans le processus de paix?
“Après l’opération “Grappes de la colère”, la France a franchi un grand pas et est revenue dans la région sur un cheval blanc. Israël et les Etats-Unis pourraient vouloir l’en évincer, mais les déclarations des responsables français sont de nature à rassurer. “Aussi, accueillons-nous favorable-ment le rôle que la France jouerait, pareille à celui dont elle s’est acquittée lors des “Grappes de la colère”. Nous accueillons aussi favorablement le rôle de l’Amérique, car nous sommes pour le droit et la justice. “Nous remercions tout Etat qui se solidarise avec nous, surtout la France connue pour être “notre tendre mère” et le président Chirac est, maintenant, notre ami. Ne dit-on pas que “l’ami de notre ami, est notre ami?”
(Propos recueillis par Hoda Chédid)