M. Hussein Yatime est un éducateur émérite,
ayant formé bien des géné-rations, après s’être
fait une situa-tion à la force du poignet. C’est un self-made man
ayant émergé dans le domaine de la culture et de la connaissance,
se frayant un chemin au prix d’efforts incessants, ce qui lui a ouvert
toutes les portes. On peut dire de lui que c’est l’homme qu’il faut à
la place qu’il faut, car il est versé en matière pédagogique
et se distingue par sa patience à étudier les dossiers en
profon-deur.
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HUSSEIN YATIME:
“IL NOUS FAUT EN FINIR
AVEC L’ÉTAT-BAZAR POUR ÉDIFIER L’ÉTAT DES INSTITUTIONS”
LES JEUX PANARABES: ÉVÉNEMENT
DU LIBAN MODERNE
Notre première question porte, naturellement, sur les
VIIIèmes Jeux panarabes qu’il considère comme “l’événement
du Liban moderne et de la IIème République, témoignant
du retour de notre pays à la vie normale. “C’est, dit-il, un indice
prouvant que l’œuvre de la reconstruction donne ses fruits. La Cité
sportive a été détruite par Israël et nous lui
avons répliqué par un message de civilisation. Cette institution
réédifiée, en vertu d’un projet élaboré
par le président Hariri, avec la bénédiction du président
Hraoui, du président Nabih Berri et du peuple libanais tout entier,
fait revivre ses anciennes splendeurs, après les longues nuits de
notre dure épreuve”.
- Deux faits ont quelque peu terni la ré-ouverture de la Cité
sportive: l’interdiction faite aux athlètes irakiens de prendre
part aux compétitions sportives et la controverse ins-tituée
autour de la nécessité de conserver à la Cité
son nom initial ou de l’opportunité de le remplacer...
“Le Liban n’est pas responsable du premier accroc. Il est de notoriété
publique que notre pays se soucie d’entretenir les meilleures relations
avec tous ses frères arabes et d’unifier leurs rangs face aux dangers
qui le menacent. “En ce qui concerne la seconde affaire, il s’agissait
en réalité d’écrits de journaux. L’im-portant est
que les festivités marchent et la con-troverse s’est arrêtée,
comme si elle n’avait pas eu lieu”.
LE POUVOIR DE BAGDAD A COMMIS UN PÉCHÉ
MORTEL
- Ne faut-il pas établir de distinction entre le Pouvoir
à Bagdad et le peuple irakien?
“Je suis pour la séparation entre les deux, bien que ce qu’a
accompli la tête du pouvoir n’était pas une faute, uniquement,
mais un péché mortel. Le peuple irakien tout entier paye
cher ce qu’a commis le régime que Washington s’emploie à
maintenir, afin de perpétuer son contrôle du pétrole
et de la richesse arabe dans la région du Golfe. “De là,
j’insiste sur la nécessité de rétablir l’entente interarabe
et de répudier les germes de discorde, afin d’empêcher toute
infiltration de la part de ceux qui veulent réaliser leurs ambitions
à travers la richesse des Arabes”.
NON À L’ÉTAT-BAZAR
- Passons au dernier débat général qui s’est
institué à la Chambre: en avez-vous été satisfait
et s’est-il déroulé dans un esprit sportif?
“Dans l’un de ses aspects, le débat s’est déroulé
dans un tel esprit, mais non dans l’autre. Pourtant, on est censé
placer l’intérêt supérieur de la patrie au-dessus de
toutes les considérations, des intérêts tant sectaires
que personnels; en finir avec cette politique archaïque pour édifier
l’Etat des institutions. “Nous sommes supposés voir la partie pleine
du verre et, en tant que député, je suis tenu de prendre
conscience des problèmes du peuple et de ses soucis, pour en dégager
les négativismes et les positivismes, aussi. Il nous faut nous débarrasser
des destructions par la reconstruction. Le Liban engage une bataille de
défi et de survie, à travers le chantier de la recons-truction
et du redressement. Tout en reconnaissant certaines anomalies et en tenant
compte de nos possibilités. Nous devons conjuguer nos efforts pour
placer notre pays sur le chemin de l’espérance, après l’avoir
sorti du long tunnel dans lequel il était immobilisé pendant
tant d’années!
NI LOYALISTE, NI OPPOSANT
“On peut donc rassurer tant les loyalistes que les opposants:
le Liban survivra et son chantier ira de l’avant. Cessons de le plaindre
et d’élargir la brè-che séparant les gouvernants des
administrés. En tant qu’observateurs, nous sommes tenus de contrôler
le Pouvoir exécutif; de le critiquer et de lui réclamer des
comptes ou de le féliciter et de l’encourager à persévérer
quand il remplit sa mission.”
- Vous semblez faire du loyalisme à outrance...
“Ne me comprenez pas mal: je ne suis ni loya-liste, ni opposant. Cependant,
je me suis promis en accédant à la Chambre, d’apporter mon
modeste soutien aux leaderships les plus capables de réédifier
l’Etat et, tout particulièrement à ceux que je considère
comme le fer de lance de la décision en vue de la libération
et de la recons-truction”.
HRAOUI, L’HOMME DES DÉCISIONS DIFFICILES
- De qui parlez-vous, en fait?
“Des présidents Berri et Hariri, tout en reconnaissant un rôle
historique au président Elias Hraoui, l’homme des décisions
difficiles”. -
Pourquoi vous placez-vous entre l’enclume du premier et le marteau
du second, surtout s’ils venaient à se brouiller?
“Ils ne se brouillent jamais sur les questions nationales et si, à
Dieu ne plaise, ils tombaient en désaccord sur des questions personnelles,
je serais en dehors du jeu. Le président Berri n’est pas une enclume,
ni le président Hariri un marteau. Et on ne peut ignorer les réalisations
accomplies”.
- Quelles réalisations?
“L’arrêt des bains de sang, la mise en échec du complot
et la prise de la décision salvatrice, sans perdre de vue les réalisations
matérielles”.
PAS DE POUVOIR SANS ERREURS
- La décision est-elle vraiment libanaise?
“Ceux qui dirigent le navire ne sont pas des prophètes et il
n’y a pas de pouvoir sans erreurs, même dans les démocraties
les plus évoluées et les erreurs sont le plus souvent sanctionnées.
Vingt ans de guerre et de destructions sont une charge que portent les
gouvernements d’après-guerre, bien des guerres ayant été
déclenchées contre nous depuis la création d’Israël
en 1948. “Les leaderships s’emploient à rechercher des solutions
stables pour une patrie qui ne connaît pas la stabilité. Bien
que la décision internationale nous ait aidés à mettre
fin à la guerre, elle ne nous a pas aidés à réédifier
notre pays: la remise en état des infrastructures en ce qui concerne
l’eau, l’électricité et les divers services, est le fruit
d’une décision gouvernementale locale. Et là réside
la volonté du peuple à vivre et à se relever après
la dure épreuve”.
LA DETTE DANS SA MAJORITÉ EST INTÉRIEURE
- La dette nécessitée par ces réalisations
n’est-elle pas exorbitante?
“La dette n’est pas à redouter, car elle est intérieure
dans sa majorité. Nous ne devons pas craindre l’endettement, si
nous voulons redresser la situation dans notre pays. La dette engendre
la confiance, de même que les investissements et il nous faut user
de patience. “Ce qui a été détruit en vingt ans, nous
le recons-truirons, mais non en une année. Tous les peuples qui
ont enduré des guerres, ont pâti de leurs séquelles
et les exemples sont nombreux à ce propos: en Allemagne, au Japon,
dans les pays d’Europe et ailleurs”.
LES TROIS PARIS DE HARIRI
- Le président Hariri a parié sur trois éléments
en assumant, pour la première fois, la présidence du Conseil:
le règlement du conflit régional, les prêts à
des conditions plus avanta-geuses ou sous forme de dons et la volonté
de relèvement du peuple libanais. Vous qui êtes membre de
son bloc parlementaire, pouvez-vous dire ce qui reste de ces paris?
“En fait, il ne reste que la volonté du peuple libanais, sans
laquelle on ne peut relever la patrie. Cependant, le président Hariri
n’a pas parié sur la paix, bien qu’il ait parié sur certains
dons ou prêts à des conditions avantageuses. “Le sort de la
paix n’est une surprise pour per-sonne; Israël voulant nous imposer
la capitulation et non une paix préservant la dignité de
tous. “Quant aux prêts et aux dons, même si nous en avons obtenu
une partie, ils ne peuvent se con-crétiser dans une région
où le climat est perturbé. Il en est de même par rapport
aux investissements.”
DES QUESTIONS ET RÉPONSES POUR REMPLACER
LE DÉBAT GÉNÉRAL À L’ASSEMBLÉE
-Il est question de remplacer le débat de poli-tique générale
à la Chambre par des questions-réponses. Qu’en pensez-vous?
“Trois possibilités s’offrent à l’Assemblée nationale
pour contrôler l’Exécutif et lui réclamer des comptes
sur sa gestion de la chose publique, à travers le débat de
politique générale, les interpel-lations et les questions.”
- Le parlement semble avoir été de conni-vence avec
le gouvernement pour torpiller le quorum, lorsque le moment était
venu de soulever des questions embarrassantes, telles les surtaxes sur
les voitures importées, l’amnistie des crimes relatifs au trafic
des stupéfiants, l’audiovisuel... Peut-on s’attendre à ce
que la Chambre soit convoquée en session extraor-dinaire?
“Je ne peux dire que le quorum ait été torpillé.
J’affirme, cependant, que le quorum n’était pas atteint lors de
la dernière séance à laquelle j’ai assisté.
Les députés ont montré des signes de lassitude au
terme de trois journées et nuits de discussions souvent enfiévrées.
Mais soyez-en sûr, le jeu démocratique sera respecté.
“D’ailleurs, le président Berri a promis de convoquer une session
extraordinaire pour achever l’étude des questions inscrites à
l’ordre du jour.”
IL NE FAUT PAS POLITISER LE CAS DES DÉPLACÉS
- Peut-on connaître les raisons du différend opposant
le chef du gouvernement au ministre des Déplacés et cela
n’affectera-t-il pas le processus de retour des déplacés?
“On doit moins craindre pour ce processus que pour la dilapidation
des crédits devant être utilisés pour la réintégration,
par les déplacés, de leurs villages. Ainsi que je l’ai compris,
le chef du gouvernement veut placer le problème dans son véritable
contexte. De toute façon, il n’est pas permis de politiser cette
affaire qui doit être maintenue dans son cadre humain et national.”
- L’opinion publique a ressenti un double choc, gouvernemental et
parlementaire: après la décision du gouvernement de reporter
d’un an les élections municipales, l’Assemblée les ayant
ajournées jusqu’en avril 1999. Est-ce normal?
“Je n’ai pas ressenti ce choc et ne considère pas comme tel
l’ajournement des municipales . Car il faut, au préalable, élaborer
un projet de loi électorale homogène et, aussi, expédier
d’autres dossiers plus urgents, tel celui des personnes déplacées.
“Il importe, également, de procéder à la mécani-sation
de l’opération électorale pour prévenir toute erreur
ou irrégularité.”
- D’aucuns font état d’un éventuel change-ment de Cabinet;
ces rumeurs sont-elles sérieu-ses à votre avis?
“J’ai pris connaissance de ces rumeurs et, en même temps, d’une
déclaration du président Nabih Berri niant toute intention
de procéder à un changement gouvernemental”.
- Est-ce le président Berri qui décide en la matière?
“Il participe à la décision et a fait sa déclaration
à l’issue d’une rencontre avec les chefs de l’Etat et du gouvernement.
Le Premier ministre tient les mêmes propos.”
POUR LA MODERNISATION DES LOIS
- On avait prêté, à un moment donné,
aux responsables l’intention d’élaborer de nouvelles lois pour les
élections législatives et municipales, de même que
pour la réglementation des partis...
“Je suis de ceux qui préconisent l’accélération
des études en prévision de l’élaboration de ces lois
sur base de la modernité et de l’évolution. Il im-porte,
aussi, de rénover toutes les lois qui ont besoin d’être remises
à jour”.
- Les remous suscités par l’annonce de la prorogation pour
huit mois de la présente législature se sont estompés;
pourquoi?
“Le projet en ce sens n’a pas été soumis à la
Chambre, justement à cause de ces remous. Cepen-dant, la prorogation
du mandat de l’Assemblée se justifie, car elle vise à ne
pas perturber la saison estivale.”
IL FAUT SATISFAIRE LES JUSTES REVENDICATIONS
DU CITOYEN
- Les enseignants s’abstiennent de corriger les épreuves
des examens officiels en signe de protestation contre la négligence
de leurs doléances. A votre avis, celles-ci sont-elles justes?
“Ces revendications doivent être satisfaites, sans surcharger
les citoyens de surtaxes et d’impôts. “D’un autre côté,
ceux-ci doivent tenir compte de la capacité et des possibilités
de l’Etat qui sont, comme chacun sait, limitées.”
- En tant qu’ancien président du syndicat des écoles
privées, auriez-vous des suggestions déterminées visant
à relever le secteur pédago-gique? Aspirez-vous à
détenir le portefeuille de l’Education nationale pour réaliser
vos ambi-tions dans ce domaine?
“Mon ambition est de servir mon pays de la position où je me
trouve. Il ne fait pas de doute que l’éducation est la base dans
la formation des générations. Le président Assad n’a
pu assurer la résistance de son peuple et la capacité de
son armée que par l’éducation. “De même, le président
Chirac considère l’éducation comme la base de la civilisation
francophone. “Il n’y a donc pas de salut pour notre patrie que par et à
travers l’éducation. J’affirme que les solutions pour une patrie
meurtrie, réside dans l’élaboration d’un système pédagogique
valable, immunisant la patrie contre les fléaux que sont le confessionnalisme
et le sectarisme. “Nous sommes un peuple ayant un besoin pressant de pédagogie
saine au double sens social et national, car elle est le pilier de la réforme,
de l’instauration de la démocratie et de la justice.”
PIERRE HÉLOU INCARNE LA MODÉRATION
- Que signifie pour vous la présence de M. Pierre Hélou
à la tête de la Ligue maronite?
“Il représente pour moi la pondération, l’homme ayant
décliné la proposition qui lui a été faite
d’accéder à la magistrature suprême ou de présider
un gouvernement provisoire. Son refus de ces hautes charges lui a ouvert
la voie de la présidence de la Ligue maronite, par la volonté
d’un électorat ayant viré vers la modération. “La
communauté maronite ne peut que faire montre de modération,
car elle sait qu’elle est la condition fondamentale de la pérennité
du Liban. Si la modération ne se manifestait pas au sein de cette
communauté, l’avenir du Liban serait en péril. Je félicite
la communauté maronite pour avoir porté son choix sur Pierre
Hélou.”
- Quelle est votre prévision par rapport à l’évolution
de la conjoncture régionale?
“Notre faiblesse enhardit Israël qui tire sa puissance de notre
dislocation et non du soutien américano-européen. Il est
temps pour nous de réaliser que notre force réside dans notre
union. “J’appelle à la relance de la défense commune et à
la concrétisation du projet relatif au marché commun arabe.
Si nous étions unis et solidaires, la paix juste et globale aurait
été déjà instaurée dans la région
et l’Etat hébreu ne pourrait pas imaginer pouvoir nous contraindre
à capituler en souscrivant à ses conditions rédhibitoires.
Puis, la Turquie ne se serait pas rapprochée d’Israël, pays
agresseur et spoliateur, ni signé un pacte diabolique avec notre
voisin du Sud. “J’appelle à un éveil arabe, même tardif,
devant se traduire par un soutien efficace à la résistance
et au Sud.”
(Propos recueillis par JOSEPH MELKANE)
ELIAS AOUN et HUSSEIN KOTEICHE
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