Par MELHEM
KARAM
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TURQUIE: LE FANTÔME DE L’ISLAMISATION... L’EUROPE ÉTANT LE SAUVEUR |
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La situation se dégrade beaucoup entre le gouvernement de Najmeddine Erbakane, leader du parti islamique “Rafah” et l’autorité militaire turque. Etant entendu que leurs rapports n’ont aucun jour été classés dans la case du grand amour. Aujourd’hui, ils s’orientent vers la guerre ouverte. Les militaires avaient mis tout leur poids pour empêcher le “Rafah” d’accé-der au pouvoir, après s’être classé en tête de liste aux élections législatives de décembre 1995. Les généraux ayant la haute main sur le “Conseil national de sécurité” ont accepté, contre leur gré, une coalition entre les islamistes et le parti de la “Juste voie” que préside Tansu Ciller, la “femme de fer” à la manière turque qu’ils connaissent bien, pour l’avoir soutenue en vue de présider le gouvernement depuis des années. L’accord conclu en juin dernier entre le “Rafah” et la “Juste voie” prévoit la passation de la présidence du Conseil, à tour de rôle, entre Erbakane et Ciller. Les militaires attendaient avec une patience qui est sur le point de prendre fin, le retour de Ciller. Mais celle-ci semble s’être rebellée contre les militaires, car elle craint si elle mécontentait Erbakane, que son parti la lâche. Elle perdrait sa majorité et, partant, son immunité. Elle devrait, alors, comparaître devant la Justice, des procès lui étant intentés pour corruption et ceci mettrait un terme à son avenir politique. Les choses se sont dégradées entre l’armée, Erbakane et Tansu Ciller. Quand les militaires ont eu la certitude de faire face à une islamisation rapide de toute la société turque, à travers l’école et la fonction publique, ils ont jugé le moment venu de donner un grand coup, parce qu’ils se considèrent comme les garants de la république laïque fondée par Moustapha Ataturk en 1923. En février dernier, ils avaient adressé au gouvernement un ultimatum ayant eu pour conséquence de préserver le cachet laïc des institutions, comme de la société turque et de raviver des pratiques suspendues, notamment: l’interdiction du port du voile par les femmes et les jeunes filles dans les administrations; la fermeture des écoles islamiques qui ont rapidement proliféré; la mise d’un terme à la domination du “Rafah” sur les institu-tions, tout en éliminant les programmes pro-islamiques à la télévision. Erbakane a feint de souscrire aux directives des militaires. De fait, il a laissé ses partisans poursuivre l’islamisation. Exas-pérée par ce comportement après l’avoir découvert, l’institution militaire a donné un nouveau grand coup le 26 avril dernier. Ainsi, elle a convoqué Erbakane au siège du Conseil national de sécurité où se trouvent les bureaux des responsables militaires de la Défense, de l’Aviation, de la Marine et de l’Infanterie. Au cours d’une réunion prolongée, elle l’a sommé d’appliquer sur-le-champ les décisions prises deux mois plus tôt. Erbakane a réalisé, à ce moment par sa perspicacité, que la non application des directives des militaires le conduirait à sa perte. Le lendemain, huit écoles religieuses fermaient leurs por-tes; elles seront suivies d’autres. C’est ce que le parti “Rafah” a exécuté contre son gré, lui qui pariait sur l’islamisation pour gagner les jeunes à son idéologie et préparer ses cadres pour l’avenir. Ceci était le prix du maintien du gouvernement. Quant à Tansu Ciller et suite aux conflits internes au sein de son parti, elle devait accepter cet état de choses, afin de rester dans la coalition gouvernementale. Le soir même où a siégé le Conseil national de sécurité, les ministres de l’Industrie, du Commerce et de la Santé présen-taient leur démission; il s’agit de Yakim Erez et Yldirim Actuna. Ceux-ci accusaient Erbakane d’exposer la démocratie aux dangers, de même que la république laïque. Des accusations ont été montées en épingle par certains officiers supérieurs, lesquels ont pris violemment à partie le “Rafah”, considérant que le fondamenta-lisme isalmique est devenu un danger, plus grand que le parti ouvrier kurde, ce dernier étant engagé dans une révolte armée contre le régime turc depuis 1984. C’est ce qu’a proclamé le général Cevik Bir, chef d’état-major. Voulant éviter une épreuve de bras-de-fer avec l’armée, bataille dont il ne peut sortir vainqueur, Erbakane a menacé d’ap-peler à des élections anticipées, celles-ci étant fixées, initialement, à l’an 2000. “Ce gouvernement, a-t-il dit, jouit de l’appui du parlement et du peuple. L’alliance, elle, disposait de 40 pour cent de l’appui populaire lors de sa constitution. Aujourd’hui, cet appui dépasse 80 pour cent”. Il l’a dit devant les députés de son parti. Cependant certains craignent que si Erbakane devait dissoudre le parlement et organiser des élections anticipées, les forces armées se comporteraient de la façon habituelle, celle-ci étant devenue une tradition turque, à savoir; procéder à un putsch que tous déjà voient se profiler à l’horizon. Les militaires sont peinés de constater que le “Rafah” n’a obtenu que 20 pour cent des suffrages, proportion au moyen de laquelle il veut opérer un changement. Que serait-ce s’il disposait d’une majorité écrasante; c’est-à-dire des 80 pour cent des électeurs qui n’ont pas voté en sa faveur, parce qu’ils sont acquis à la laïcité, celle-ci étant adoptée par tous les partis turcs, qu’ils soient de droite ou de gauche? Cela fait apparaître le “Rafah” comme étant hostile à la laïcité, même si ses chefs se montraient modérés sur ce point dans le passé, pour accéder au pouvoir. Quant au parti de la “Juste voie” de Tansu Ciller, il se réclame de Moustapha Kamal qui est laïc. Lorsqu’elle a posé sa candidature aux élections européennes, Ciller a me-né campagne sous le slogan de la lutte contre l’islamisation en Turquie, considérant le Kémalisme comme le rempart de l’Etat. Mais Ciller est impliquée dans les scandales et la corruption, au point de devenir l’otage du “Rafah”. De là, tout le monde craint de voir la situation évoluer vers le pire, seule l’Europe étant capable de sauver la Turquie de l’islamisation; de ce fait, elle assume une grande responsabilité et est donc tenue de venir en aide à ce pays. Ce qu’a peut-être dit à ce propos le chancelier Kohl est très grave. Il a déclaré que l’adhésion de la Turquie à l’Europe est rejetée, en raison d’un différend autour de la civilisation. Ces paroles importantes ont été rapportées par M. Pengatos, ministre grec des Affaires étrangères, lequel a répondu immédiatement en ces termes: “Il est honteux d’exclure un Etat d’une société déterminée dont il mérite de faire partie, pour la simple raison qu’il est musulman. De-main, notre tour viendra, parce que nous sommes ortho-doxes”. Les craintes de ce que la Turquie devienne une seconde Algérie ne se justifient pas, car la force islamique existait dans le second pays avant l’intervention de l’armée, ce qui écarte la comparaison entre les deux cas. Mais ceci ne signifie pas que la situation en Turquie n’est pas inquiétante, dangereuse et instable. La Turquie évolue vers le pire; il en sera ainsi, tant que la situation n’y est pas réglée par la sagesse, la prévoyance et la modération. | |
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