Abdel-Halim Caracalla: “Je suis génétiquement
lié à Baalbeck”.
Quoi de plus naturel que le fils de Baalbeck lié “génétiquement”
à la Citadelle, tout de gloire revêtu par huit créations
artistiques consacrées à travers le monde, revienne chez
lui et dépose au pied de Bacchus son bouquet de légende,
sa “neuvième symphonie”, “l’Andalousie, la gloire perdue”? C’est
avec une certaine angoisse doublée de ferveur que Abdel-Halim Caracalla
a reçu l’invitation du Comité du festival: se produire à
Baalbeck. Il espérait, secrètement, ne pas devoir affronter
Baalbeck là où en 1974, date de l’arrêt du Festival,
il s’apprêtait à présenter sa première grande
production: “Les miracles des bizarreries et les bizarreries du miracle”.
C’est par un juste retour des choses qu’il va donc re-prendre le Festival,
là où la guerre l’a-vait laissé? Et c’est enfin en
se lançant dans l’action, en observant les réactions des
danseurs “qui ont en-trepris un travail de cré-ativité admi-rable
comme ils ne l’ont jamais fait”, qu’il a pu tant soit peu être rassuré.
Conçue initialement comme une œuvre annexe d’Elissar, repris en
ballet complet, “l’Anda-lousie, la gloire perdue” a engagé d’immenses
moyens. Alan Burrett une notoriété mondiale au niveau de
l’éclairage, qui a travaillé avec Zefirelli et servi dans
quinze ballets de Béjart, est venu mettre au point l’éclairage
de la scène. Ben Dickens (apparenté à l’écrivain
Charles Dickens) qui coopère avec le Royal Ballet de Covent Garden
a agencé la machinerie du décor à la fraction de seconde.
Tous les deux seront sur place un mois et demi à l’avance afin que
tout puisse conférer au spectacle les dimensions internationales,
sublimes et grandioses, que requiert Baalbeck. Des batailles rangées
auront lieu sur scène. Des costumes éblouissants aux broderies
de lumière, habilleront les quatre-vingt-quatre danseurs-acteurs.
Les plus belles Mouashahats seront au rendez-vous pour raconter la splendeur
perdue de l’Andalousie. Abdel-Halim Caracalla qui signe le spectacle: chorégraphie,
direction artistique, costumes, sons et mélodies folkloriques, est
entouré d’une grande équipe: Yvan, son fils (diplômé
de la UCLA et Pepperdime University Los Angeles), metteur en scène;
Saïd Akl, poésie; Talal Haïdar, dialogues; Wajih Nahlé,
décor; Marcel Khalifé, Walid Gholmié, Charbel Rouhana,
musique (elle a été enregistrée dans trois studios);
Bert Stimmel et Raymond Gébara, conseillers artistiques; Alissar
Caracalla, assistante chorégraphe. Tous ces talents vont se conjuguer
pour nous restituer, l’espace de trois soirées (24, 25, 26 juillet)
la splendeur perdue de l’Andalousie.
Chez le prince rouge.
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Le prince vert et le prince rouge.
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Au diwan de l’émir blanc.
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Début de la conquête lorsque les Arabes
accostent les rivages andalous.
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L’ANDALOUSIE ET SES QUATRE PRINCES: VERT, ROUGE,
NOIR ET BLANC
Le spectacle commence par une soirée musicale au cours
de laquelle un cheikh invite ses compagnons à exécuter des
mélodies populaires de leur pays. Celles-ci surgissent d’un peu
partout: Liban, Syrie, Jordanie, Egypte, Tunisie, Maroc, pays du Golfe,
etc... interfèrent les unes dans les autres et s’achèvent
en cacophonie. Et “c’est l’entrée dans l’Andalousie”, indique Abdel-Halim
Caracalla. La gloire et la chute de l’Andalousie illustrent la gloire des
Arabes et leurs trahisons intestines. Dans leur politique, on retrouve
encore une seconde Andalousie. L’Andalousie est racontée par ses
quatre princes. Ils ne portent que les noms de leurs couleurs: le prince
vert, le prince rouge, le prince noir et le prince blanc. “Chacun de même
que ses fils a son caractère et les attributions de sa région,
explique Caracalla. Ils étaient unis quand ils avaient conquis l’Andalousie.
C’est quand ils ont commencé à la partager qu’ils se sont
divisés. Le ballet doit s’articuler sur un drame, je l’ai appris
de Shakespeare”. “Les Arabes étaient tourmentés par deux
problèmes: ceux qui les opposaient entre eux et ceux qui les confrontaient
avec les Espagnols déterminés à reprendre leur pays.
L’Espagne a tiré profit des conflits entre les Arabes et les a combattus
jusqu’au dernier prince, le blanc. La reddition de celui-ci, poursuit Caracalla,
est survenue quatre jours avant le départ de Christophe Colomb,
sous le règne de Ferdinand et Isabelle d’Aragon. Celle-ci avait
demandé à l’explorateur de retarder son voyage vers l’Amérique,
pour assister à la remise de la clé d’Alhambra. Mais de crainte
de voir changer les conditions climatiques, la date fut maintenue. Et lorsque
le prince blanc a remis la clé du palais à la reine, il lui
dit: j’ai une recommandation à vous faire, que devra retenir votre
conscience et que j’ai inscrite sur le fronton du palais “Il n’y a de victorieux
que Dieu”. L’âge d’or de la conquête andalouse concrétisé
dans le palais d’Al-Zahra avait permis à l’art arabe d’atteindre
des sommets au niveau du génie, de la poésie, de la musique
et de conquérir le monde. En Andalousie, les femmes étaient
des plus élégantes et les astrologues avaient appris à
mesurer le temps, relève Caracalla qui revient à ses quatre
princes. “La meilleure époque fut celle du prince vert, celle des
découvertes. Ce prince s’est poignardé quand il a appris
la trahison du prince noir. Le prince rouge était un aristocrate
et un fantaisiste. Le prince blanc a incarné la décadence.
Il a mis fin à la longue épopée qui a fait dire au
poète: “Empruntez la nuit, le jour ne suffit plus à la lumière
de la civilisation arabe”.
Une danse espagnole.
“JE SUIS NÉ ET J’AI GRANDI DANS LA CITADELLE”
Baalbeck et Caracalla: “Notre maison en terre battue et à
deux étages était située à soixante-dix mètres
de la citadelle. C’est là où je suis né. Quand on
a entrepris des excavations, on a découvert une partie de l’amphithéâtre
sous notre maison qu’on a annexée à la citadelle. C’est là
où j’ai grandi, où j’ai poursuivi le jour, la nuit, les étoiles.
C’est là où je jouais avec mes camarades une autre version
de “West side story”. “Puis, je me suis retrouvé en plein cœur du
festival. Et j’y ai découvert le ballet. J’étais tellement
subjugué par les performances du ballet Béjart que je voulais
assister à toutes ses répétitions. Le Comité
du Festival m’avait accordé une autorisation spéciale à
cette fin et j’étais étonné en observant les danseurs.
Je regardais même leurs pieds pour y découvrir quelque ressort.
Enfin, je me suis posé la grande question: pourquoi eux et pas nous?”
Caracalla à l’époque, était champion du Liban en saut
à la perche. “Le mouvement était en moi, quand j’ai découvert
l’autre mouvement qui avait plus d’allure, plus de vie, j’ai voulu atteindre
le secret de la dynamique du corps. Et ce déclic, cette lumière,
je les dois au festival”. C’était le début de la route. Caracalla
s’en va apprendre, pendant deux ans, le folklore international à
Dijon. Il retourne à Baalbeck pour initier les danseurs au folklore
dans le spectacle “Fakhreddine”; puis, s’envole, au bout d’un an, à
Londres pour préparer et obtenir un magister à la “London
School of Contemprary dance”. Il retourne en 1969 au Liban et crée
sa propre troupe en 1970. Son premier spectacle date de 1972, D’autres
le suivent, reçoivent leur baptême de feu et leur consécration
au Liban et sillonnent, ensuite, le monde. Le chemin parcouru par Caracalla
est tel que lors d’un récent voyage en Malaisie pour participer
à une rencontre internationale; on le désigne chef chorégraphe
des plus grandes troupes du monde. Il a réuni celles-ci pour deux
nuits et coordonné leur travail. Aujourd’hui, comme à la
veille des Olympiades, il attend de rallumer le flambeau en adressant sa
reconnaissance au Comité du Festival de Baalbeck qui a “œuvré
de sorte que Baalbeck ne s’arrête jamais”.
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