MUSIQUE

LETTRE OUVERTE À MONTSERRAT CABALLE


La Montserrat Caballe et sa fille Montserrat
Marti avec l’Orchestre Symphonique du
Caire sous la direction de José Collado.


Les deux Montserrat et le chef
d’orchestre saluant leur public.

Nous savions déjà que l’Art était une histoire de cour universelle, pouvant s’infiltrer partout, sans distinction de rang et de sang. Encore fallait-il le prouver. Pour cette nuit clé du festival de Beiteddine, nous attendions une grande voix. Nous reçûmes une grande dame. Quand vous entonnâtes votre “Vorrei veder lo sposo” et que les notes ne purent parvenir aux quel-que 4000 spectateurs de l’audience, vous en conclûtes que le cable était fatigué, que cela pourrait arriver, qu’il fallait faire le nécessaire pour que le Liban partageât cette soirée magni-fique avec tout le Moyen-Orient, que tout allait somme toute s’arranger. Les spectateurs ahuris vous virent, alors, rire au nez d’un micro qui refusait de remplir son rôle de micro, prendre votre mal en patience en vous asseyant tout simplement sur l’es-trade du chef d’orchestre. Les mi-nutes vite passèrent et tout fut en effet réglé. On vit de la cour, les flammes briller dans les arcades, éclairant les tentures drapées d’une scène monu-mentale. La fête alors commença vraiment. Vous reprîtes votre chant et Rossini s’imposa. Nous eûmes droit à deux Montser-rat plutôt qu’une, quand votre fille, Montserrat Marti, apparut. Lys à la gorge porteuse de promesses, c’est avec une sobriété et une maîtrise rare qu’elle entonna le “Oh quante volte! Oh quante!”, de Bellini. La “Gondoliera” empreinte de la verve mélancolique de Donizetti vous réunit; puis, encore le raffinement de Puccini dans son “O Bambino caro” (La Bohême). Vous nous indiquâtes même la lune qui toute ronde vous souriait, Madame, avant d’entonner “Il mio scettro” de Puccini en compa-gnie de votre fille. Après avoir joué l’ouverture du Barbier de Séville en première partie, l’Orchestre Symphonique du Caire conduit par José Collado, interpréta des notes dignes d’une nuit d’Orient, celles de la “Bacchanale” de Samson et Dalila. Un moment magique fut celui où vous nous chantâtes en compagnie de votre fille le splendide “Viens Malika” du “Lakmé” de Delibes. Les notes exotiques composèrent les bouquets de jasmin évoqués dans le chant. Et comme fut émouvant et vrai le “Amo a un hombre” de Caballero que nous offrit votre fille, succédant à l’intermède de “La noce de Luis Alonso” de Gimenez. “La Chanson de Paloma” du Barbier de Lavapiès” et “Le Bolero” des “Diamants de la couronne” (Barbéri) vous permirent d’évoquer votre Espagne natale. Et parmi les chants que vous nous consacrâtes parce que nous voulions vous garder encore, le “Corazón no llores” de la Habanera fut, je dois vous l’avouer, inoubliable. Vous nous quittâtes, tout comme vous nous aviez rencontrés, sur des notes pleines d’humour. Le “Duo de chats” de Rossini, unique dans le monde de la composition lyrique, vous valut les applaudissements d’un public depuis bien longtemps conquis. Laissez-moi vous dire Madame, même si vous refusez ce titre, que vous êtes Diva aussi dans l’âme. Le Liban vous a adoptée. Vous donc et toutes les Montserrat serez toujours les bienvenus au pays des Cèdres.

R. F.


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