Bloc - Notes


Par ALINE LAHOUD..

LA DYNAMIQUE DU PIRE

Dieu merci le ridicule ne tue pas. Autrement, nous aurions été le seul pays au monde à être gouverné par des cadavres. Ce qui, après réflexion, ne serait pas si mal, puisque le propre des cadavres est de se tenir tranquille. Tel hélas! ne paraît pas être le cas chez nous. Car les nôtres de “cadavres” semblent dotés d’un pouvoir de nuisance franchement phénoménal. Partout ailleurs dans le monde, les gouvernants sont contraints, de temps à autre, de faire face à des crises qu’ils s’efforcent de résoudre pour assainir le climat social et politique du pays. Chez nous, le gouvernement se fait un devoir de provoquer des crises à plaisir et de faire naître des conflits à volonté. Maladresse ou malveillance? Simplisme ou machiavélisme? Improvisation ou préméditation? Nul ne le sait. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que les méthodes utilisées sont en train de mener le pays, non seulement à une crise majeure, mais à des clivages qui, de sociaux et politiques, risquent à plus ou moins brève échéance de virer aux confessionnels. C’est là qu’est le danger. Pour un pouvoir issu du monu-mental attrape-nigaud que fut Taëf et qui, entre autres illusions, faisait miroiter la perspective de l’aboli-tion du confessionnalisme, sa poli-tique sur le plan social et, surtout, dans le domaine de l’audiovisuel, apparaît comme une véritable inci-tation à des guerres de religions. Ne parlons pas de la création du conseil supérieur (ô combien supérieur!) de l’audiovisuel que personne ne songe à prendre au sérieux. Ne parlons, non plus, de la façon éhontée dont ces messieurs se sont partagé le gâteau et les rôles. M. Hariri décidant d’octroyer, en Conseil des ministres, une station de télévision à M. Berri, lequel Berri lui renvoie l’ascenseur en faisant voter la loi octroyant une station à M. Hariri. Echange de bons procédés entre personnages de haut vol. Ne revenons pas pour la énième fois sur le fait, sans précédent, d’offrir sur un plateau d’argent un permis pour une station qui n’existe pas et dont on ne sait de quelle façon elle existera, pour ordonner la fermeture de stations respectables, bien équi-pées qui émettent déjà depuis plusieurs années, jetant ainsi dans la rue des centaines d’employés et de techniciens acculés au chômage. Le tout sans sourciller. Il faut dire que la décence et la pudeur ne font pas partie des vertus cardinales qui donnent un charme si particulier à nos ministres et députés. Si graves que soient cette politique de l’arbitraire et ce genre de népotisme, ce n’est que de la petite bière auprès de la valse-hésitation que le chef du gouverne-ment est en train d’exécuter autour des radios et télévisions à caractère religieux. Après avoir donné, puis retiré; puis, redonné un permis au Manar du Hezbollah, le gouvernement avait déclaré, par la voix de Bassem Sabeh, que le dossier de l’audiovisuel était clos. Et voilà que son patron, le Premier ministre, se précipite à Dar-el-Fatwa pour assurer le mufti Kabbani qu’il aurait, lui aussi, son média. Cheikh Hussein Fadlallah l’ayant déjà, c’est au tour de cheikh Mohamed Mahdi Chamseddine d’exiger le sien. Ce que voyant, cheikh Bahjat Ghaïth en réclame pour la communauté druze. Jusqu’à présent, les communautés chrétiennes s’étaient contentées d’une télévision et d’une radio, mais les choses étant ce qu’elles sont, elles pourraient se mettre de la partie et réclamer pour chacune d’entre elles son propre média. Et comme il existe au Liban dix-neuf communautés religieu-ses reconnues par l’Etat, qu’à l’intérieur de chaque communauté il existe au moins une douzaine de rites et de tendances différents, nous pourrions nous retrouver avec 228 moyens de diffusion. Un véritable embouteillage des ondes, de nature à bouleverser, voire à menacer une paix civile déjà branlante... Telles pourraient être les désastreuses conséquences d’une politique basée à l’origine, sur un profond déséquilibre socio-culturel et politico-confessionnel. Nous parlions tout à l’heure de clivage. D’après les psychanalystes, il existe ce que l’on appelle le “clivage du moi” qui se définit par la coexistence au sein du “moi” de deux potentialités contradictoires, l’une prédisposant à tenir compte de la réalité, l’autre déniant cette réalité. Vu les symptômes qui se manifestent à travers le comportement de nos dirigeants, on peut se demander s’ils ne sont pas déjà entrés en phase critique.


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