Tribune


Par RENE AGGIOURI.

DIPLOMATIE DE GENDARME

Il n’y a pas lieu de s’étonner. La pression diplomatique des Etats-Unis sur le Liban au sujet de la responsabilité financière d’Israël dans le massacre de Cana est dans la ligne de la politique américaine depuis le début de cette affaire. Mieux encore: depuis toujours, chaque fois que la responsabilité d’Israël a été mise en cause devant l’ONU pour quelque agression que ce soit, Washington a œuvré pour innocenter l’agresseur ou, tout au moins, pour faire partager les responsabilités. C’est une constante. Déjà, au moment où s’est produite la tragédie de Cana, la diplomatie américaine avait essayé de faire rejeter le rapport de l’ONU; elle a puni, carrément, M. Boutros Boutros Ghali pour avoir soutenu ce rapport. Le veto américain sur une résolution, présentée pourtant par ses meilleurs alliés européens, au sujet de la colonisation, avait suscité une indignation una-nime; car il s’agissait d’une violation flagrante des accords signés sous l’égide de l’Amérique elle-même. De plus en plus, les Etats-Unis confirment leur isolement face à la communauté internationale dans leur soutien exclusif aux positions israélien-nes. On l’a vu encore au sujet de Jérusalem. Tout pays qui se refuse à partager l’opinion de l’Amérique dans toute contestation est condamné à subir des sanctions. Il faut bien dire les choses comme elles sont: on se trouve face à une véritable politique impérialiste poursuivie par la première puissance du monde qui prétend donner, en même temps, des leçons de démocratie à toute l’humanité.

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Le système des Nations Unies, conçu à l’origine pour instaurer la paix sur la base de la justice, a été vidé de toute signification. Il a été longtemps paralysé par la guerre froide entre le bloc soviétique et le bloc occidental. Il l’est désormais par la mainmise de l’Amérique. Réduits souvent à l’impuissance par leurs conflits intérieurs ou par leurs difficultés économiques, la majorité des Etats membres de l’ONU se contentent de sauver la face, en adoptant des positions de principe qui demeurent sans portée pratique chaque fois qu’elles sont contraires aux orientations de la politique américaine. L’ordre mondial était censé résulter d’un consensus international au sein de l’ONU. Après avoir reposé longtemps sur l’équilibre de la terreur entre les deux blocs de l’Est et de l’Ouest, il n’est plus fondé, aujourd’hui, que sur la vision que l’Amérique a de ses propres intérêts planétaires. Les désordres actuels en Afrique, au Proche-Orient, dans les Balkans ne dépassent-ils pas les possibilités d’analyse et d’intervention d’une seule puissance, si étendus que soient ses moyens? On le constate, en tout cas, cruellement tous les jours dans cette partie du monde où Israël, épaulé désormais par la Turquie, se révèle de plus en plus comme l’instrument le plus douteux de puissance, échappant à tout contrôle. Il y aura bientôt sept ans que l’Amérique a lancé son initiative de pacification des rapports d’Israël avec ses voisins. Ce fut le “processus de paix” initié à Madrid en présence du monde entier. Les résultats décourageants de ce “processus” ont amené la diplomatie américaine à se mettre en retrait, laissant à l’Egypte et à la Jordanie la responsabilité de sauver les meubles. A peine ces deux pays, sans grande influence sur Israël, ont-ils déployé leurs efforts, que la Turquie est venue perturber le jeu en intervenant dans le Nord de l’Irak. Et l’Amérique est muette.

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Il ne peut y avoir de paix si des bornes ne sont pas posées aux puissances régionales. Si l’ONU est empêchée de fixer ces bornes et si l’Amérique, de son côté s’abstient de le faire, d’où pourrait venir encore un signe de paix? En laissant les conflits régionaux se développer, on déclenche un processus de bouleversement dont les effets seront dramatiques pour longtemps. La paix ne peut plus se fonder sur la loi du plus fort. Cette conception impérialiste appartient au passé. La création du système des Nations Unies qui doit largement ses principes à l’Amérique, précisément, l’Amérique anti-colonialiste, anti-impérialiste, démocratique, devait ouvrir pour le monde une ère nouvelle. L’heure a sonné de revenir à ces principes fondateurs. Le gouvernement américain assume, à cet égard, la responsabilité majeure. Quand il a les moyens d’exercer des pressions pour ramener les Etats dans le chemin de la paix, ce n’est pas sur les faibles, ni sur les victimes des agressions qu’il est moralement tenu de le faire. Si, du moins, il veut la paix... En tout cas, peut-on imaginer, raisonnablement, qu’Israël et la Turquie puissent s’ériger en gendarmes de la paix dans ce monde d’antique civilisation arabe et iranienne? C’est bien pourtant ce qu’on les laisse faire, l’une aujourd’hui, en Irak et l’autre, depuis près de vingt ans, au Liban-Sud. A qui cela profite-t-il? Sûrement pas au super-gendarme. Ni à la paix.


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