Par RENE
AGGIOURI.
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LE SENS D’UNE VISITE |
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Le grand événement, aujourd’hui,
c’est la visite du Pape. Bien sûr. Depuis plus d’une semaine, il
n’est plus question que de cela. Le Patriarche maronite et le Nonce apostolique
ont été harcelés à longueur de journée
par les jour-nalistes toujours insatisfaits d’entendre des réponses
simples à leur curiosité et à leurs spéculations
compliquées. C’est qu’en réalité, les réponses
ne sont pas si simples que cela. Il y a ambiguïté et il n’est
pas facile de la dissiper. Dans cet Orient où le politique et le
religieux se confondent trop sou-vent, comment faire comprendre, par exemple,
que le Pape, à la fois chef d’Etat et chef d’Eglise, ne vient ici
que pour un témoignage de nature spirituelle, alors que le rituel
de sa réception est celui des chefs d’Etat? Il faudrait évidemment
commencer par rappeler que cet Etat dont il est le chef, n’est que symbolique,
un petit quartier de Rome; et que sa puissance temporelle se résume
à quelques dizaines de gardes suisses armés de piques et
de lances pour la parade. Etat en quelque sorte métaphore. Le Pape
ne peut se prévaloir que de son pouvoir spirituel qui est refus
de puissance autre que morale - et c’est pourquoi l’étendue de ce
pouvoir est immense.
*** La visite du Pape est perçue par toute la population et par l’ensemble de la classe politique comme un événement de nature à renforcer la position morale du Liban et à favoriser un effort de réconciliation nationale encore à peine ébauché après une longue guerre. La chaleur de l’accueil devra être à la mesure de ce sentiment. Il y a eu, c’était inévitable, quelques voix discordantes qui ont été, d’ailleurs vite étouffées. Il n’en demeure pas moins que cette visite fait, aussi, l’objet de mesquines manœuvres de récupération. Ainsi, les détenteurs du pouvoir qui croient pouvoir en tirer un surcroît de légitimité - ou leurs adversaires qui veulent y puiser un nouveau souffle - ou cet autre qui prétend la faire servir au rejet public d’Israël. On a eu beau mettre les choses au point en soulignant que ces préoccupations partisanes ne sont pas de mise et que le Pape vient ici en visite pastorale pour témoigner en faveur d’un Liban, modèle de convivialité, il en est qui se montrent incapables de se contenter de ce genre de clarifica-tion. Et pourtant, ce témoignage du chef de l’Eglise catholique est le plus beau cadeau que ce pays pouvait espérer en ces circonstances. Il aura, dans le monde, un effet retentis-sant. Il appartient aux Libanais de toutes les confessions, en le recevant pour ce qu’il est, de prouver qu’ils en mesurent l’importance et qu’ils en sont véritablement dignes. *** Nous ne sommes plus à l’ère des Croisades ou des capitulations. Et s’il existe encore des nostalgiques du “protectorat” des minorités, il n’y a plus une seule puissance européenne disposée à se prévaloir, comme jadis, d’un quelconque droit de ce genre qui n’était, en réalité, qu’une couverture pour le développement de privilèges commerciaux. Il est temps de faire évoluer les esprits vers une meilleure compréhension des réalités de notre époque. On ne saurait, cependant, ne pas évoquer, à cet égard, un obstacle jusqu’ici insurmonté pour hâter cette évolution des esprits: le refus de paix d’Israël, la volonté de ce pays d’avoir la suprématie absolue et totale sur son environnement arabe et, parallèlement, l’incapacité des Etats-Unis, première puissance d’Occident, à limiter cette ambition - sinon leur collusion avec la politique israélienne. Si cela n’excuse pas, cela explique tout au moins certaines polémiques larvées, des réticences ou des interrogations insidieuses que la visite du Pape a pu susciter ces derniers temps. Il y a là le poids de l’Histoire, des préjugés ancestraux, la persistance dans l’imaginaire populaire d’une identification du Vatican à l’Occident tout entier. Aujourd’hui, la papauté est au-dessus de ces relents du passé. Et quand le Pape délivre son message de paix dans la justice et la fraternité, on est prié de le croire et de lui faire confiance. *** Si, en venant au Liban, Jean-Paul II entend redonner vigueur à la chrétienté d’Orient, il veut aussi lui insuffler confiance dans une formule originale de solidarité et de convivialité avec l’Islam. Cette leçon-là s’adresse, aussi, à l’Etat juif. C’est bien là que réside la vraie condition de la paix. Et c’est l’essentiel. |