
Il a l’amabilité de l’accueil et le savoir-faire des fils issus
d’une famille ayant assumé un leadership à l’échelle
beyrouthine et nationale. Tout en assurant la relève politique en
tant que député de la capitale, Tammam Salam ne recherche
pas, tel qu’il l’affirme, les postes et les positions en vue. “Mon objectif
prioritaire, dit-il, est de travailler dans l’intérêt public,
d’être au service de la patrie et de mes concitoyens; d’avoir la
conscience tranquille.” Tout au long de l’entretien et en relevant les
failles gouvernementales, ainsi qu’une certaine im-provisation et désinvolture
dans les prises de décisions, le député de Beyrouth
maintient un ton modéré et positif: “Je ne cherche pas à
jeter de l’huile sur le feu”. Pour lui, la finalité de l’action
demeure l’essentiel. Enfin, il se démarque de la classification
d’opposant ou de loyaliste.
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DÉPUTÉ
DE BEYROUTH
TAMMAM SALAM S’EXPRIME
AVEC MODÉRATION
“JE NE CHERCHE PAS À
JETER DE L’HUILE SUR LE FEU”
NI LOYALISTE, NI OPPOSANT
- Le dialogue porte d’emblée sur la situation dans le pays
et certaines de ses affirmations selon lesquelles le Liban s’achemine vers
une situation déplorable. Soutient-il toujours ce point de vue?
“Ce n’est pas exactement ce que j’avais exprimé, affirme-t-il. J’avais
dit que, face au processus du développement et de la recons-truction,
comme de la marche vers la paix qui se manifestent en de nombreux domaines,
on n’a pas pour autant le droit d’ignorer une situation financière
étouffante et ses répercussions sur la vie du citoyen. Je
suis de ceux qui disent que l’aspect positif de la situation dans son ensemble
prédomine toujours sur le côté négatif. N’empêche
qu’il faut, de temps à autre, faire certaines mises en garde des
aspects négatifs.”
- On déduit, de vos propos que vous n’êtes pas un député
opposant dans l’absolu?
“De manière générale, je penche davantage vers
l’optimisme que vers le pessimisme et j’essaye d’adopter des positions
objectives, loin de la classification de loyaliste ou d’opposant. Lorsque
j’attire l’attention sur un fait donné ce n’est pas, forcément,
à titre d’opposant. A maintes occasions, j’ai affirmé que
le fait d’avoir accordé la confiance au gouvernement, signifie que
je continue à appuyer son action. N’empêche qu’il est permis,
de temps à autre, d’émettre certaines remarques et objections.”
- Etes-vous prêt à perdre un peu du crédit dont
vous jouissez pour appuyer Hariri et son gouverne-ment?
“Dois-je comprendre de votre question que le crédit est lié
au non-appui au président Hariri et à son Cabinet? Pour ma
part, je tiens ce crédit de ma sensibilité, de ma prise de
conscience des affaires de mon pays et de la situation de ses fils. Ceci
constitue la base de mon action dans le domaine pu-blic qui n’est liée
ni à une personne, ni à un courant, encore moins à
une institution, dans la mesure où j’essaye de suivre l’action de
ces personnes et institutions, soit pour les appuyer ou dans certains cas,
pour rectifier les choses.”
LE POUVOIR DE DÉCISION APPARTIENT AUX
FILS DE BEYROUTH
- Depuis les législatives de 96, une même question
se pose: qui dispose du pouvoir de décision à Beyrouth?
“A mon avis, le pouvoir de décision revenait et demeurera, si
Dieu le veut, aux fils de Beyrouth. Cette capitale sait comment se comporter
grâce à l’attitude dynamique et courageuse de ses fils. En
maintes occasions, ils ont eu leur mot à dire, pris position et
enduré pour tout le Liban. Je suis de ceux qui ont confiance en
la décision des Beyrouthins et m’y attache. “Les Beyrouthins ont
connu des situations diverses, payé un prix cher, surtout durant
les années de guerre, mais je ne pourrai pas dire qu’ils se sont
désistés de leur droit de décision. De fait, ils essayent
en des circonstances des plus difficiles de maintenir leur place et position.
“Sont-ils pour autant satisfaits et rassurés de leur situation actuelle?
C’est là sans doute le fond de votre question qui émane du
sentiment qu’il y a chez les Beyrouthins des plaintes et récriminations
de cette conjoncture. Mais ceci, semble-t-il, n’est pas propre aux fils
de Beyrouth; il s’étend aux Libanais. Pour ma part, je prends en
considération cet état de fait et travaille avec les habitants
de ma ville pour l’améliorer et leur redonner le rôle spécifique
qui a, de tout temps, été le leur dans la capitale.”
- Pour plus de précision, qu’en est-il du leadership beyrouthin,
surtout que certains vont jusqu’à dire que Rafic Hariri, originaire
de Saïda, a été même plus loin que Riad Solh,
qui se présentait au Sud, alors que Hariri a posé sa candidature
aux législatives à Beyrouth?
“C’est là une opinion de presse. Pour ma part, je ne place pas
les choses dans ce contexte, mais en fonction de l’intérêt
public. Nul ne dénie au président Hariri son rôle dans
la réalisation de projets d’intérêt public. “Mais concernant
le leadership beyrouthin proprement dit, il revient en dernier ressort
aux fils de Beyrouth. “Quant à moi, je ne rentre pas dans ces surenchères
et considérations opportunistes. Je suis de ceux qui, à partir
de leur fonction et responsabilité, cherchent à travailler
dans l’intérêt du peuple”.
MUNICIPALES: RÉAFFIRMER LA NOTION DE
SERVICE PUBLIC
- En prévision des élections municipales, si elles
ont lieu, est-il vrai que vous envisagiez de faire liste commune avec le
président Salim Hoss?
“Je réclame qu’on éloigne, autant que possible, les élections
municipales de la politique et des politiciens. Les conseils municipaux
élus sont des tribunes du peuple, qui accordent les possibilités
aux compétences civiles de s’affirmer et de s’occuper de l’intérêt
général. Lorsqu’un conseil municipal s’implique dans l’action
politique, c’est aux dépens de son action municipale. De même,
lorsque des politiciens s’impliquent dans un conseil municipal, c’est aux
dépens de leur propre action politique et celle de l’intérêt
commun. Je suis donc pour la séparation de la fonction municipale
de l’action politique. Ceux qui prennent en charge la responsabilité
de la municipalité, doivent avoir pour objectif la préservation
de la qualité et du développement de leur ville ou village
et non pas d’œuvrer à des fins politiciennes dont les citoyens payent
le prix, étant donné la structure du Liban”.
- Etes-vous pour l’organisation des municipales dans les plus brefs
délais, tel que le réclament à nouveau certains parlementaires
ou pour leur renvoi au-delà de 98, tel qu’il en a été
décidé?
“J’étais d’avis à ce qu’on prépare le climat adéquat
pour leur organisation, surtout par l’adoption de lois claires concernant,
à la fois, les législatives, la décentralisation administrative
et les municipales, qui sont liées les unes aux autres et, partant,
influent directement sur la pratique démocratique du citoyen. “Mais
l’élaboration de ces lois ayant tardé, je n’ai aucune objection
à ce que les élections municipales se déroulent d’une
manière ou d’une autre, en dépit des failles dans la loi
en vigueur, tout en sachant qu’elles ne seraient pas exemplaires. Malgré
cela, je réclame qu’elles se déroulent aujourd’hui plutôt
que demain”.
- Avez-vous signé la pétition que fait circuler un
groupe de citoyens, réclamant la tenue des munici-pales?
“Cette pétition ne m’est pas encore parvenue et si on me la
soumet, je la signerai”.
PAS DE CARRIÉRISME POLITIQUE
- Qui sont vos alliés?
“Tous ceux qui œuvrent à renforcer le processus de paix, de
sécurité, de développement et de reconstruction pour
lesquels j’ai toujours milité. Je me considère l’allié
de toute œuvre et action visant à consolider l’édifice libanais
dans toutes ses composantes, spécialement, l’aspect humain aux côtés
de la pierre”.
- Vous êtes issu d’une famille ayant assumé un leadership
important, surtout au sein du “club des premiers ministres”. Aspirez-vous
à intégrer ce “club”?
“Tout ce à quoi j’aspire, c’est d’avoir la conscience tranquille
dans mon action publique et que je puisse poser ma tête sur l’oreiller
le soir en toute paix, sachant que je contribue à aider mon pays
et mes concitoyens à retrouver une place évoluée et
d’avant-garde face aux défis régionaux et internationaux
que nous devons affronter.”
DE L’IMPROVISATION DANS L’ACTION GOUVERNEMENTALE
- Le mécontentement des citoyens face à l’action gouvernementale
augmente de jour en jour. Que faire à votre avis?
“Ces plaintes qu’on entend tous les jours sont, certes, liées
aux problèmes de la vie quotidienne, auxquels le citoyen est confronté
du fait des crises financières que traverse le pays. La sagesse
et la prise de conscience supposent la reconnaissance de cet état
de fait, non de l’ignorer ou de passer outre et d’essayer de sortir de
cette crise financière. Cela demande une action planifiée
et courageuse. Hélas! nous relevons de l’improvisation et de la
spontanéité dans la prise des décisions, ce qui produit
un impact négatif sur le citoyen et suscite la crainte de voir les
dettes s’accumuler. “Le récent séminaire économique
qui paraissait être une tentative de solution, est demeuré
incomplet puisqu’il n’a débouché sur aucun plan d’action
à long terme pouvant apporter des solutions pour les années
à venir. “Car la situation économique et financière
du pays est pénible et dans leurs déclarations et prises
de position, les responsables n’ont pas le droit de l’ignorer ou de passer
outre, telle l’autruche plongeant sa tête dans le sable pour ne pas
voir venir le danger. “La transparence s’impose pour informer le citoyen,
ce qui le rassure en quelque sorte et faire participer toutes les compétences
à la recherche des solutions adéquates”.
- Qu’auriez-vous à dire à propos de la réforme
de l’audiovisuel?
“Nous étions parmi les premiers à réclamer l’organi-sation
des médias au Liban, car nous ne sommes pas avec la pagaille, mais
cette réorganisation s’est faite de façon non satisfaisante
et inefficace. “Quant aux médias religieux, différents des
médias confessionnels, nous sommes, aussi, pour leur réorgani-sation
de façon méthodique et planifiée”.
LA RÉVOLTE DES AFFAMÉS ET LES
PROBLÈMES À RÉSOUDRE
- Ne trouvez-vous pas que le gouvernement a basé sa politique
de la reconstruction sur une paix ré-gionale qu’il croyait proche
et qui, jour après jour, semble s’éloigner?
“Le gouvernement a, sans doute, opté pour une orientation optimiste
plutôt que de demeurer dans l’expectative et se dire tant que la
paix n’est pas assurée, je n’entreprends rien. Il a essayé,
mais le climat régional ne l’a pas aidé et nous souhaitons
que le contexte régional s’oriente vers la paix, pour pouvoir renforcer
le processus de la reconstruction et du développement interne. On
ne peut pas, pour autant, blâmer le gouvernement d’une situation
qui le dépasse. Ce n’est dans l’intérêt ni du Liban,
ni des Libanais”.
- Que pensez-vous de la “révolte des affamés”?
“Il s’agit là bien plus de manœuvres politiques que de toute
autre chose. Pour ma part, je ne vois pas l’intérêt de profiter
du mécontentement des gens pour l’investir dans des cris gênants
et percutants. “D’ailleurs, les gens ne semblent pas rassurés par
de tels appels et incitations à l’escalade qui ne comportent aucune
solution réelle et radicale aux problèmes soulevés.
On a davantage l’impression que certaines parties cherchent à s’afficher
ou à profiter de cette situation.”
- Etes-vous favorable au déploiement de l’armée dans
la Békaa?
“Je suis avec toute décision gouvernementale visant à
contrôler la sécurité, mais bien entendu, que ce ne
soit pas aux dépens des libertés. Tant que ces libertés
sont préservées, nous n’avons aucune objection vis-à-vis
de toute démarche sécuritaire. Le fil qui sépare les
libertés d’expression des appels au désordre et à
la révolte est très fin. Si le gouvernement et les autorités
responsables parviennent à saisir cette nuance, leur action ne cause
aucun préjudice. Le tort provient lorsqu’on cherche à dépasser
certaines lignes et considérations”. - Que dire de la levée
de l’immunité parlementaire couvrant Najah Wakim, suite à
certains propos désobligeants qu’il aurait tenus? “Najah Wakim a
son propre style dans son opposition politique qui ne correspond pas au
mien. Quant à l’immunité parlementaire, elle obéit
à des droits et devoirs dans le cadre des lois et des normes”.
POUR LA STABILITÉ GOUVERNEMENTALE
- Des voix s’élèvent, de temps à autre, réclamant
un changement gouvernemental. Y êtes-vous favorable?
“Avez-vous jamais entendu quelqu’un réclamer le maintien d’un
gouvernement? C’est un fait classique: lorsque quelques mois s’écoulent
sur la vie d’un Cabinet, certaines parties déterminées commencent
à réclamer son départ. Généralement,
ceux qui réclament un tel changement, sont ceux qui se sentent lésés,
pour n’avoir pas obtenu un portefeuille et espèrent y parvenir par
le biais d’un changement. “Je n’encourage pas les fréquents changements
gouvernementaux et suis pour la stabilité dans ce domaine. Mais
il faut reconnaître que ce gouvernement fait l’objet de plaintes
dues, en partie, aux divergences et conflits entre les ministres. Cela
cause du tort à l’action gouvernementale, ce qui est regrettable.”
- Ne seriez-vous pas ministrable?
“Il est notoire que je ne recherche ni les postes ni les profits personnels.
Lorsque je vois l’autre remplir son devoir et que j’en fais de même,
je considère que tout se déroule selon nos souhaits dans
l’intérêt de toutes les parties”.
- Quelle est votre évaluation de la situation régionale?
“Dans le contexte de la nouvelle politique suivie par les extrémistes
en Israël à leur tête Netanyahu, la situation n’est guère
rassurante. Et si cette mentalité continuait à prédominer,
le conflit israélo-arabe pourrait prendre des dimensions désagréables
et nocives pour les peuples de la région. Mais en dépit des
possibilités dont dispose Israël, sur le plan interne et extérieur
en priorité l’appui américain, tôt ou tard, le jour
viendra où les Arabes seront prêts à faire face à
cette réalité avec tout le sérieux et le sens des
responsabilités voulus. Je demeure optimiste sur ce point, car les
peuples arabes sont vivants et dynamiques. Des circonstances dures, dont
la création de l’Etat d’Israël les ont amenés à
se disperser et à se désintégrer, mais nous regardons
tous vers le jour où les Arabes s’uniront pour confronter cette
anomalie qui agit à sa guise parmi nos peuples arabes”.
OÙ VA LE LIBAN?
- Que pensez-vous de la décision du département d’Etat
levant l’interdit sur les voyages des ressortissants US vers le Liban?
“Cette décision comporte des aspects positifs dont on doit tirer
profit. Mais elle n’est ni le début, ni la fin du monde. Plusieurs
autres questions contribuent à renforcer la marche vers la paix
et la stabilité au Liban, en priorité notre solidarité
interne, pour faire face à tous les défis et échéances”.
- Comment voyez-vous l’avenir du Liban?
“A l’ombre du climat régional et international instable, nul
ne peut prédire l’avenir. “Mais je voudrais dépasser cet
aspect formel de la question, pour insister sur un point qui me paraît
beaucoup plus essentiel: nous disposons de données historiques permettant
d’affirmer que cette patrie jouit d’un dynamisme et d’une activité
de ses fils qui nous rassurent quant à la pérennité
de notre patrie et qu’il n’y a pas à craindre pour notre avenir
et celui de nos enfants. “Où va le Liban? La jeunesse de ce pays
se pose cette question. Il faut, d’ailleurs, se la poser constamment, pour
demeurer vigilant et confirmer notre attachement à notre patrie.
Je suis optimiste concernant notre avenir. Plusieurs autres nations ont
traversé des périodes difficiles et se sont maintenues. Il
en est de même pour la nôtre”.
-Tout au long de ce dialogue vous avez adopté un ton modéré,
alors qu’on vous a entendu des fois réagir avec virulence. Pourquoi
cette modération?
“Je ne suis pas de ceux qui jettent de l’huile sur le feu. Lorsqu’il
s’agit de formuler des remarques ou des objections, je n’hésite
pas à m’exprimer ouvertement. Mais de là à s’étendre
dans les critiques et les attaques pour satisfaire certains sentiments,
cela est inutile. “S’il m’est arrivé d’adopter, par moments, un
langage vif, c’était en réponse à certaines propositions
que les gens n’avaient pu admettre. Une mise au point s’imposait et je
me suis exprimé en conséquence.”
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