Par ALINE
LAHOUD..
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LA VINGT-CINQUIÈME HEURE* |
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Notre Premier ministre est rentré de voyage
à l’issue d’un énième périple qui l’a mené
du sud au nord de l’Europe. Il est rentré - paraît-il - pour
faire le ménage, après avoir laissé la maison sens
dessus-dessous. Il est revenu le sourcil broussailleux, l’œil fulgurant,
le verbe haut et a décidé, sans coup férir, de convoquer
des assises économiques illico presto. Sans doute, a-t-il pensé,
qu’après avoir posé aux côtés de Juan Carlos
et s’être fait photographier avec le prince Charles, il pourrait
faire une concession - une fois n’est pas coutume - et se pencher sur la
plèbe locale qui, comble de vulgarité, n’arrête pas
de réclamer du pain. D’où ces assises tronquées, convoquées
sous le coup de l’urgence et surtout, de l’improvisation. Répéter,
après les forces actives de tous bords de ce pays, que ce sprint
de la vingt-cinquième heure aurait été inutile si
l’on avait pris la peine de mettre sur pied le Conseil économique
et social stipulé dans l’accord de Taëf, est vain. Prétendre
que le chef du gouver-nement ne peut plus continuer à prendre des
décisions unilatérales à l’emporte-pièce est,
au regard des haririens, une sorte de crime de lèse-majesté.
Et au diable les radotages de Taëf! Hariri gouverne et lui seul, un
point, c’est tout. La présidence de la Républi-que, prise
par surprise, souvent court-circuitée, dépouillée
de ses dernières prérogatives jusqu’à la feuille de
vigne, est en train de rétrécir comme une peau de chagrin.
Les ministres font de la figuration. Les députés jouent mal
les utilités et ont définitivement, il semble, contracté
le tic de lever la main au moindre coup de marteau. Le Conseil constitutionnel
- dont un membre élu anticonstitutionnellement - est mis ouvertement
en accusation. Les jugements rendus par le Conseil d’Etat sont tournés
en dérision. L’armée est en butte à la suspicion.
Le commandement de la gendarmerie est menacé de suppression. Les
Syndicats Unis ne le sont plus. L’unité nationale basée sur
un juste équilibre entre les différentes composantes de la
population se traduit par une ségrégation politico-socialo-régionalo-confessionnelle.
L’opposition est considérée par les loyalistes comme le huitième
des sept péchés capitaux, puisque commise contre la huitième
des sept merveilles du monde. Enfin, les Libanais dans leur ensemble ne
sont là que pour servir de vaches laitières à une
boulimie érigée en système fiscal. Mais qu’on n’aille
pas, pour autant, accuser le gouvernement d’immobilisme. Ce serait parfaitement
injuste. En fait, à aucun moment, depuis cinq ans, le pouvoir n’est
demeuré statique. Il a marché (c’est le Premier ministre
qui le dit), il a filé à fond de train. Dans quel sens? Et
ne parlons pas une fois de plus d’écrevisse. S’il faut se livrer
à des comparaisons, il serait peut-être plus à propos
de rappeler une histoire que j’avais lue dans le temps. C’était
celle d’un savant qui voulait à tout prix explorer le futur (n’est-ce
pas prémoni-toire?). Pour ce faire, il construisit une machine qu’il
baptisa “Chronophage”, c’est-à-dire la “machine à manger
le temps” et s’installa aux commandes. L’homme propose et Dieu dispose.
Notre savant était tellement pressé, tellement excité,
qu’il s’embrouilla dans les manœuvres de décollage, appuya sur le
mauvais bouton, releva la mauvaise manette et au lieu de se lancer vers
le futur, fonça dans le passé. Il assista ainsi à
la naissance de son père, de son bisaïeul et de son trisaïeul.
La machine mangeait toujours le temps. Il croisa les Mèdes et les
Romains. S’assura de l’existence des Phéniciens. Rencontra Alexandre
le Grand, les pharaons et Nabuchodonosor. Ce fut, ensuite, la Tour de Babel,
la préhistoire et l’âge de pierre... Il eut un mal fou à
échapper à l’arche de Noé, atterrit dans le giron
d’Eve; puis, ne fut plus qu’un chromosome, avant de plonger dans le néant
originel. Le chronophage mangeait toujours le temps. Le savant émergea
du néant pour se recomposer dans l’anti-temps. Il put ainsi, chemin
faisant, planter un anti-cèdre, apprendre un anti-alphabet et dériva
vers une anti-évolution... Ensuite? Ensuite, eh! bien, j’ai oublié
la fin de l’histoire. Mais les choses étant arrivées chez
nous au point où elles en sont, on peut se demander si ce fauteuil
NÞ3 n’est pas devenu une sorte de chronophage et si, avec le présent
gouvernement aux commandes, le Liban n’est pas en train d’anti-naître.
* - Titre d’un roman de l’écrivain roumain V. Georghiu |
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