PLAISIR DE LIRE

LES MORTS AU SECOURS DES VIVANTS


Comment sortir de son chagrin? Tel est le difficile problème posé à un jeune garçon, Nick, dont la mort du père le plonge dans le monde du silence. Un monde déserté par la joie et l’innocence. Le roman n’est pas sans rappeler, dans sa démarche et son message, “Le Petit Prince”, “Va où la vie te mène” ou encore “l’Alchimiste”. Tous ces ouvrages s’interrogent sur le sens de la vie, sur la signification de notre existence et de notre destin. Par une sorte de réflexe et par le désir inconscient de retrouver son père, Nick se souvient des endroits où il se rendait avec lui. Une manière instinctive de s’approprier le passé en le faisant renaître grâce à l’imaginaire. Il se remémore les instants de bonheur passés en compagnie de son père, quand celui-ci l’emmenait au marché. Quand ils sont perdus, de tels moments ne peuvent être récupérés que par la mémoire. Seule cette dernière a le pouvoir magique de reconstruire le réel, de recomposer le passé et de lui donner une âme. Dédaignant la voix des hommes, Nick préfère entendre les voix des Indiens morts, dont son père lui avait raconté l’histoire. Cette prédilection à écouter la voix d’outre-tombe répond à un double besoin: - Il voulait sortir de la terrible solitude où il était plongé. Une solitude qui lui pesait, en dépit des conversations avec le psychiatre qui faisait tout son possible pour arracher son patient à son isolement. - Entendre des voix et leur parler; c’est encore une manière de communiquer avec quelqu’un. Les êtres humains ne lui disaient rien, alors qu’il était attentif à ces voix venues de nulle part. Les entretiens avec le psychologue étaient très brefs: ou bien le jeune garçon ne répondait pas aux questions, ou il le faisait d’une manière évasive. Le spécialiste convaincu que le petit se sentait coupable de la mort de son père, essayait de le sonder à ce sujet: il répondait par la négative. Le thérapeute espérait une réponse positive de manière à orienter la thérapie vers une déculpabilisation progressive. Puis un beau jour, il vit une flaque d’eau qui commença à entamer une conversation avec lui. Après une intense stupeur, il commença à s’intéresser à cet interlocuteur d’un genre nouveau. Il lui sembla reconnaître la voix, n’était-ce pas celle de son père qui lui transmettait des messages. Voici un passage intéressant de cet entretien avec la flaque: - “Pourquoi l’amour fait-il souffrir?”, demande Nick. - “Ca ne fait pas souffrir. C’est de ne pas le comprendre qui fait souffrir. C’est un malentendu”. - “Je ne pige pas.” - “L’amour, c’est quelque chose que tu fais.” Pas quelque chose que tu reçois.” ... - “L’amour ne se reçoit pas.” - “Qu’est-ce que tu veux dire?” demanda Nick. - “Tu ne peux pas être aimé, poursuit la flaque. Tu ne peux qu’aimer, comprends-tu? S’il y a tant de tristesse sur terre, c’est parce que les gens ont besoin d’être aimés”.

LA STRATÉGIE DU RETRAIT
Nick prit l’habitude de dialoguer fréquemment avec la flaque d’eau. Il en sortait revigoré, comme si la vie devenait soudain moins pénible. Ces paroles qu’il échangeait rarement avec son père de son vivant, voilà qu’il en parlait aisément. Qui pouvait comprendre ce phénomène? Personne. Seul lui avait la faculté de s’entretenir avec son père qui, à chaque fois, lui ouvrait de nouvelles perspectives. S’étant détaché du monde alentour, le jeune garçon adopta ce qu’on pourrait appeler la stratégie du retrait. En se retirant du monde, il ne se sentait plus concerné par les multiples problèmes qu’il pouvait trouver sur son chemin. En se retirant du monde, Nick se rapprochait de la flaque d’eau: la voix qui en sortait était celle de son père, il en était convaincu. Maintenant qu’il dialoguait souvent avec la flaque, il en était ravi, parce qu’il rencontrait symboliquement ce père, Charles, dont l’absence le tourmentait tant. Charles vivant, la relation était bonne entre le père et le fils, mais une sorte de pudeur les empêchait d’aborder certains sujets. Charles mort, la pudeur disparut. Avec la flaque d’eau, ou plutôt avec la voix qui sortait de l’eau, Nick écoutait des leçons de sagesse, il reconnaissait la voix de Charles et le présent revêtait les couleurs du passé. Oubliée la mort, maintenant que Charles reparaît sous une autre forme mais en gardant la même voix. Voici un extrait de dialogue, de sagesse pleine de bon sens que Charles échange avec son fils: «Tu es l’univers, Nick. En tant qu’être vivant, doté de pensée et de parole, tu es à la fois l’interprète et le visage du monde. Tu peux faire durer ton deuil éternellement et, alors, le monde sera un endroit isolé. Tu peux vivre en te souvenant des morts et, alors, le monde baissera la tête. Pleure et le monde pleure. Ris et il rit. Sois tourmenté et il sera tourmenté. Pense à des choses horribles et le monde sera un lieu horrible... La nature est clémente et, ni toi ni moi ne savons pourquoi, Nick. Mais nous devons lui faire confiance. Quelle que soit la raison cachée derrière ce que nous nommons existence ou réalité, nous pouvons être sûrs d’une chose. Elle essaie… elle fait de son mieux. Elle essaie de trouver la meilleure manière. Tout est dans la façon dont on voit les choses». Ces propos reflètent un peu la philosophie antique. Il y a une corrélation entre l’homme et la nature. Tout est une question de perspective. Tout dépend du regard que nous portons sur les choses. Le jeune garçon est-il guéri? L’auteur ne le dit pas, laissant au lecteur le soin d’interpréter. En tout cas, Nick paraît plus serein et comme réconcilié avec lui-même. Le roman véhicule un message d’espoir. Chacun y puisera la part de vérité qui lui convient.

SAMI ANHOURY


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