Ex-président du comité de la Bourse de Beyrouth, ancien banquier et l’un des opérateurs les plus actifs sur le marché de l’or libanais d’après-guerre, M. Gabriel Debbas, expose son
UN POIDS INSOLITE
Il y a près de deux mois, j’ai assisté devant
ma télévision à une séance parlementaire, qui
avait pour objet des interpellations sur différents sujets d’actualité.
Le Premier ministre écoutait patiemment les députés.
Le dernier à demander la parole et dont le nom m’échappe,
faisait observer au Premier ministre, puisque le sujet principal des interpellations
concernait les émigrés, “pourquoi la réserve d’or
de l’Etat n’était pas employée pour rapatrier nos compatriotes
de l’étranger?”. Il lui fut répondu, spontanément
et sans hésitation, que non seulement nos émigrés
ne reviendraient pas, mais que l’or s’envolerait. La demande du représentant
de la nation était tellement extravagante et la réponse du
président si pertinente que l’Assemblée s’est prise de fou
rire et beaucoup de députés d’applaudir vigoureusement. Ce
qui a fourni au Premier ministre l’occasion de déclarer que l’or
en question constituera toujours une garantie pour la monnaie libanaise
et demeurera intouchable. Le débat semblait donc définitivement
clos. Mais M. Hariri (comme tous les Premiers ministres qui l’ont précédé)
a eu tort, car poursuivre une méthode qui date d’un siècle
ne correspond plus, aujourd’hui, aux conditions financières et économiques
que le monde entier exploite. Il y a plus de 25 ans, nous suggérions,
mon collègue et ami Mohamed Kamel Tabbara et moi-même, la
vente de l’or de l’Etat. Mais personne n’a voulu prêter l’oreille
aux raisons que nous invoquions, car l’or et, en particulier “l’or libanais”,
est un sujet tabou pour l’Administration centrale, pour le parlement, pour
les institutions étatiques et privées et, en général,
pour plus d’un citoyen libanais. Il faut, toutefois, admettre que les dispositions
parlementaires qui ont été prises concernant le métal
jaune interdisaient, formellement de toucher à cet or, destiné
à la couverture de la monnaie. Voilà pourquoi notre monnaie
nationale qui avait le dos bien couvert contre les impondérables,
a connu le désastre singulier de faire porter le dollar, à
un moment donné, de 3 à 3.000 livres. C’est dire qu’une intervention
providentielle de la réserve - attendue généralement
dans de pareilles circonstances - n’a pas réussi à colmater
la brèche et il n’a pas fallu moins de dix ans d’efforts pour ramener
le taux du dollar à 1.550 livres.
L’OR NE PAIE PAS
C’est bien dommage que, jusqu’à maintenant, l’esprit
subtil, astucieux et mercantile des Libanais n’ait pas saisi le grave préjudice
que comporte l’existence de cette réserve dans le pays. Il est indiscutable,
par ailleurs, que le métal précieux, crée chez l’individu
des illusions diverses; l’or demeure la matière la plus recherchée
et constitue pour beaucoup de foyers un élément irremplaçable
de réserves d’or transformées en bijoux ou pièces
monnayées. Mais une personne raisonnable ne place pas tout son bien
dans de pareils investissements. L’Etat libanais ne fait pas autre chose.
Il fait miroiter l’or aux yeux d’un public médusé par l’illusion
créée par la possession de ce trésor. C’est de là
qu’est née chez nos citoyens et nos gouvernants l’obsession irraisonnée
pour la thésaurisation sans limite. Il faut se faire une raison:
l’or ne paie pas. C’est une matière réservée, principalement,
à l’industrie, c’est-à-dire à la bijouterie et à
la frappe de la monnaie.
OPTION OUVERTE
J’insiste sur le fait que ce mode de réserve monétaire
ou étalons-or a fait long feu. On ne verra, sans doute pas, dans
le Trésor de beaucoup de grandes puissances, une quantité
égale ou supérieure à l’or que le Liban détient.
Ces mêmes grandes puissances et l’ensemble du monde possèdent
des réserves en devises et leur propre monnaie se négocie
en fonction de leur puissance économique. Je demande à mes
concitoyens s’ils ont compris la subtilité de mon raisonnement:
garder une matière improductive en tremblant de peur pour sa sauvegarde
ou conserver des devises qui vous rapportent du bel argent sonnant? L’option
est ouverte. A une précédente séance parlementaire
consacrée à l’étude du budget de l’Etat, M. Tok, député,
a pris la parole pour s’élever contre la possession de l’or qu’il
souhaitait, semble-t-il, vendre. Son intervention a été accueillie
avec tiédeur et n’a suscité aucun intérêt ou
appui. C’est logique quand on pense à tout cet argent qui viendrait
tomber dans les coffres de l’Etat, mis à la disposition de l’Exécutif
et manipulé par les ministres: bien sûr que ce serait, un
peu extravagant. Mais avec un plan préalable, des directives mesurées
et sans faille, l’opposition systématique qui se manifestait naguère,
va finalement s’atténuer et, finalement, disparaître. Revenir
en arrière ne sert à rien, mais il est cependant très
important de souligner le manque à gagner qu’une réserve
en devises aurait rapporté au Trésor. Depuis quarante ans,
à un cours moyen de $450 l’once d’or et au taux d’intérêt
de seulement 7%, l’ensemble de la réserve convertie en devises aurait
produit un revenu de 11 milliards de dollars. Pour les vingt dernières
années et compte tenu du prix moyen de l’or ($400 l’once), on aurait
pu compter chaque année sur un revenu certain de 250 millions de
dollars.
GABRIEL DEBBAS
Prochain article: La B.M. aidera-t-elle le Liban à gérer l’argent provenant de la vente de l’or?