JEZZINE
UNE SOLUTION RAPIDE S’IMPOSE POURQUOI NE PAS Y DÉPLOYER LA FINUL?
LA RENCONTRE DE MAR ROUKOZ A EU LE MÉRITE DE POSER LE FOND DU PROBLÈME

La question de Jezzine se pose aujourd’hui dans toute son acuité et nul n’a plus le droit dans la “République taéfienne” de l’ignorer. Le cri d’alarme de la rencontre de Mar Roukoz doit être entendu de tous et qu’on fasse fi des susceptibilités et surenchères pour trouver une solution adéquate à cette région placée entre l’enclume et le marteau, encaissant les coups de toutes parts alors que ses fils n’aspirent qu’à vivre en paix dans le giron de la légalité.


HISTORIQUE D’UNE CRISE
Pour comprendre tant soit peu ce qu’on pourrait qualifier l’affaire de Jezzine avec ses implications et retombées multiples, il serait utile sans doute de se rafraîchir la mémoire concernant les différentes phases politico-militaires vécues par l’ensemble de ce secteur au fil des années de guerre. De 1976 à 1982, l’armée syrienne s’y déploie pour, soi-disant, y préserver le calme et la sécurité, face aux visées des Palestiniens et de leurs alliés. En juin 1982, avec l’opération “paix pour la Galilée”, la région passe, entièrement, sous le contrôle de “Tsahal” jusqu’en 1985, date du retrait de l’armée israélienne du Awali et son repli sur la “zone de sécurité”. Pendant que l’Armée libanaise se déployait jusqu’au Awali, les villages chrétiens à l’est de Saïda étaient pris d’assaut par des groupes armés palestiniens et alliés; la population a dû abandonner tout sur place pour se réfugier à Jezzine. Le monde s’émeut pour un laps de temps; les secours en vivres et médicaments arrivent; le Vatican dépêche une mission pontificale dans cette ville, dirigée par le R.P. Buhigas durant près de huit ans. Jusqu’à son décès, cette mission a accompli une action socio-humanitaire remarquable, apportant un grand réconfort aux habitants.

APRÈS 1985: L’ALS PREND LE SECTEUR EN CHARGE
Sur le plan militaire, la région de Jezzine va se retrouver dans une situation ambiguë dès 1985. En se retirant du Awali, les Israéliens évacuent en même temps Jezzine qui, pour eux, ne fait pas partie du “cordon de sécurité” et ne rentre pas dans le cadre de la 425. L’Etat libanais qui avait, à ce moment, la chance d’étendre sa souveraineté jusqu’à Jezzine et son caza, ne saisit pas cette opportunité et, dès lors, ce fut le général Antoine Lahad et son Armée du Liban Sud (ALS) qui prirent en charge la sécurité dans ce secteur. Un fait doit donc être clair pour tout le monde: les Israéliens ne sont pas positionnés à Jezzine. Cela n’a pas pour autant rendu sa situation aisée et n’a pas mis la ville à l’abri des bombardements et attaques aux engins piégés, de la part des intégristes. Placée entre l’enclume et le marteau, dans une situation de porte à faux vis-à-vis, aussi bien de la légalité libanaise que de l’occupation israélienne, Jezzine et sa région vont dépérir d’année en année et se vider, progressivement, de leur population face à l’indifférence générale.

LE CAZA S’EST VIDÉ
Située à la croisée des chemins entre le Chouf, la Békaa-ouest et la partie méridionale du pays, Jezzine et son caza s’étendent de Kfarfalous (près de Saïda) jusqu’à Kfarhouné (limitrophe de la zone de sécurité), englobant une cinquantaine de villages. En temps normal et au cours de la saison d’été, la région comptait entre 100 et 125 mille personnes. L’hiver, même, une bonne majorité de la population demeurait sur place, s’adonnant à de multiples activités: agricole, artisanale, commerciale, éducative, culturelle, etc... Aujourd’hui, la situation y est réellement dramatique, résultant d’un isolement à nul autre pareil, d’un état d’insécurité chronique et de la paralysie de toute forme d’activités. Le caza s’est quasiment vidé de sa population et les 7 à 8 mille personnes qui demeurent sur place, y sont restées, parce qu’elles n’avaient pas une autre alternative. L’isolement est dû au fait que toute la région n’est reliée au Nord du pays que par une seule voie de passage, celle de Bater tenue du côté du Chouf par l’armée libanaise et, à l’entrée de Jezzine, par l’ALS, ce qui ne facilite ni encourage les déplacements. Sur le plan économique, la situation est, également, dramatique: le commerce est paralysé, le travail de la terre quasi-impossible, car les terrains sont minés ou bombardés; quant au fameux artisanat de la coutellerie de Jezzine, il se poursuit au ralenti, davantage hors de la région.

VIOLENCE ET INDIFFÉRENCE OFFICIELLE
En dépit de la précarité de la situation, la population se serait maintenue sur place, surmontant avec courage les difficultés de la vie quotidienne, faisant preuve de tenacité et de résistance, n’était-ce l’état d’insécurité militaire qui, au cours des dernières années, a sévi dans la région, faisant d’innombrables victimes parmi les civils et provoquant des dégâts matériels considérables, sans que nul dans la République ne s’émeuve. De fait, après 1991 et l’instauration de la “légalité taéfienne”, alors que le calme s’instaurait au Nord du pays, Jezzine est prise dans un engrenage de violence, subissant des attaques meurtrières, injustifiées et fréquentes du “Hezbollah.” “Le comportement des milices intégristes à notre égard est totalement incompréhensible, me confient les fils de cette localité. Nous ne sommes pas une ligne du front et ne faisons pas partie de la zone de sécurité. Puis, nous ne nous attaquons à personne et tout ce que nous voulons, c’est vivre en paix. Pourquoi le “Hezbollah” nous prend-il pour cible? Ainsi, Jezzine a vécu toutes ces années livrée à elle-même et à son triste sort, elle qui était l’un des fleurons de nos centres de villégiature et offrait un modèle parfait de convivialité.

LA COTE D’ALARME EST ATTEINTE
Pourquoi, aujourd’hui, le cas de Jezzine est-il, enfin, posé au grand jour, alors qu’il aurait dû l’être depuis bien longtemps? Les hommes politiques et les notables de la région auraient dû réagir et secouer toute la République pour sauver ce secteur marginalisé. Leur lenteur à réagir était due, peut-être, au fait qu’ils croyaient comme nous tous que la paix était bien plus proche qu’elle ne semble l’être et que le drame de Jezzine connaîtrait son heureux épilogue avec l’ensemble du Liban-Sud. Mais hélas! la paix semble s’éloigner, de jour en jour, alors que la situation démographique et socio-économique de Jezzine et de sa région atteignait la cote d’alarme; on ne pouvait plus garder le silence, d’autant que les attentats aux charges explosives ont fait, ces derniers mois, de nombreuses victimes innocentes. La goutte avait débordé le vase face à une indifférence inexplicable des autorités officielles, comme si elles n’étaient nullement concernées par le sort de milliers de citoyens libanais abandonnés à leur sort. Les notables de la région se décidèrent, finalement à lancer un SOS. Des rencontres ont été tenues au couvent de Mar Roukoz, auxquelles a appelé l’abbé Youhanna Slim, supérieur général de l’Ordre des moines Antonins libanais, lui-même natif de Jezzine, l’objectif de ces assises étant de caractère socio-humanitaire. Il s’agit de mettre un terme aux attaques injustifiées contre des citoyens innocents, d’arrêter l’exode de la population et d’assurer à ceux qui demeurent sur place les moyens de survivre.

L’EXODE, PRÉLUDE À L’IMPLANTATION?
Cette alerte était, comme on s’en doute, impérative, car plusieurs indices concordaient à prouver que l’objectif des attaques injustifiées sur cette ville et sa région visaient, en fin de compte, à provoquer l’exode de la population pour pouvoir, ensuite, y implanter des Palestiniens. Le processus d’implantation est largement avancé déjà à l’est de Saïda, où des complexes résidentiels se construisent à la file, sur des terrains vendus par les fils originaires de ces localités, qui partent ailleurs, alors que les appartements sont vendus à très bon marché, surtout, à des Palestiniens. Des projets similaires sont prévus dans le secteur de Kfarfalous et le fléau pourra atteindre assez vite Jezzine. Nous n’en sommes pas là encore au niveau de cette ville, mais il n’est pas question d’attendre que le mal soit fait pour réagir. Il existe un autre écueil auquel il faut être aussi très attentif: une fois Jezzine vidée de sa population, les “Hezbollahis” pourront facilement faire la jonction entre le Sud et la Békaa-Ouest à travers ce caza.

RÉACTIONS INJUSTIFIÉES AUX ASSISES DE MAR ROUKOZ
Si les rencontres de Mar Roukoz sont largement justifiées, la réaction des officiels et, en premier lieu, du président de la Chambre ne l’est guère. M. Nabih Berri considérant que tout ce qui concerne le Sud est sa chasse-gardée, n’a pu tolérer que des notables d’une région dont d’anciens parlementaires et même un ministre en exercice puissent avoir le droit de se réunir pour étudier la situation dramatique de leur région. En vertu de cette mentalité du partage du pouvoir et des zones d’influence depuis Taëf, tout ce qui se rapporte au Sud doit être placé sous sa tutelle. “Mais, affirme un citoyen éclairé, au lieu de réagir de façon aussi négative face au rassemblement de Mar Roukoz, le président Berri n’aurait-il pas pu appeler lui-même à une rencontre élargie groupant les députés du Sud, les représentants du “Hezbollah”, de “Amal” et les notables de Jezzine en vue de trouver une solution acceptable par toutes les parties et de mettre un terme au drame de cette région. Cela aurait été tout à son honneur”. Les autres pôles du pouvoir ne manquent pas, non plus, de critiquer les rencontres de Mar Roukoz, accusant ses adeptes de vouloir imposer la formule “Jezzine d’abord”. Pourtant, les membres de ces assises se défendent vivement de privilégier cette formule. Ils s’évertuent à expliquer aux responsables qu’ils ont un seul objectif: épargner les vies innocentes, assurer le minimum de survie dans cette région pacifiste et attirer l’attention des responsables sur le drame qu’elle subit en silence depuis des années.

LE CONSEIL DU SUD RÉAGIT...
Dans cet ordre d’idées, il est important de relever que le Conseil du Sud qui indemnise, généreusement, les Sudistes au moindre petit incident, ne s’était jamais préoccupé de Jezzine suite à des bombardements ou des attaques aux explosifs qui ont toujours fait des victimes et des dégâts. A peine parle-t-on de ces victimes dans les médias officiels. Ce n’est que récemment, après que les notables de la ville eurent fait entendre leur voix, qu’il a payé, dit-on, des sommes dérisoires aux familles sinistrées. Un premier exemple de la politique des deux poids deux mesures. Un autre exemple flagrant: le “Hezbollah” ou une “cinquième colonne” fait toujours exploser des engins piégés contre des civils à Jezzine et dans sa région telles Aïchiyé, Kfarhouné... alors que ce procédé n’est guère utilisé contre les civils, ni à Bint-Jbeil, ni à Hasbaya ou dans d’autres secteurs de la “zone de sécurité”. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, des citoyens se réclamant de toutes les communautés, sont restés sous l’occupation, refusant de quitter leurs terres. D’ailleurs, les effectifs de l’A.L.S., tel que l’affirme le général Lahad lui-même, sont constitués de 30% de chiites, 30% de sunnites et de druzes et 40% de chrétiens. Il y a donc plus de musulmans que de chrétiens dans cette force de facto. Mais aucun responsable n’a jamais accusé les familles musulmanes demeurées sous occupation dans la bande frontalière de “collaborer avec l’ennemi”, alors que plus d’une fois les fils de Jezzine sont traités de “collabo”. Pourquoi cette discrimination? Ceux qui s’engagent avec Lahad, le font souvent par besoin et l’ensemble de la population n’a pas à assumer son choix tant qu’elle ne peut rien offrir en contrepartie.

ON NE PEUT LAISSER JEZZINE...
Qu’on le veuille et qu’on l’admette ou pas, le cas de Jezzine se pose, aujourd’hui, dans toute son acuité. Peut-il y avoir une solution possible? Certes, il n’est pas question de toucher à la sacro-sainte “425”. On constate de même que, pour nos dirigeants, le problème du Liban-Sud est désormais étroitement lié à celui du Golan. Mais en attendant l’application de cette résolution, on ne peut laisser Jezzine à son sort. Quelle solution proposer? En premier lieu, un dialogue franc et direct entre les assises de Mar Roukoz et les dirigeants du “Hezbollah” pourra être bénéfique avec, naturellement, la “bénédiction” du président Berri, car on doit tenir compte des susceptibilités entre le “Hezb” et “Amal”. Une autre éventualité, toujours “en attendant Godot”, le déploiement de la FINUL dans ce secteur, à l’exemple de plusieurs autres zones sudistes, afin de rassurer la population, lui apporter une aide socio-humanitaire et épargner les civils. De même, il est indispensable que le Vatican dépêche un nouvel émissaire papal à Jezzine, les fils de la ville et de sa région évoquant toujours le travail admirable accompli par le regretté Père Buhigas.

ET SI L’ALS SE RETIRAIT SANS PRÉAVIS?
Il faudrait, aussi, préparer le terrain par une concertation généralisée entre les autorités officielles, la milice intégriste, les autres fractions politiques du Sud et les notables de Jezzine, au cas où Lahad décide de se retirer, sans crier gare. Qu’adviendra-t-il du caza de Jezzine? Un nouvel exode, suite à une invasion des intégristes, ou le déploiement de la légalité pour assurer, au contraire, le retour des citoyens à leur terre? Il faut, à ce propos, obtenir des garanties formelles de toutes les parties. Après 1985, Lahad avait, à un moment donné, proposé de se retirer pour que l’armée libanaise se déploie dans ce secteur. L’Etat lui avait fait la sourde oreille. Cette fois, les responsables ont décidé, unilatéralement, d’ouvrir la voie de passage de Kfarfalous. Le processus est toujours bloqué. Mais à tout moment, Lahad pourrait se retirer et l’armée devrait être en mesure de protéger le secteur. D’autant plus qu’il y a, à l’intérieur de Jezzine, plusieurs effectifs de nos forces régulières, car une brigade avait commencé à s’y déployer en 1976. De même, plus de cent éléments des F.S.I. stationnent dans la localité. Une action s’impose donc pour sortir Jezzine de son isolement, de sa marginalisation et lui redonner vie, en attendant l’instauration de la paix. Tout comme au Golan, il existe un accord de désengagement syro-israélien.

N.H.


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