Par RENE
AGGIOURI.
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UN APPEL À LA JEUNESSE |
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Maintenant que la page des rituels officiels
et de la liesse populaire est tournée; maintenant que les témoignages
de ferveur et d’espoir ont été entendus; maintenant que la
fièvre est tombée, on peut mieux réfléchir
sur le passage du Pape parmi nous. Trois recommandations essentielles sont
retenues de son message: - approfondir le dialogue islamo-chrétien
et le traduire en termes politiques par la consolidation d’un modèle
libanais de société multiculturelle; - construire un ordre
social plus juste et plus réellement démocratique, doté
d’institutions indépendantes; - parfaire la souveraineté
de l’Etat sur l’ensemble de son territoire. Ces trois points n’ont pas
la prétention de résumer l’admirable texte de «l’exhortation
apostolique» qui dresse un tableau exhaustif de nos problèmes,
à la fois nuancé et précis. Ces trois points ressortent
de l’ensemble des discours prononcés par le Pape.
*** On imaginerait difficilement que des Libanais, considérant les choses rationnellement et avec un minimum d’objectivité, puissent être en désaccord sur le sens de ce message. A quelques nuances près, apparemment, ils ne le sont pas. C’est déjà un progrès. Le problème est ailleurs. Il réside dans la question de savoir qui, quel groupement, quelle force est en situation, dans les circonstances actuelles, de traduire ces orientations en efforts pour atteindre les objectifs qu’elles assignent. Il y a sans doute une tâche spécifique qui revient aux commissions épiscopales. Mais il y a, aussi, une mission plus spécifiquement politique qui relève de la société civile. La classe politique mise en selle par les accords de Taëf est accusée, généralement, d’avoir dévié de la voie tracée par ces accords, de les avoir même violés et donc d’avoir échoué. Mais elle détient toujours les rênes du pouvoir. Et M. Hariri a pu affirmer, sur l’aire de l’aéroport, après le départ du Pape: «L’indépendance des institutions? C’est bien ce que nous nous efforçons de réaliser». Il le croit sincèrement, mais on a le droit d’avoir des doutes. Au-delà de cette classe politique, le Pape s’est adressé aux jeunes. C’est avec eux qu’il a engagé le dialogue public. Ils lui ont exprimé leurs doutes, leur angoisse et leurs espérances. Et il les a électrisés en soulignant avec force qu’il leur appartient, à eux, de construire l’avenir. Sa visite au Liban étant d’abord pastorale, les jeunes qui l’acclamaient à Harissa formaient un auditoire surtout chrétien. Mais son discours s’adressait, par-delà cet horizon, à toute la jeunesse du Liban, sans considération d’appartenance religieuse. Ce message a été compris. Il reste à le traduire en action. Cela ne signifie-t-il pas que les jeunes devront s’employer, désormais, à organiser des rencontres interconfessionnelles afin que puissent être posées les fondations de nouveaux regroupements politiques, susceptibles d’assurer un jour la relève? Dans les années qui avaient précédé l’accession du Liban à l’indépendance de 1943, des efforts dans ce sens avaient été faits; les premiers remontaient aux premières années de la République. Il s’agissait, alors, soit de mouvements de jeunesse nationaliste qui devaient plus tard dévier de leurs principes de base, soit de coalitions électorales qui devaient se défaire progressivement à l’épreuve du pouvoir, mais qui avaient tout de même construit un Liban indépendant et prospère. Aujourd’hui, la conjoncture est différente. La guerre de 1975 a fait table rase du passé. Les accords de Taëf n’ont servi qu’à promouvoir une paix sous tutelle syrienne, sans pouvoir représenter une véritable volonté de reconstruction d’une nouvelle classe politique susceptible de bâtir un Liban moderne, sur un nouvel ordre social. *** Cette jeunesse que le Pape a incité à assumer ses responsabilités, c’est-à-dire son avenir, n’aura pas la tâche facile. Les blocages sont nombreux. Ils sont d’ordre psychologique, d’abord, car cette jeunesse est la génération de la guerre. Elle n’a connu qu’un Liban cloisonné. Ces blocages sont aussi d’ordre politique, car ceux qui monopolisent, depuis sept ans, les institutions de l’Etat et le pouvoir, ont des intérêts à défendre. Ils bénéficient d’appuis extérieurs et ils ne lâcheront pas prise. Pour réussir à surmonter ces difficultés, il faut avoir d’abord la foi, cette foi qui déplace les montagnes. Et pour commencer, abattre les cloisons et établir des ponts. Ce sera un chemin très long et parsemé de pièges. Pour franchir la distance, il faut commencer par faire les premiers pas. Et, dans le cas de ce pays, les premiers pas devront être faits à partir des deux extrémités du chemin. Pour aller à la rencontre l’un de l’autre. Pour fonder un «Pacte national» rénové. Quoi qu’il en soit, le message apostolique a bien jalonné la route de nombreux repères et la visite du Pape a déclenché une dynamique qu’on ne pourra pas arrêter. |
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