Editorial


Par MELHEM KARAM

LE SUAVE POSSIBLE... NON LE LEURRE IMPOSSIBLE L’ENNUI DE L’APPELLATION ET LE VOL DU THATCHÉRISME ONT VALU LE SUCCÈS À TONY BLAIR

Photo Melhem Karam
Tony Blair a réalisé le jeu et compris que l’affrontement des slogans menant au bonheur social n’aidera pas le parti travailliste - le “new labour” comme il se plaît à l’appeler - à accéder au pouvoir. Il a tiré la leçon de ce qui est arrivé en France, le jour où Mitterrand a décidé de devenir plus de droite que les gens de droite, en recon-sidérant tous les acquis et les décisions sociales: ni système universaliste, ni révision mo-nétaire, mais un style libéral suscep-tible de satisfaire le citoyen, spéciale-ment l’européen. C’est ce qui a permis à Mitterrand de gagner les secondes élections législatives, après les avoir précéde-mment perdues. Tony Blair a agi de même, après avoir eu la certitude que son parti allait perdre les élections de 1992. Il l’a assuré au cours d’une réunion du parti, en relatant l’histoire du propriétaire d’un garage qu’il a trouvé en train de laver son élégante voiture et dont il voulut connaître l’affiliation. Le garagiste répondit: “Comme mon père j’étais, dans le passé, travailliste. Puis, les conservateurs ayant redressé la situation sociale, notre condition s’est améliorée: nous avons acquis une maison; puis, fondé une entreprise et acheté une voiture. Depuis lors, nous sommes devenus des tories”. c’est-à-dire des conservateurs. Blair a enchaîné: “Ceci m’a permis de détecter les causes de l’échec des travaillistes dans toutes leurs batailles. Depuis ce moment, j’ai résolu d’accorder plus d’attention à la situation sociale, en invitant mes partisans à ne pas se laisser gagner par leur entêtement et leurs instincts. Blair avait en permanence un complexe ayant nom Margaret Thatcher qu’il prenait comme modèle. Il l’admirait et voulait suivre sa trace. Après avoir dirigé le parti et suite à quatre revers subis par ce dernier au cours de treize ans, le chef du Labour a décidé de rallier à sa cause les propriétaires des petites entreprises; autrement dit, les éléments à moitié riches de la classe moyenne, ceux-ci ayant abandonné le parti, après avoir amélioré leur condition sociale. Il a donc résolu de les récupérer en usant d’une logique convaincante. Ces électeurs de la classe moyenne ayant favorisé le succès de Margaret Thatcher et des conservateurs, étaient absents et ignorés de tous. Ils n’ont été découverts que par Tony Blair, contrairement à tous ceux qui l’avaient précédé à la tête du parti: Aneurin Bevan, Clément Attlee, Harold Wilson et James Galahan. Blair considère que le parti travailliste s’est attaqué au cours de quatre opérations électorales, à des programmes élaborés par Margaret Thatcher et les a perdues, parce que son programme rejetait le libéralisme et la liberté individuelle prônés par le thatchérisme (le concept de Margaret Thatcher). Ne pouvant modifier la stratégie pour être proche du peuple, Blair a œuvré en vue de forcer la base électorale conservatrice, en faisant sienne l’idéologie tahtchérienne. Margaret Thatcher l’a découvert comme il l’a découverte et a apprécié sa conception moderne évoluée, disant de lui: «C’est le leader le plus éminent et le plus attirant que nous attendions depuis un demi-siècle. Je relève beaucoup de socialisme chez les leaders travail-listes, mais je crois que Blair a tout changé». Quant à lui, il l’a payée de la même monnaie disant d’elle, non sans admi-ration: «J’apprécie son sang-froid, sa direction et sa capacité de donner des directives pour relever un Etat en butte à des difficultés». Durant tout le temps où il a dirigé le «New Labour», surtout au cours des six semaines de la campagne électorale, Blair passait dans le camp de l’adver-saire, s’engageant à ne pas dilapider le legs laissé par Margaret Thatcher, les lois qu’elle a élaborées, jusqu’à leurs textes durs et rigoureux ayant fait l’objet de controverse. Ainsi, il s’est engagé à ne pas abroger les lois syndicales et à être souple sur le plan de l’embauche dont le mérite revient à Thatcher. Il s’est dit heureux et fier, parce que la Grande-Bretagne dispose des lois les plus libérales en Europe, du point de vue de la législation sociale. Il en ramenait le mérite à Thatcher et attirait ses électeurs qu’elle a conservés à l’insu de John Major, lequel n’a pas su préserver le legs thatchérien. Ainsi, le Labour est devenu un parti quasi-capitaliste, promettant la prospérité du «business», prêt à édifier un environnement capable de favoriser le prospérité des entreprises. En dépit du peu de temps qu’il a passé à la tête du Labour, il a su comment nouer des relations profondes avec les riches de Grande-Bretagne qui ont trouvé dans ce jeune leader tout ce qui attire et donne satisfaction. Durant toute sa campagne électorale et bien qu’ayant douté de l’avenir de l’Europe, Blair a improvisé des discours modérés et positifs autour de l’unité européenne, reprenant les symboles et les slogans nationaux, tels que «Union Jack» (le drapeau) et «bulldog». Sa campagne était modérée, se distinguant par sa régularité à la manière des montres suisses. De même, elle a été un modèle de sagesse, de réserve et de réalisme. En effet, il a répété maintes fois qu’il ne pouvait promettre la lune et préférait l’avenir sûr à des rêves impossibles. Les Conservateurs ont réalisé qu’ils étaient perdants, d’autant que le charisme et l’éclat de Blair ont produit leur effet. Il a pu voler leurs plus beaux slogans et les atouts de leurs précédents succès. Mais eux, n’ont pas su ni pu faire face à son invasion qui prenait chaque jour plus d’ampleur, surtout qu’ils étaient sous le poids de dix-huit ans de pouvoir qui use. Sans perdre de vue leurs divergences autour de l’Europe. Ce fut un pari plus dangereux que Tony Blair, lequel a promis un changement sage et équilibré. En termes plus clairs, c’est un thatchérisme modéré proposant aux gens, comme l’a écrit le journal «The Independant», une offre plus suave au cœur des gens que «les écoles et les hôpitaux publics». Cette «modestie» a valu la présidence du Conseil britannique à Tony Blair, sans avoir à porter une valise lourde, exigeant de lui de payer le «surplus de poids». Il agit légèrement, propre et à l’aise, sans s’essoufler face à ceux dont le nombre s’accroît, en le blâmant pour sa légèreté, alors qu’il leur a promis d’être un chef de gouvernement radical, comme il le fut à la présidence du parti. «Je ne suis pas un tribun adroit, dit-il, mais je suis capable de réussir dans d’autres domaines». Après la victoire, la Grande-Bretagne, l’Europe et les pays du globe attendent de Tony Blair le suave possible, non le leurre impossible!


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