Ex-secrétaire général du Hezbollah, en conflit avec l’actuelle direction du parti, cheikh Sobhi Toufaïli est installé à Douris, une toute petite localité à l’entrée de Baalbeck. Il nous reçoit à son bureau où flottent toujours les fanions du “Hezb” alors que, dans une salle attenante, les gens affluent dès les premières heures de la matinée pour lui exposer leurs problèmes. Toufaïli qui a lancé sa fameuse “révolte des affamés”, se dit déterminé à organiser la manifestation du 4 juillet sur la place du Sérail à Baalbeck, pour défendre ceux qui ont faim dans sa région et dans le pays et proclamer la désobéissance civile. Quand on lui dit, qu’il y a des lignes rouges à ne pas dépasser, il répond ironique: “Hélas! je ne sais pas distinguer les couleurs”. Il se défend, aussi, d’avoir la bénédiction de Damas qui, pourtant, contrôle toute la région, affirmant que son conflit avec le “Hezbollah” porte sur les méthodes d’action et non sur les objectifs. Tirant à boulets rouges sur les autorités, il affirme que la balle est “dans leur camp”. Il espère étendre son action à l’ensemble du pays dans ses différentes composantes, se considérant investi d’une mission légitime pour défendre ses concitoyens. Rendez-vous donc au 4 juillet à Baalbeck. A moins que...
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MAINTENANT SON MOUVEMENT PROTESTATAIRE AU 4 JUILLET CHEIKH SOBHI TOUFAÏLI: SITUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE CATASTROPHIQUE - La région de Baalbeck-Hermel a été, de tout temps, négligée et l’autorité centrale ne s’en est jamais réellement préoccupée. Mais pourquoi soulever ce problème aujourd’hui en organisant un vaste mouvement protestataire? “Il est vrai que la région de Baalbeck-Hermel et d’autres régions du pays ont de tout temps été délaissées et négligées de la part des dirigeants qui se sont succédé au pouvoir. A l’heure actuelle et du fait de la politique économique et fiscale suivie par l’autorité en place, la situation socio-économique s’est nettement détériorée pour devenir catastrophique. “De nombreuses familles de la région ont faim, n’arrivent plus à assurer leur pain quotidien et dorment le soir le ventre creux. Leurs enfants, faute d’argent, sont privés d’école et le nombre des non-scolarisés augmentera l’an prochain. Au train où vont les choses, on risque de voir les aspects de la faim dans les rues. “Pour ces raisons, on ne pouvait patienter davantage. Certes, j’aurais préféré ne pas être seul dans ce combat et avoir à mes côtés mes frères hezbollahis, mais on ne s’est pas entendu sur les moyens et modalités à suivre pour faire face à cette réalité. On s’est trouvé devant une double alternative: prendre patience de façon illimitée, alors que la situation se détériore de jour en jour; ou s’engager dans la voie de la revendication populaire. J’ai choisi de suivre l’appel du devoir, de répondre à cette mission dont je me sens légitimement investi”. - Mais la “révolte des affamés” n’est-elle pas un moyen trop risqué? “Pas du tout! L’expression traduit, réellement, la situation difficile à laquelle nous sommes confrontés. De fait, les privations, la faim, les vexations, la répression et l’insatisfaction, sont arrivées à un point nécessitant une révolte, pour ramener les choses à leur contexte normal. “Croyez-moi, la faim frappe aux portes au Liban. Si vous vous n’avez pas faim, d’autres en souffrent et mon contact permanent avec les gens me permet de prendre conscience de cette amère réalité. Ce n’est pas parce qu’il y a quatre à cinq milliardaires dans le pays et quatre à cinq profiteurs autour d’eux que le pays est rassasié”. - L’arrêt des cultures interdites: haschich, pavot, etc... est-il la raison essentielle ayant provoqué la détérioration socio-économique dans la région de Baalbeck-Hermel? “Les raisons sont multiples. Certaines sont propres à notre région, d’autres concernent tout le pays. Certes, le fait que l’Etat n’ait pas proposé des cultures de rechange à celles qui furent interdites est l’une de ces raisons. Mais notre région souffre d’une négligence chronique, de l’absence de toute aide: ni prêt, ni crédit à moyen ou long termes pour encourager et faire avancer l’agriculture, dans le cadre d’un processus national de développement équilibré. A l’échelle nationale, les failles sont multiples: au niveau de la politique fiscale, des ordres de priorité, des dépenses inutiles, etc... QUI MENACE LA PAIX CIVILE? - Croyez-vous pouvoir changer les choses en lançant un appel à la révolte? Ceci ne risque-t-il pas plutôt de mener au chaos? “Les mots révolte et révolution sont souvent liés dans les esprits à l’utilisation de la force et de la violence. En ce qui concerne notre appel, nous avons été très clairs dès le début: nous n’utiliserons ni la force, ni la violence; notre mouvement sera pacifique et civilisé. “J’aimerai sur cette question mettre les choses au point. Premièrement, lorsqu’on parle de paix civile et de sécurité générale, les Libanais savent très bien que nous sommes de ceux qui veillent le plus intensément sur cette paix civile. Nous en avons payé cher le prix et donné des martyrs pour y aboutir, alors que d’autres qui jouissaient du bien-être en dehors du Liban, sont venus s’installer une fois les fauteuils prêts, sans payer aucune facture. C’est nous qui avons vécu l’épreuve et sommes donc le plus attachés à la paix civile. “En deuxième lieu, quiconque affirme que des gens ont faim dans le pays et prend la défense des pauvres, des sans-abris, ne menace pas l’ordre public, lequel est menacé par ceux qui provoquent cette faim, généralise la pauvreté et l’ignorance; dilapident les deniers publics; volent, appliquent la loi de la jungle et brandissent l’arme de la répression face aux déshérités... En vérité, c’est le pouvoir lui-même, par ses méthodes d’action et ses pratiques, non le pauvre, qui menace la paix civile”. CHACUN ASSUME SA PART DE RESPONSABILITÉ - Faut-il, dès lors, prêter une oreille attentive à ceux qui disent que votre action est dirigée, en particulier, contre le président Hariri? “Toute personne qui cause du tort à nos familles est visée par cette révolte. Les uns participent à 10%, d’autres à 20% et il est certain que le président Hariri assume une part de responsabilité plus grande que d’autres. “Chacun est visé à la mesure de sa part de responsabilité”. - Y compris les députés du “Hezbollah”? “S’ils assument leur part de responsabilité, pourquoi pas?” - Même le secrétaire général du “Hezb” Sayed Hassan Nasrallah? “(Il rit de bon cœur) vous sortez du sujet”, dit-il avant d’ajouter: “Les membres du “Hezb” et Sayed Hassan sont mes frères et mes fils. S’il y a entre nous des divergences de point de vue, elles portent sur les moyens à suivre pour défendre nos familles et non sur les revendications et les objectifs à atteindre. Eux n’ont pas assez confiance que le procédé auquel j’ai recours peut mener à la réalisation des revendications. Mais le dialogue se poursuit entre nous, dans l’espoir d’arriver le plus tôt à une entente saine, pour qu’ils soient en tête de ceux qui défendent les droits des plus démunis. - Allez-vous pouvoir arriver à cette entente avant le 4 juillet? “Je le souhaite et j’aimerais qu’on soit tous ensemble réunis à cette date à la place du Sérail. Sinon, on poursuivra le dialogue après le 4 juillet”. - Mais on entend dire que votre mouvement est une dissidence du “Hezbollah” dont vous avez été éloigné en 92-93? “Suite à la manière dont le “Hezbollah” a accédé au parlement, en 1992, j’ai évité de participer à ses activités politiques. Comprenez-moi bien: je ne suis pas contre le fait qu’ils accèdent à l’hémicycle, mais pas de cette manière. La personne qui se respecte et respecte ses propres convictions, doit agir en conséquence. Malheureusement, dans notre pays et au Proche-Orient, en général, on met facilement ses convictions de côté, pour conserver sa place. Ceci est contraire à mes principes. “Je pense qu’aujourd’hui, après cinq années de pratique parlementaire, ils ont finalement compris qu’il fallait opter pour d’autres méthodes d’action, dans l’intérêt des citoyens. “Je ne cherche donc à concurrencer personne au sein du parti, ni à ravir à Sayed Hassan Nasrallah sa place ni aucune autre position. “J’ai dépassé l’étape de diriger un parti, ou d’y assumer des charges et des responsabilités. Vous pouvez les rassurer. A partir du moment où les gens auront recouvert leurs droits, je reviendrais à mes livres, mes écrits mes élèves et ma mosquée”. POUR UNE OPPOSITION EFFICACE - Qu’en est-il des “Ansar d’Allah”? - On dit que vous allez prendre la tête de ce mouvement...
- Vous reprochez donc aux députés du «Hezb»
leur méthode d’action. Comment, à votre avis, devraient-ils
agir? - Qu’en est-il de votre attitude à l’égard du président
Berri? - Aujourd’hui, en ce dimanche 22 juin, à l’heure où
nous prenons cette interview, le président Nabih Berri effectue
une tournée dans la région dont les députés
sont réunis au Sérail de Baalbeck pour discuter des problèmes
socio-économiques locaux. Est-ce une manière de dégonfler
votre mouvement, ou plutôt un début de prise de conscience?
- Vous savez fort bien, qu’il y a par rapport aux mesures sécuritaires
des lignes rouges à ne pas dépasser. Allez-vous les franchir? Pourrait-il y avoir un accord, ou un compromis entre vous et les
autorités libanaises avant le 4 juillet? - L’ambassadeur d’Iran à Damas, El-Akhdari vous a contacté,
dit-on, de la part de Téhéran pour vous demander de modérer
vos élans et de renoncer à l’action du 4 juillet? - On dit que vous lui avez présenté une longue liste
de critiques concernant les pratiques politiques, financières, d’organisation
du “Hezbollah” et de son secrétaire général, Sayed
Hassan Nasrallah? - Avez-vous reçu une invitation à visiter Téhéran?
QUE SE PASSERA-T-IL LE 4 JUILLET? - Que va-t-il se passer le 4 juillet? “Il va y avoir une réunion élargie sur la place du Sérail de Baalbeck, au cours de laquelle on proclamera la désobéissance civile, les mesures décidées et démarches à suivre. Il y aura, aussi, une cérémonie pour enterrer le “pouvoir injuste.” - Qui, au fait, appuie votre mouvement? - Quelles seront les étapes ultérieures? - Jusqu’à l’heure, votre mouvement semble confiné à
la communauté chiite. Allez-vous l’élargir à d’autres
groupes politiques et communautaires? - Vous avez, sans doute, la bénédiction de Damas! Autrement
vous ne pourriez agir ni rien faire, car vous vous trouvez dans une région
contrôlée par les troupes syriennes? - Vous comptiez, dit-on, sur la victoire de Nouri à Téhéran
pour appuyer votre mouvement. L’arrivée de Khatimi vous a-t-elle
fait perdre un allié? DES MESURES IMPROVISÉES JEZZINE N’EST PAS VISÉE Par NELLY HÉLOU |