SE CONSIDÉRANT COMME LA «VOIX OPPOSANTE» AU SEIN DU CABINET
NICOLAS FATTOUCHE, MINISTRE DU TOURISME:
«LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT SONT LES CITOYENS LES PLUS OPPRIMÉS»

Nous l’avons rencontré en son bureau au ministère du Tourisme, après avoir annoncé le programme élaboré pour le «Festival du tourisme arabe au Liban-Eté 97», le monde arabe étant «notre marché touristique naturel». Il ne manque pas d’évoquer, par la même occasion, les problèmes de l’heure et d’autres questions d’actualité, sous l’angle du rôle qu’il assume au sein du Cabinet, se présentant comme la «voix opposante» au niveau du pouvoir. Parlant des élections municipales et des moukhtars renvoyées au printemps 98, M. Nicolas Fattouche, rappelle qu’il en avait réclamé le report dès le premier moment. Il nous en parlera au cours de notre entretien, ainsi que des réformes constitutionnelles et de l’enterrement» de la troïka…

Tout d’abord, il met l’accent sur l’importance du festival du tourisme arabe au double plan touristique et économique. Il y a lieu de signaler qu’en plus du programme de ce festival, le ministre du Tourisme a, également, annoncé les festivals de Baalbeck et de Byblos, de même que l’agenda touristique et le programme de la Foire arabe pour le voyage et le tourisme.

REALISTIONS ACCOMPLIES
A la question:

«Quelles sont, à votre avis, les principales réalisations accomplies par le ministère du Tourisme depuis que vous détenez son portefeuille?»,
M. Fattouche répond: «Ces réalisations sont maintenant du passé et connues de tous. Je n’aime pas rappeler à tout bout de champ ce que j’accomplis, mais je rappellerai parmi nos réalisations le réaménagement de la grotte de Jéita, du rest-house de Saida, de Tyr, l’éclairage des citadelles et d’autres vestiges archéologiques; l’ouverture de bureaux de tourisme à l’étranger. «Puis, le Liban préside la zone du Proche-Orient au sein de l’Organisation mondiale du tourisme».

- Le Casino du Liban est considéré comme l’institution touristique la plus importante; pourquoi le ministère du Tourisme en est-il totalement absent?
«J’ai signé, aujourd’hui, un arrêté habilitant le ministère du Tourisme à avoir le droit de regard sur cette institution. Nous avons tardé à nous manifester, pour la simple raison que nous nous attendions que le Casino se conforme d’une manière convenable aux lois en vigueur».

- Le personnel paraît se plaindre de l’administration…
«Il s’agit d’employés attachés à des sociétés privées et non de fonctionnaires relevant du ministère du Tourisme qui se contente de contrôler et de superviser».

-De quelle manière exercerez-vous ce contrôle?
«Nous prendrons toutes les mesures que la loi nous autorise à appliquer».

« Vous êtes considéré comme une «constante» par rapport au Cabinet, en ce sens que vous faites partie de l’équipe gouvernementale depuis que M. Hariri occupe le palais du gouvernement…
«Seules ma compétence et ma probité sont prises en considération, ainsi que ce que j’ai réalisé dans le ministère que je dirige».

DANS LA LIGNE DU PRESIDENT

- Vous êtes connu pour votre proximité de la direction syrienne; cela ne joue-t-il pas en votre faveur au plan gouvernemental?
«Il ne fait pas de doute que le président Hafez Assad est le phare de l’Orient et, à plus forte raison, de la Syrie et du Liban. J’ai l’honneur d’être proche du président Assad et, aussi, de me situer dans sa ligne nationale. Le monde entier se presse, maintenant, pour se trouver dans cette ligne qui est celle de la dignité, de la fierté et de l’arabisme véritable».

- Considérez-vous être en mesure d’exercer votre rôle et d’assumer vos responsabilités en tant que ministre?
«J’estime que les ministres sont les gens les plus opprimés dans ce pays».

- Comment cela?
Expliquez-vous… «Parce qu’ils subissent une oppression de l’intérieur et doivent assumer une lourde responsabilité envers les citoyens à l’extérieur».

- Vous étiez connu pour être l’un des ministres-opposants du Cabinet. Or, nous constatons que toute voix opposante s’est estompée au sein du Conseil des ministres…
«Au contraire, je reste cette voix opposante et je ne cesse d’exprimer mon point de vue et de défendre mes convictions. Je blâme la Presse qui a cessé de rapporter les délibérations du Conseil des ministres».

POUR UNE LOI ELCTOTALE SAINE

- Vous avez été l’un des premiers parmi les membres du gouvernement à juger difficile l’organisation des élections municipales et des moukhtars dans l’étape actuelle; pourquoi?
«Je l’ai dit en mai 1995 et l’ai répété depuis trois mois; je n’ai pas modifié ma position. La décision du Conseil des ministres renvoyant ces élections au printemps 98 a confirmé mon point de vue. «En réalité, je juge malaisé d’organiser les municipales tant que toutes les personnes déplacées n’auront pas réintégré leurs villages et, aussi, avant l’élaboration d’une loi électorale saine favorisant l’entente entre les Libanais, à la place de projets portant les germes de la sédition parmi les fils d’une même patrie. «D’aucuns pourraient soutenir que la crédibilité du pouvoir est mise à dure épreuve et je répondrai qu’il s’agit des raisons d’Etat, l’intérêt supérieur du pays exigeant l’ajournement d’une consultation populaire dont tous les éléments ne sont pas encore assurés».

- Qu’en est-il de la troïka dont l’enterrement a été annoncé par l’un de ses pôles, suite à un conflit autour du partage des parts?
«Je suis contre la troïka et cette question vous devriez la poser à ceux qui en font partie».

QUID DE LA PROROGATION DE LA LÉGISLATURE
- Qu’est-ce qui justifie, d’après vous, la décision gouvernementale prorogeant de huit mois le mandat de la présente législature, alors que le Conseil constitutionnel avait émis, précédemment, un avis défavorable à ce sujet?
«Le Conseil constitutionnel n’est pas habilité à se prononcer sur cette question, le gouvernement et la Chambre disposant seuls du droit de décision».

- On vous a attribué une déclaration selon laquelle vous auriez dit au domicile du chef du gouvernement: Je n’ai pas commis d’erreur au parlement, mais j’ai commis un impair au palais de Baabda…
«Ces propos n’ont pas été rapportés d’une manière fidèle. J’ai bien affirmé qu’il n’y avait pas de décision permettant de retirer le projet de loi sur les municipalités de l’Assemblée, mais une recommandation. «D’après l’article 64 de la Constitution, le président du Conseil représente le gouvernement, parle en son nom et soumet la politique générale à la Chambre. Lorsque le chef du gouvernement a souscrit à la recommandation de la majorité parlementaire de renvoyer le projet mentionné pour supplément d’étude, il n’a nullement transgressé la loi fondamentale. «Mais le fait pour le Premier ministre de constituer une commission ad hoc sans en référer au Conseil des ministres, constitue une erreur constitutionnelle».

POUR LA LIBERTÉ ET LA DÉMOCRATIE

- L’Autorité est accusée de s’immiscer dans les syndicats et les partis politiques. Qu’auriez-vous à dire à ce sujet après ce qui s’est passé aux élections de la CGTL?
«Je suis éloigné de ce climat. Mais je suis pour la liberté et la démocratie. Il faut que les citoyens puissent porter librement leur choix sur les éléments qu’ils jugent les plus aptes à les représenter dans l’intérêt de la patrie». -

Jusqu’à quel point existe-t-il une vie politique effective au Liban?
«Jusqu’à un certain degré, mais nous risquons d’aboutir à une étape où nous ne tolèrerons plus rien».

- Que pensez-vous des réformes constitutionnelles préconisées par le chef de l’Etat?
«Je préfère ne pas en parler. Puis, on ne connaît pas encore la teneur de ces réformes pour pouvoir les discuter en connaissance de cause». - Pourtant, le président de la République les a exposées au cours d’une conférence de presse radio-télévisée? «On ne peut discuter un texte constitutionnel s’il n’est pas écrit, comme dit Capitan.»

-La conjoncture régionale s’avère de plus en plus crispée: cela affectera-t-il le Liban au double plan sécuritaire (par rapport au Sud) et touristique?
«Quand la situation intérieure est stable et cohérente, rien ne peut l’affecter. Tant que le Liban restera uni, il pourra faire face à tous les complots».

(Propos recueillis par Hoda Chédid).


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