Comme faisait dire Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière, à son personnage du Bourgeois Gentilhomme : “Il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse…” Telle pourrait être la réaction des internautes naviguant dans le Web depuis quelques années et ignorant que cette procédure portait l'appellation “pull”. Le pull, de l'anglais tirer, vous obligeait à aller chercher les informations pour éventuellement les sauvegarder. Le “push” est l'opposé du “pull”, ce sont les informations qui sont sélectionnées pour vous ; puis “poussées” vers votre machine. Plus prosaïquement, le “pull” était ce qui fit le succès du Net : la possibilité offerte à tout un chacun d'aller à la pêche aux informations. Il cherche, il sélectionne, il trouve, il prend ! Simple, rapide (pas toujours) et tellement excitant. D'un point de vue purement commercial, le Web, bien qu'ayant fait ses preuves, ne décolle pas vraiment et nombre de sociétés perdent de l'argent en attendant d'en gagner… S'ils en sont encore à un stade embryonnaire, le marketing et la publicité online sont inévitablement voués à une progression exponentielle, parallèlement à celle des serveurs Web. (cf. graphique) La préoccupation majeure des annonceurs est de mieux orienter leurs publicités en fonction de leurs cibles.

Une nouvelle révolution est en train de s'opérer.

Elle modifiera - une fois n'est pas coutume - notre manière d'appréhender l'information à l'aube du troisième millénaire. Avantage marketing d'un tel changement : l'utilisateur est parfaitement ciblé. S'il lit un magazine sur les nouvelles technologies et demande des infos (gracieusement données) sur les voitures, les annonceurs d'automobiles et d'ordinateurs ou de téléphones cellulaires vont se précipiter sur ce consommateur potentiel qui deviendra, tôt ou tard, un acheteur réel. Ford, Nokia et Ibm, vont donc promouvoir leurs nouveaux produits sur les pages qui seront destinées à cette personne. Paradoxe de ce don désintéressé: tout se paye... Le client est satisfait des données, en échange de quoi, son profil est transmis aux annonceurs qui pourront mieux cerner ses demandes ; il devient ainsi la proie idéale d'un matraquage publicitaire massif. Le danger de cette omniprésence de publicité serait d'arriver à saturation. De même que trop d'infos tue l'info, trop de pub peut entraîner un ras-le-bol qui mènera à un boycott pur et simple. Il ne faut pas oublier qu'Internet était, il n'y a pas si longtemps, vierge de publicité et de commerce. Cette invasion est encore très mal perçue par nombre de pionniers (chevelus) du Réseau à l'esprit communautaire très ancré.

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Les parades.

La publicité classique du Web, peut être contournée si l'utilisateur ne s'y intéresse pas ; rien ne l'oblige à cliquer sur une bannière afin d'en connaître le contenu. Il l'aperçoit quelque part dans son browser (1) ; puis, défile son écran se concentrant sur les données recherchées. Il n'a peut-être même pas aperçu la réclame… Tandis qu'avec le système “push”, la publicité est subie par l'utilisateur qui voit un petit film défiler dans un coin de son écran en permanence : c'est le prix à payer pour la gratuité des informations d’après PointCast. Cela n'a rien de surprenant, cette méthode n'est autre que celle d'un autre média de masse : la télévision ! En effet, s'inspirant largement des “bouquets de chaînes” que les systèmes câblés proposent, le “webcasting” offre un choix d'informations classées par thèmes ou “canaux”. Le “push” change la donne, c'est l'information, émise par des diffuseurs nommés “newscasters” qui va vers l'utilisateur équipé de récepteurs adéquats. Autrefois, la pub se faisait désirer, il était nécessaire à l'utilisateur de s'y rendre ; elle apparaissait aléatoirement, sur des panneaux publiés grâce au principe de l'achat d'espace. Aujourd'hui, le “push” l'impose. Progrès non négligeable donc, d'un point de vue rendement, ce qui explique le nombre impressionnant de publicités interactives - dont la composition est aussi fouillée qu'agréable - des nombreux canaux du logiciel PointCast. Elles utilisent des techniques de mini-clips à la manière des “gifs animées” (succession d'images mises bout à bout, donnant un effet d'animation), dont le téléchargement est effectué en même temps que celui des infos. Ces petites séquences promeuvent l'image de marque des sociétés alors, on ne lésine pas sur leur taille.

Comment cela fonctionne ?

Prenons l'exemple de PointCast. Après avoir téléchargé, puis installé le logiciel PCN (PointCast Network), il suffit de demander au serveur de mettre à jour les données (ce qu'il fera en n'omettant pas les lourdes publicités). PCN est une application autonome, puisque équipée de son propre browser, qui ne peut cependant rivaliser avec les indispensables Explorer et Navigator. Les informations seront importées en l'espace de 20-35 minutes, suivant le nombre de canaux choisis. Le Wall Street Journal, qui a récemment rejoint le réseau PointCast est un canal. On peut y sélectionner, les principaux titres, les nouvelles européennes ou asiatiques. Sur CNN on aura le choix entre le sport, l'économie... Entièrement paramétrable, PCN a, depuis sa mise en place, conquis plus d'un million et demi d'utilisateurs et pour cause. Gratuit, simple, il peut même servir d'économiseur d'écran (l'actualité défilant sur le moniteur). Une excellente alternative au “push-industriel” : Headliner Professional. Ce nouveau venu dans l'arène, s'intègre dans la barre des tâches de l'interface Windows 95 et reste très économe en bande-passante. La raison ? Pas de publicité. Il offre en outre la possibilité de recevoir jusqu'à 600 chaînes et de créer les siennes ; peut prévenir des dernières tendances du marché par e-mail ou directement sur les “pagers”. Headliner agit comme un plug-in (2), il délivre les informations par titres et ouvre le navigateur lorsqu'on clique sur les titres.

Quant le “push” acquit ses lettres de noblesse.

Marimba, jeune start-up de la Silicon Valley voit le jour en février 1996. L'équipe n'est alors constituée que de quatre “anciens” de Sun, l'inventeur du langage Java. Aujourd'hui, Marimba emploie une vingtaine de personnes et engrange des millions de dollars. En effet, cette jeune société détient une majeure partie de la technologie “push”. Elle diffuse informations et programmes à destination des entreprises et des particuliers, ayant l'avantage d'être totalement autonomes. Marimba est à l'Internet ce que le DOS fut aux PC : le nerf de la guerre. Kim Polese, la présidente de Marimba serait-elle la future Bill Gates ? Nul doute qu'avec une telle arme, ses ambitions sont à la mesure de ses moyens.

C'est nouveau, c'est beau ?

Le “push” n'a pas inventé l'info à domicile. Depuis longtemps, le principe de “mailcasting” a fait ses preuves. Abonné à une liste de diffusion, vous recevez, régulièrement des informations sélectionnées directement dans votre boîte aux lettres électronique. La différence c'est que le “push” peut également proposer des programmes et toutes sortes d'applications. Il peut en effet agir comme un moteur de recherche ou mieux, un agent intelligent.

Le PC converti en télé ?

C'est un peu cela oui. Sauf qu'ici on n'est pas obligé de subir les aléas des grilles de programmes télévisés : pitreries d'animateurs pseudo-comiques ou prolifération d'émissions sans intérêt. On n'a que ce que l'on choisit. Un autre avantage du “push” selon Marimba est que l'utilisateur n'aura plus la hantise de la prochaine version de son logiciel. La société californienne peut également transmettre des mises à jour, ainsi que des programmes entiers, que ce soit des jeux ou des applications professionnelles. Point de soucis donc, tout sera poussé vers votre ordinateur et stocké sur le disque dur. La ligne de conduite de l'équipe à l'origine du langage Java, demeure : universalité et autonomie. Disons plutôt : le PC transformé en salle de rédaction ou encore en plate-forme de communication, car c'est de cela qu'il s'agit. A terme Microsoft prévoit de transformer chaque ordinateur fonctionnant sous Windows, en chaîne. Ces projets n'ont semble-t-il rien d'utopiques.

Retour en arrière…

Mais alors, le “push media” est une régression vers la passivité ? L'interactivité n'est-elle pas la clé du futur ? On a longtemps critiqué le côté légume, que l'on peut devenir rapidement, en regardant son poste de télévision et voici que ces fabuleux progrès nous ramènent des années en arrière ? Les “couch potatoes” (3) sur lesquels ironisent les Américains envahiraient-ils la population énergique du Net ? Il est vrai que d'un point de vue rendement, le média télévisé est le plus puissant. Peut-être pas le meilleur, mais sans conteste celui qui brasse les plus grandes sommes d'argent, car touchant une grande partie de la population. La technique de “broadcast” est donc retenue ; elle consiste à diffuser, à la manière des radios et télévisions qui sont des distributeurs d'informations. Le “push” a donc un avenir assuré et faire du neuf avec du vieux s'adapte - étrangement - assez harmonieusement aux technologies de pointe. Mais n'est-ce pas dans les vieilles recettes que l'on fait les meilleurs gâteaux ? Alors le “push”, LA solution ultime des “news junkies” (accros à l'info) ? Pas sûr ! Car ce système, bien que simplifié au possible, tue l'interactivité et la liberté qu'offre le surfing habituel. Ensuite, il est mieux adapté aux entreprises et profession-nels disposant d'une connexion permanente, permettant ainsi des mises à jour régulières. Nombre de particuliers sont donc exclus. Sans oublier que dans les rubriques de certaines “chaînes” utilisant le “push”, les communiqués de presse masquent la vraie information. C'est donc la fin du Websurfing ? Non, mais une baisse conséquente : le Net n'a pas tué le livre, et le courrier électronique n'a pas mis fin aux bonnes vieilles cartes postales, leur usage s'est simplement raréfié. L'arrivée du “push” traduit un besoin de sur-mesure. La demande existe, on la satisfait.

Alors le “push” c'est pas bien ?

Si c'est très bien, c'est même un gain de temps non négligeable. Imaginez plutôt : le temps perdu à télécharger sans cesse des données sur le Réseau, sera du temps gagné à les lire. Pendant que l'on vérifie son e-mail, ou que l'on visite les nouveaux sites, le navigateur se charge de rapatrier les informations qui pourront ensuite être lues en offline. La force du “push” est principalement le fait qu'il ne remette pas en cause le Web mais offre une nouvelle option à ceux qui, après une dure journée de travail, n'ont pas spécialement envie de partir à la recherche d'informations et qui aimeraient bien redevenir passifs pour quelques moments. Sans oublier ce que pourra apporter le “push” dans un proche avenir. Imaginez : avant de quitter votre maison le matin vous préparez la partie du jeu d'aventure qui se déroulera le soir. A votre retour, la machine aura sélectionné le niveau idéal, les adversaires à travers le monde et n'attendra plus que vous pour une partie endiablée. Ou encore vous demandez à votre ordinateur d'effectuer des recherches sur les Incas et d'interroger des spécialistes de la question et quelque temps plus tard, les données seront poussées vers votre ordinateur. Ce n'est pas de la science-fiction, c'est déjà disponible. Un accès instantané et personnalisé à l'information où qu'elle soit, tellement précis que cela fait réfléchir...

Pourquoi cet engouement ?

La raison est simple : le Web est vaste et lorsqu'on trouve un bon site dans cette masse astronomique de documents, on y reste fidèle. Ce critère joue en faveur du “push”. Autre avantage : comparons la livraison du journal à domicile tous les matins ; c'est indéniablement plus confortable que si l'on avait à réfléchir à son achat éventuel en kiosque… Pour preuve qu'il ne s'agit plus guère d'un simple phénomène de mode : les deux géants et ennemis jurés de l'Internet : Microsoft et Netscape adoptent le “push” pour leur nouvelle génération de browsers (dont les versions définitives seront disponibles sous peu). Sans oublier l'autre grand réseau : America OnLine qui a choisi cette technologie pour la version 4.0 de son logiciel ayant pour nom de code Casablanca.

Frères ennemis.

Comme toujours avant la mise en place d'un standard donné, Netscape et Microsoft demeurent incompatibles sur bien des points, chacun espérant imposer sa norme. Netscape refuse d'adopter la norme CDF (Channel Definition Format) proposée par Microsoft. En effet, les responsables de Netscape affirment qu'il est inutile d'accepter ce standard, car Netcaster utilisera exclusivement ceux déjà existant sur le Net, tels Java, Javascript et le HTML 3.2. Les jeux ne sont pas joués et il est clair que rien ne sera gagné avant un accord pour un protocole commun. D'ici là, le champ est totalement libre. Le réel danger d'une telle scission, serait de partager le Web en deux camps et qu'à l'avenir l'utilisateur lambda soit obligé de choisir le sien. Cette fissure n'arrangerait en rien l'esprit tribal dont se targue Internet. Déjà séparés par la simple utilisation d'un navigateur, les internautes seraient cette fois “physiquement” différents. De fait, on serait obligé chaque fois que l'on désire une information donnée, de jongler entre les applications suivant que celle-ci se trouve chez Netscape ou Microsoft. C'est un peu plus complexe qu'un simple zapping, cela reviendrait - si l'on reprend l'exemple télévisuel - à réorienter votre antenne parabolique vers tel ou tel satellite suivant le programme voulu. Pas très pratique... En consommation de RAM, d'espace disque dur et fonctionnalité on a également vu mieux. La taille des fichiers, entre la version 3 et 4 a tout simplement doublé ! Le prix des mémoires a certes baissé mais nombre de machines fonctionnent encore avec 16 voire 12 mégas... Et, lorsqu'on sait que Netscape 4.0 réclame 16 Mo, on comprend rapidement qu'il serait plus à son aise avec le double. Vient s'ajouter un autre hic. Celui de l'usage intensif de la bande passante (jusqu'à dix fois plus), dû à un rapatriement surélevé en graphismes. S'il est un chose que le “push-media” impose également, c'est bien la surconsommation d'information. On en reçoit en effet bien plus que l'on ne va en exploiter.

Bill contre-attaque !

Bill Gates, patron de Microsoft a réussi à convaincre PointCast, inventeur du “push”, d'inclure ses canaux dans le futur Active Desktop, technologie qu'adoptera Internet Explorer 4.0. Netscape n'est pas en reste avec une vingtaine d'éditeurs gagnés à sa cause : Time Warner, ZDNet, Gartner Group, et CNET, ainsi que CNNfn et ABC News, déjà inclus. Quinze autres éditeurs de logiciels ont affirmé que leurs serveurs “push” seront capables de transmettre des informations aux clients de Netcaster. Celui-ci sera inclus dans Netscape Communicator (ex-Constellation) et permettra de recevoir les chaînes. La quatrième génération de navigateurs ne sera pas une simple évolution, mais l'avènement de véritables plate-formes communicantes. Les alliances se multiplient contre le tout-puissant Bill Gates dont nul n'accepte l'hégémonie. Netscape a même un accord avec Marimba pour que celle-ci inclue son Tuner dans Netcaster. Confirmation si besoin est, qu'Internet et autoroutes de l'information ne font qu'un ! Les enjeux sont cruciaux ; c'est de l'avenir du Réseau des réseaux qu'il s'agit et de la manière dont on va percevoir l'information dans les prochaines années. En allant la chercher ou en la laissant venir à nous... ? D'aucuns affirment que cette technique ne prendra que lorsqu'elle sera plus simple d'emploi. Aussi facile que d'allumer sa télévision et zapper sur les chaînes. Emergence d'une technique dite de “Webcasting” à l'instar du système de “broadcast” (diffusion) T.V. et radio. Bien que les sociétés proposant du “push” se bousculent au portillon, seules quelques-unes survivront à cette tempête. Wayfarer, Intermind, Starwave, Tibco... sont autant d'entreprises ayant parié sur le “push”. Cette multiplication classe les commerçants de “push” en deux camps bien distincts : Dans le premier, les sociétés comme Marimba, qui vend sa technologie à des entreprises désireuses de se transformer en émetteur d'informations. Et dans l'autre, PointCast et consort qui récupèrent l'argent des publicités et abonnements sur le contenu qu'elles délivrent.

Phase de transition.

La puissance des ordinateurs et la vitesse de connexion s'accélérant, nul doute que le “push” a de l'avenir. Ceci étant dit, il sera mieux adapté aux technologies du futur, comme les connexions continues à base de fibre optique. Le marché naissant du “push” n'est négligé par aucun "grand". Tout le monde veut sa part. Si cette méthode a également séduit de nombreux éditeurs, c'est par la possibilité d'expédier des informations sans craindre une visite incertaine de leurs sites.

Réminiscence.

Il existe plus d'une similitude entre ce que vit l'Internet aujourd'hui et les débuts de la télévision. D'abord, un nombre limité d'entreprises leader : Microsoft, Netscape, Marimba, PointCast. Un peu comme TF1 ; puis, Antenne 2 autrefois, ou encore ABC, CBS, NBC... Ensuite, un gigantesque marché à conquérir et enfin l'influence psychologique et le façonnement des comportements sociaux du prochain siècle.

Poussez pas, il y en aura pour tout le monde !

Bien que le “push” soit immanquablement l'avenir du Net, deux problèmes majeurs persistent : 1) il n'est pas totalement au point : de fait, les incompatibilités entre les systèmes risquent à terme de créer des complications. 2) il est en avance de quelques années sur l'équipement actuel des foyers connectés au Réseau. Malgré cela, il s'imposera et se développera allant jusqu'à inclure dans un avenir proche son inspiratrice : la télévision.

S.K.


(1) Browser : navigateur permettant de consulter les pages Web, d'envoyer et de recevoir du courrier électronique...

(2) Plug-in : petit logiciel qui vient s'ajouter au programme principal afin de lui rajouter une option ou d'en améliorer le fonctionnement.

(3) Couch potatoes : mollasson. Se dit surtout de quelqu'un qui passe sa vie à regarder la télé.