
Le Pape recevant les Offrandes et se penchant sur un jeune
handicapé qui lui baise la main.
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Le Pape entouré du patriarche Sfeir et des cardinaux.
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La cour extérieure de la basilique Notre-Dame du
Liban, noire de monde.
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La marée humaine noie Harissa sous ses flots. Le vieux rêve
des Libanais se réalise: le successeur de Saint Pierre est là.
La foule en délire attend l’Homme en blanc. Depuis plusieurs années,
le peuple libanais n’avait connu une telle euphorie. Déjà,
la veille et jusque tard dans la nuit, les jeunes défilaient dans
les rues de la capitale, fanion papal haut levé, tambours et klaxons
meublant le silence. Si les plus lucides ne s’attendaient guère
à un bouleversement miraculeux et notoire de la situation, toujours
est-il qu’ils ont compris que la présence du Pape au Liban a fait
bouger les choses, un peu comme une gestation au sein des âmes et
des consciences. La visite du Souverain Pontife vient, incontestablement,
réaffirmer le rôle-message du Liban et le réhabiliter
aux yeux des instances internationales. Comme le Christ a vaincu la mort
et donné l’espérance aux hommes, le Pape aura aidé
les Libanais à vaincre le désespoir.
LA COUR DE LA BASILIQUE NOIRE DE MONDE
Il est 10h30 et déjà la cour extérieure
de la basilique est assaillie par le flot des arrivants. Certains y ont
même passé la nuit. Pourtant, la rencontre n’est prévue
que pour 19 heures. La journée avance, trop lentement pour tous
impatients de retrouver Jean-Paul II. Très vite, la basilique est
pleine à craquer! Pas un coin pour s’y tenir, même debout.
Une liesse inégalable soulève la foule qui alterne chants
religieux et slogans. “Vive le Pape, Vive le Pape” - “John-Paul two, we
love you”, les applaudissements venant clore ou recommencer un nouveau
refrain. Les bannières s’agitent multicolores, jaune-vatican, bleu-marial
ou blanc-paix. La basilique est royalement décorée de bouquets
jaunes et blancs, couleurs du Vatican. Derrière le maître-autel,
les drapeaux du Liban et du Vatican constituent la toile de fond sur laquelle
se découpe une embarcation phénicienne faite de fleurs jaunes
et rouges, avec en son centre, le Cèdre du Liban. Sur la “coque”
s’inscrit la célèbre phrase papale: “Le Liban est plus qu’un
pays, c’est un message”. Sur les murs, des banderoles citant le Pape: “Jeunes,
je vous invite à être les prophètes de la vie, de l’amour
et de la joie” et des mots d’accueil: “Bienvenue au fils bien-aimé
de Marie”. Dans un élan spontané, la jeunesse libanaise a
revêtu des casquettes et des T. Shirts blancs frappés à
l’effigie du Pape ou aux armoiries vaticanes.
VIVA EL-PAPA!
Les jeunes entre deux chants - parfois sur des airs de Rock’n
Roll! - crient: “Vive le Pape”, - “Viva El- Papa” avant d’entonner avec
Elias Rahbani et Pascale Sakr “Alléluia, le Pape est au Liban”.
Le R.P. Mansour Labaky, chante “Vous qui venez de loin, qui nous apportez
la fête, nous vous promettons Jean-Paul II de vivre les termes du
synode”. Le mouvement du renouveau par l’Esprit-Saint à son tour
chante: “Le Pape est parmi nous. Ne craignez point d’ouvrir votre cœur
au Christ. Le Christ est Roi”. Et le peuple, inlassable, scande, applaudit,
agite les bannières et les foulards. Il n’est pas encore 18 heures
et, déjà, les grands dignitaires du clergé s’installent
aux places qui leur sont réservées à la droite de
l’autel. A gauche, les supérieurs et les représentants des
divers congrégations et ordres religieux. Soudain, un branle-bas
agite la basilique: les handicapés font leur entrée et occupent
les premiers rangs. Sur leur chaise roulante, un sourire illumine leur
visage. Ils en oublient presque leurs souffrances. “Anta Akhi”, lit-on
sur l’envers de leurs petits drapeaux qui portent, à l’endroit,
la photo du Pape. Derrière eux, les sourds-muets de l’IRAP, les
yeux pleins d’un incommensurable espoir. L’armée veille, vigilante,
à la sécurité. La Croix-Rouge est prête à
secourir. Les jeunes trépignent d’impatience et clament: “Bienvenue
au Pape Jean-Paul II, Pape de la paix - Bienvenue à nos frères
musulmans”. Les jeunes s’enflamment; on n’entend plus que les applaudissements
assourdissants et les hourrahs. Nous avons compris. C’est sous les vivats
de la foule et les “John-Paul Two, we love you” que le Pape fait son entrée
dans la basilique. Les journalistes étrangers sont ébahis
par la chaleur et la sincérité de l’accueil. Il est plus
de 19h un quart. Il se dirige directement vers les handicapés, les
salue, les bénit. Devant l’autel, un siège digne de Saint
Pierre attend le Pape, mais il déçoit les fidèles
de la basilique et sort s’adresser à la foule qui l’attend, délirante
elle aussi, à l’extérieur.
S.S. JEAN-PAUL II: JE VOUS SOUTIENS PAR LA
PRIÈRE
“Chers jeunes du Liban, ... Tout au long des années passées,
je vous ai soutenus par la prière, demandant au Christ de vous assister
dans votre marche vers la paix; dans votre vie personnelle et sociale.
Par son regard, sa main tendue et sa parole de réconfort, Jésus
appelait chacun à se relever après la faute, car toute personne
a une valeur qui dépasse ce qu’elle a fait et il n’y a pas de péché
qui ne puisse être pardonné”. Evoquant le synode et la marche
d’Emmaüs, le Pape déclare: “Le mot synode veut dire faire route
ensemble. Il l’a refaite (la marche synodale) avec les pasteurs de l’Eglise
catholique au Liban, au cours de l’Assemblée spéciale qui
s’est tenue à Rome en novembre et en décembre 1995... En
mettant votre confiance en Dieu, vous pourrez réaliser de grandes
choses. Tout peut changer lorsque l’on compte d’abord sur le Seigneur.
“Les changements auxquels vous aspirez sur votre terre nécessitent,
d’abord et avant tout, des changements dans les cœurs. En effet, il vous
appartient de faire tomber les murs qui ont pu s’édifier pendant
les périodes douloureuses de l’histoire de votre nation; n’élevez
pas de nouveaux murs au sein de votre pays. Au contraire, il vous revient
de construire des ponts entre les personnes, les familles et entre les
différentes communautés”.
VOUS ÊTES LA RICHESSE DU LIBAN
S’adressant aux jeunes et les poussant à construire un Liban solide,
le Pape a souligné: “Vous êtes la richesse du Liban, vous
qui avez soif de paix, de fraternité et avez le désir de
vous engager chaque jour pour cette terre à laquelle vous êtes
profondément attachés. Le Liban est un héritage plein
de promesses. Attachez-vous à acquérir une solide éducation
civique et morale, pour prendre pleinement conscience de vos responsabilités
dans la reconstruction nationale. Parmi les éléments qui
créent l’unité au sein d’une nation, il y a le sens du dialogue
avec tous ses frères, dans le respect des sensibilités spécifiques
et des différentes histoires communautaires. Pour vous manifester
mon estime et ma confiance, je signerai devant vous l’Exhortation apostolique
post-synodale. Aujourd’hui, je vous choisis comme témoins privilégiés
et comme dépositaires du message de renouveau dont l’Eglise et votre
pays ont besoin”.
Mgr SFEIR: AIDEZ LES JEUNES
Le patriarche Sfeir a, ensuite, pris la parole: “Très Saint-Père,
dit-il, les jeunes qui se pressent dans cette basilique, sous le regard
maternel de Notre Dame du Liban, représentent la jeunesse libanaise,
quelle que soit son appartenance sociale, communautaire voire même
religieuse. Ce sont les plus de 15 ans et les moins de 35 ans. Vous êtes
avec nous pour encourager nos jeunes à bannir les appréhensions
à regarder l’avenir avec confiance. Merci, très Saint Père,
de vous trouver parmi nous. Nous nous réjouissons de vous entendre
nous redire ce que vous avez dit aux jeunes du monde entier: “Renversez
les barrières de la superficialité et de la peur.” “Les jeunes
de chez nous ont besoin d’entendre ces paroles salvatrices de la bouche
d’un père plein de sagesse, de courage et d’amour pour eux.” Interrompant
le patriarche Sfeir les jeunes clament: “Vive la Paix; Et Sa Béatitude
poursuit: “Notre jeunesse est avide de paix et de sérénité;
aspirant à contribuer à la construction d’une société
où le régime démocratique serait affermi, les droits
de l’homme respectés, la justice assurée et l’égalité
des chances établie dans un climat de liberté. Les jeunes
du Liban se voient jusqu’ici, incapables d’arriver, sur le plan politique,
à certains postes de responsabilité. Aussi, me plaît-il
de dire que la jeunesse libanaise est prometteuse. Elle voudrait s’installer,
définitivement, dans le pays des cèdres, y faire fructifier
ses talents sans aller chercher ailleurs, pourvu qu’elle puisse s’assurer
une vie digne, sans se soucier trop de ce que peut lui réserver
l’avenir incertain.” Les paroles du patriarche Sfeir sont saluées
par des “Vive la justice et vive la paix”, alors que les portraits du Dr
Samir Geagea sont brandis par une poignée de jeunes, les poings
liés, symbole des brimades qu’ils subissent. Les photos sont arrachées
par les forces de l’ordre, mais le Pape a largement eu le temps de les
voir.
Mgr BACHA: VOUS ÊTES UN PÈRE,
UN FRÈRE ET UN AMI
A son tour, Mgr Habib Bacha s’est adressé au Souverain Pontife en
ces termes: “Cette rencontre avec les jeunes du Liban a été
longtemps attendue et espérée. Votre Sainteté est,
enfin, là. Nos jeunes voient en vous plus qu’un Père: un
frère et un ami. Ils auraient espéré un dialogue à
cœur ouvert reflétant leur âme simple et profonde. Faute de
quoi, ils se sont concertés pour confier à un jeune homme
et à une jeune fille leur joie de se retrouver avec vous et leur
crainte d’un avenir qui reste incertain. Ils ont choisi l’alternative de
la foi et du courage. Au mois d’août prochain, quelque 3000 jeunes
Libanais auront la chance d’assister à la journée mondiale
des jeunes. Soyez le bienvenu chez nous Saint Père, jeune parmi
les jeunes.” Il est vrai que la personne de Jean-Paul II dégage
un charisme inimaginable et qu’en dépit de son regard perçant,
des soixante dix-sept années que compte sa vie, il émane
de lui, un je ne sais quoi de pur et de juvénile.
VIOLENCE MASQUÉE ET INJUSTICE
Succédant à Mgr Bacha, M. Pierre Najm, étudiant à
l’école de traducteurs et d’interprètes de l’USJ, s’est adressé
au Pape en ces termes: “C’est avec une joie inexprimable que j’ai l’honneur
de m’adresser à vous au nom de la jeunesse chrétienne du
Liban. Votre présence parmi nous revêt une importance suprême
pour les chrétiens d’Orient et, surtout, du Liban... “Nous souhaitons
vous faire part de nos angoisses et nos soucis mais, aussi, de nos attentes
et espoirs. Nos esprits sont troublés. Suite à une série
de déceptions, la jeunesse libanaise prise par un sentiment d’impuissance,
s’est résignée devant le fait accompli et s’est désengagée
de la cité. La pacification qu’on s’obstine à nommer paix
et dans laquelle nous vivons, n’a point guéri les esprits blessés.
La violence masquée, l’injustice et la frustration d’une société
toujours en quête de souveraineté et d’indépendance.
Notre existence chrétienne nous paraît menacée... Etre
chrétien nous paraît un vrai défi et vous êtes
dans la meilleure position pour nous aider à le relever... Enfin,
nous vous demandons, vous qui êtes venu semer l’espoir, d’oser dire
à haute voix ce que nous craignons de dire et ce que nous avons
perdu l’habitude d’exprimer. Votre visite nous rappelle sans cesse malgré
le tableau sombre que nous venons de dépeindre, qu’il n’est pas
de chrétien sans espérance.” Inutile de dire que les revendications
des jeunes et l’expression de leur angoisse se trouvaient sans cesse ponctuées
de “Vive le Pape et Vive la Paix”.
POUR LE DIALOGUE ET LA CONVIVIALITÉ
Mlle Antoinette Khoury a porté au Pape le message suivant:
“A la fin du synode, vous aviez dit: “J’étais affectivement Libanais,
maintenant, je suis effectivement Libanais”. Nous vous avons beaucoup attendu
et ce soir vous êtes effectivement parmi nous. Face à la situation
qui vient d’être présentée, vous venez de nous donner
la clé pour la surmonter. Chacun doit passer, d’abord, par une conversion
personnelle et le choix de l’Evangile comme code de vie. Nous voulons croire
plus fort à l’Esprit Saint qui est consolateur et peut changer toute
chose. “Nous désirons revivre l’expérience des premières
communautés chrétiennes dont la situation n’était
pas plus facile que la nôtre. Nous voulons rencontrer les jeunes
des autres familles religieuses, afin de mieux les connaître pour
mieux les aimer. Ainsi, nous aurons un pays uni. Les points qui nous unissent
sont plus nombreux que ceux qui nous séparent. Il faut savoir les
mettre en relief. Il est fondamental de développer une société
caractérisée par l’ouverture, le dialogue et la convivialité,
afin que le Liban redevienne le Liban - message dont vous parlez... “Dans
des rencontres à cœur ouvert entre jeunes Libanais, chrétiens
et musulmans, il s’est avéré que les deux parties avaient
parfois des préjugés l’un contre l’autre. Lorsqu’une rencontre
franche s’est réalisée, ces barrières ont commencé
à tomber. Aujourd’hui, nous nous sentons renaître. Nous attendons
votre parole et vous promettons de nous engager à l’appliquer et
à faire de cette Exhortation apostolique le point de départ
pour être des témoins crédibles de l’Evangile.”
SIGNATURE DE L’EXHORTATION
Le Pape ému, embrasse les deux jeunes qui viennent de lui faire
part de leurs appréhensions et de leurs souhaits. Il les invite,
ainsi que tous les présents, à faire la prière suivante:
“Seigneur Jésus, viens à notre secours. Tu as mis l’allégresse
dans nos cœurs et tu nous as donnés la vie. Indique - nous la voie
à suivre.” La lecture de l’Evangile suit ces mots pleins de foi.
Puis, le Pape se penche; il signe l’Exhortation apostolique post - synodale
et en remet le texte au patriarche Sfeir. Il est clair que le vicaire du
Christ porte une affection toute particulière au chef de l’Eglise
maronite. Il s’appuie sur lui et l’étreint à maintes reprises.
Les prières ont pris fin. Commence, alors, le long défilé
des cadeaux qui lui sont remis par les jeunes des différentes régions
libanaises; coutellerie de Jezzine, cèdre du Liban, olivier, symbole
de paix et vigne, symbole de la foi chrétienne, un tapis, un tableau
dont l’auteur a vu dans la visite du Pape une résurrection, une
icône réalisée par les handicapés, une autre
de la Vierge, une statuette du Saint-Père en argent, exécutée
par un jeune musulman... A son tour, le Pape offre à la basilique
de Harissa un chapelet précieux qu’il remet au patriarche Sfeir.
Les jeunes applaudissent clament: “Jean-Paul II, merci,” avant de lui faire
leurs adieux et de lui souhaiter un joyeux anniversaire sur le refrain:
“Sana Helwa ya Gamil - Sana Helwa ya Baba”. La signature du texte du synode
en présence des jeunes et sa remise entre leurs mains est une lourde
responsabilité que le Souverain Pontife leur a confiées.
L’accueil qu’ils lui ont réservé et l’enthousiasme qu’ils
ont montré à le retrouver, ont prouvé leur engagement
et devraient être une leçon pour nos dirigeants censés
avoir compris que les jeunes du Liban sont capables d’apprécier
les personnes sincères et de s’engager pour les causes justes. La
joie au cœur et les larmes aux yeux, les jeunes résignés,
ont laissé partir Jean-Paul II. Lui aussi semblait regretter ce
départ. Ils avaient tenté de prolonger la rencontre au possible.
Mais les rêves ont toujours une fin.

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