SALOTH SAR OU “FRÈRE NUMÉRO UN”
Absolument inaccessible, donné déjà pour mort
en juin 1996 des suites du paludisme, curieusement ressuscité sur
un brancard entouré d’un dernier carré de fidèles,
la division 801, en fuite dans le nord du Cambodge, indésirable
en Thaïlande et en Chine, faisant exécuter dans sa course éperdue
son ancien ministre de la Défense, Son Sen et onze membres de sa
famille, il est enfin arrêté par ses propres sujets. La radio
officielle des Khmers rouges annonçait: “Pol Pot s’est rendu le
18 juin 1997”, nouvelle qui laissait sceptique le monde entier et rendait,
en revanche, nécessaire sa comparution devant un tribunal international.
La réapparition spectaculaire de Saloth Sar ou “Frère numéro
un” lors de son procès par ses pairs, filmée par un journaliste
américain, Nate Thayer de l’hebdomadaire “Far Easter Economic Review”
basé à Hongkong, l’a de nouveau remis en selle. Ce n’était
plus le guerrier invincible, mais un homme de soixante-dix ans aux cheveux
blancs, diminué par l’âge et la maladie, soutenu par des soldats
et s’appuyant sur une canne. Nate Thayer qui était accompagné
d’un cameraman couvrait déjà depuis de longues années
la guérilla des Khmers rouges. Il était le seul journaliste
autorisé à assister au procès de Pol Pot tenu le 25
juillet dans les plus pures traditions communistes et qui s’est achevé
par la condamnation du chef des Khmers rouges à la prison à
vie. En même temps que ce procès, se déroulait celui
de trois généraux de Pol Pot qui avaient les mains attachées
et ont dû être exécutés. Vendant à un
prix d’or les photos du procès - 100.000 dollars US la photo - Nate
Thayer a trouvé acquéreur en la chaîne de télévision
américaine ABC qui a diffusé au soir du lundi 28 juillet
des extraits de la bande vidéo du procès, dont lui-même
rendra largement compte dans son reportage à paraître le 7
août dans la «Far Eastern Economic Review». Les droits
d’une vidéo ont été, également, acquis par
la Australian Broadcasting corporation en Australie, tandis que l’Agence
France-Presse achetait par la suite les droits exclusifs de distribution
des premières photographies de Pol Pot. Nate Thayer a pu confier
au sujet du procès: «Les événements de son éviction
et son procès étaient si traumatisants que je pensais qu’il
pourrait en mourir. Vous pouviez lire l’angoisse sur son visage quand il
était dénoncé par ses propres sujets. Il était
au bord des larmes.»
RETOUR DES KHMERS ROUGES À LA VIE PUBLIQUE?
Mais cet homme pouvait-il enfin connaître l’émotion? D’inspiration
maoïste, il avait rêvé de construire une société
agraire et conduit le peuple cambodgien vers les rizières, entassant
sous un régime de terreur intolérable les cadavres des millions
de Cambodgiens dans des fosses communes. Menant la logique révolutionnaire
jusqu’au bout, son mouvement avait boycotté les élections
libres de mai 1993 prévues par les accords de paix de Paris en octobre
1991 et qui avaient donné naissance à un gouvernement de
coalition co-présidé par le prince Norodom Ranariddh et Hun
Sen, lui-même ancien Khmer rouge. Bien que déclarés
hors-la-loi par l’Assemblée nationale en juillet 1994, les Khmers
rouges ralliaient progressivement le pouvoir en place. Cinq de leurs six
divisions lâchaient Pol Pot. En août 1996, la défection
la plus spectaculaire était celle de Ieng Sary, ex-ministre des
Affaires étrangères et, de surcroît, beau-frère
de Pol Pot. L’une des plus hautes autorités des Khmers rouges, Khieu
Samphan s’apprêtait à rejoindre la légalité
et à créer une nouvelle formation politique. Son Sen entendait
suivre la même voie lorsque Pol Pot l’a fait exécuter. Mais
le mouvement des Khmers rouges déversait ses forces dans les rangs
du prince Ranariddh et une sorte d’alliance tacite ou concertée
risquait de renforcer l’image de celui-ci et d’assurer sa victoire aux
législatives prévues pour mai 1998. Des affrontements préliminaires
eurent lieu entre les forces rivales de Hun Sen et de Ranariddh. Puis,
ce fut le coup de force du premier, les 5 et 6 juillet à Phnom Penh
et l’éviction du second. La lutte sanglante se poursuit sur le terrain,
notamment dans le nord du pays et le procès public de Pol Pot pourrait
annoncer une nouvelle stratégie des Khmers rouges. Las de la guérilla
stérile, ils seraient à la recherche d’une certaine respectabilité
qui les réintroduirait dans le jeu politique.