PLUSIEURS MINISTRES S’Y SONT OPPOSÉS


LE “PROJET HARIRI” MAJORANT LE PRIX
DE L’ESSENCE ET INSTITUANT DE NOUVELLES TAXES,
REJETÉ EN CONSEIL DES MINISTRES

Le Conseil réuni sous la présidence de M. Hraoui.

Le refus d’un grand nombre de ministres de souscrire au projet fiscal du président Hariri a-t-il épargné au pays une grave crise sociale, peut-être même un soulèvement populaire? Peut-on pour autant croire que le dossier est clos et que Hariri ne va pas revenir à la charge pour faire passer sa stratégie? Les jours à venir nous le diront. Mais jusqu’à quel point le peuple peut-il encore supporter de nouvelles charges, alors qu’il ploie déjà sous le fardeau d’une vie chère et les problèmes quotidiens? Devra-t-on, dès lors, reprendre la manchette de notre confrère “Al-Bayrak”: “Démissionnez donc M. le Premier ministre!”

LES ARGUMENTS DE HARIRI

Au Conseil des ministres du jeudi 28 août, le projet fiscal du président Hariri tombe comme une douche froide qui produit des frissons, non seulement pour bon nombre de ministres qui s’y opposent mais, aussi, à l’échelle nationale. Quoique la veille de cette réunion Hariri avait évoqué son projet avec différents ministres, pour en laisser filtrer, sans doute, les grandes lignes afin de connaître, à l’avance, les réactions qu’il pourrait susciter aussi bien au sein de son équipe qu’à l’échelle populaire et des forces vives. Au cours de la séance-marathon du 28 août, le Premier ministre tente de faire passer son projet, tablant son argumentation sur trois points essentiels: le retour des déplacés, exige des crédits non inférieurs à 250 millions de dollars: un autre quart de milliard est nécessaire pour le développement des régions rurales défavorisées, dont Baalbeck-Hermel et le Akkar. En troisième lieu, il faudra non moins de 200 millions de dollars pour faire évoluer l’enseigne-ment public et technique. Afin d’assurer le financement de ces différents dossiers prioritaires, dont le coût s’élèverait à un milliard de dollars, Hariri expose comme suit sa stratégie financière: le gouverne-ment demanderait au parlement l’autorisation d’émettre des bons du Trésor en dollars pour un milliard, à longue échéance sur 10, 15 ou 30 ans. Mais certaines mesures devront accompagner cette nouvelle stratégie fiscale dont l’augmentation de 5000 L.L. du prix des vingt litres d’essence et l’imposition d’une taxe de 5% sur toute opération de vente d’un quelconque produit, à l’exception des produits agro-alimentaires.

LES MINISTRES NE MARCHENT PAS

Comme pour amadouer les oppo-sants et les réfractaires au sein de son équipe, autant qu’à l’échelle popu-laire, à toute nouvelle imposition, il préconise de réduire de 200 milliards de livres les dépenses publiques, sachant que le déficit budgétaire a déjà largement dépassé la barre des 50%, alors que les prévisions avaient fixé ce déficit à 37% pour l’exercice en cours. Il propose que son projet soit approuvé ou rejeté en bloc, sur une base consensuelle, sans être soumis au vote. Pour une fois, les ministres ne “marchent” pas! Onze parmi les vingt-cinq présents, s’opposent au projet, refusant l’augmentation du prix de l’essence et l’imposition de nouvelles taxes. Ces ministres sont: Michel Murr, Farès Bouez, Chawki Fakhoury, Elie Hobeika, Chahé Barsoumian, Nadim Salem, Sleiman Frangié, Hagop Démerdjian, Mahmoud Abou-Hamdane, Akram Chéhayeb et Ayoub Hemayed. Tout en étant d’accord sur la nécessité d’accroître les recettes du Trésor, les ministres cités plus haut, refusent toute nouvelle imposition. Certains proposent que l’augmen-tation du prix des 20 litres d’essence soient de 2000 ou 3000 L.L. tout au plus. M. Frangié suggère d’imposer des taxes sur des produits tel que le ciment ne touchant pas les couches moyennes et défavorisées. Devant les vives réactions que suscite le projet Hariri, toute décision est remise à une date ultérieure. Sans doute après le retour du président Hraoui du Brésil, du président de la Chambre de Roumanie et du chef du gouvernement d’Australie. Car en ce mois de septembre, la République est en vacances. Les citoyens ne le sont pas et se préparent à affronter les multiples dépenses de la rentrée.

RÉACTIONS DE REFUS EN CHAÎNE

Rejetées en Conseil des ministres, ces “mesures impopulaires” telles que les a qualifiées le Premier ministre lui-même, provoquent un véritable tollé de réactions négatives de la part de multiples forces politiques, économi-ques et syndicales. Le président de la Chambre donne le ton: “Je félicite, dit-il, le Conseil des ministres pour avoir refusé de majorer, sans examen préalable, le prix de l’essence et de donner son aval à l’emprunt d’un milliard de dollars”. Réunie sous la présidence de Ghanim Zoghbi, la CGTL (pro-gouvernementale) refuse, catégori-quement, les mesures fiscales envi-sagées et menace de recourir “à une grève générale de trois jours si ces mesures sont adoptées”. La fraction de la centrale syndicale dirigée par Abou-Rizk ne sera pas plus tendre à l’égard du gouvernement “qui, dit-elle, agit comme s’il vivait en marge de l’épreuve du peuple ou comme s’il s’agissait du gouverne-ment d’un autre pays”. Aussi, préconise-t-elle, entre autres moyens de dissuasion, le recours à la grève et aux manifestations. Même son de cloche du côté du Parti National Libéral (PNL) qui exprime, nettement, son refus de ce qu’il qualifie de “package” financier du Premier ministre, tout en critiquant le “lien artificiel” qu’il cherche à créer entre le problème du retour des déplacés et les nouvelles taxes. Pour le député du Akkar, Issam Farès, “les citoyens ne sont plus en mesure de supporter, un surplus de charges dans le contexte de la cherté et de l’anarchie dans la dépense des deniers publics”. “En vertu de quelle logique, ajoute-t-il, demande-t-on au peuple, en lui imposant de nouvelles taxes, de compenser les pertes dues aux infrac-tions commises par l’administration, en l’absence de tout organe de contrôle et du rôle du Parquet financier?”

LES CRITIQUES DE HUSSEINI ET O. KARAMÉ

L’ancien président de l’Assemblée nationale, Hussein Husseini, ne mé-nage guère, non plus, le gouverne-ment: “L’Etat, dit-il, est endetté pour quinze milliards de dollars, alors que le gaspillage des deniers publics atteint plus de 60% du total des dépenses. Il faut combler le déficit budgétaire et mettre fin aux mono-poles des adjudications des projets de développement”. Il reproche à l’Assemblée nationale d’avoir protégé le gouvernement lorsqu’il a imposé des taxes doua-nières et d’avoir évité de tenir de nouvelles réunions pour ne pas affronter le Cabinet qui envisage de majorer le prix de l’essence. Quant à l’ancien président du Conseil, Omar Karamé, comme à son habitude, ne sera pas tendre à l’égard de Hariri et de son équipe. “Comment, dit-il, un gouvernement qui a perdu la confiance des administrés, peut-il recourir à un nouvel emprunt d’un milliard de dollars, alors que son plan ne prévoit ni arrêt de la dilapidation des fonds publics, ni compressions budgétaires, ni réorientation des dépenses? La critique la plus rationnelle émanera, surtout, de la part du Rassemblement parlementaire na-tional (RPN) qui regroupe: Omar Karamé, Salim Hoss, Hussein Husseini, Nassib Lahoud, Boutros Harb et Mohammad Youssef Bey-doun, six ténors de l’opposition parlementaire.

LE RPN CONTRE TOUTE SURTAXE

Le RPN se prononce contre toute surtaxe, nouvelle mesure fiscale et accumulation des dettes, “avant que les autorités aient amélioré la perception des impôts, éradiqué le gaspillage dans les dépenses pu-bliques et annoncé des objectifs clairs afin, surtout, de retrouver la confiance des citoyens”. Considérant que le retour des déplacés est une question d’impor-tance nationale, le Rassemblement demande au gouvernement d’exposer, publiquement, les détails de la stratégie qu’il compte adopter pour régler, une fois pour toutes, ce dossier. Pour sa part, Nassib Lahoud avait, auparavant, mis en garde contre toute taxe sur les opérations de vente “qui, affirme-t-il, constituerait, si elle était adoptée, un tournant grave dans la politique fiscale du pays et un pas décisif vers l’imposition indirecte qui frappe de la même manière tous les citoyens, abstraction faite du niveau de leurs revenus”. Quant à Moustapha Saad, député de Saïda, il qualifie la politique du gouvernement “de fuite en avant, puisqu’il envisage de faire face au déficit résultant des dettes, en procédant à de nouveaux em-prunts”. Les réactions en chaîne contre le projet fiscal de Hariri montrent, tout d’abord, un manque de confiance dans la gestion du gouvernement, pas plus que dans l’administration publique et les différentes institutions étatiques. On se rappelle que, lors des assises du “Coral Beach”, les repré-sentants des organismes économiques avaient refusé de donner leur aval à de nouvelles taxes, tant que l’Etat n’est pas en mesure de juguler la corruption et la dilapidation des fonds publics “qui contribuent à accroître le déficit budgétaire”. L’autre raison majeure du refus populaire de ce projet est due au fait que l’imposition de nouvelles taxes grèvera davantage encore le budget des classes laborieuses à revenu moyen et modeste. Quant à l’aug-mentation du prix de l’essence, elle provoquerait, aussitôt une flambée incontrôlée des prix. Un argument qu’on entend souvent aussi: l’ordre des priorités dans le choix et l’exécution des projets, dont certains pourraient être relégués au second plan et d’autres profiter des crédits actuels. Mais, en définitive, tout est une question de confiance. Et l’on peut dire qu’elle est perdue...

LES RAISONS DU «VETO» DES MINISTRES
AU PROJET FISCAL DE HARIRI
BARSOUMIAN: «JE NE M’Y OPPOSE PAS,
MAIS JE PRÉFÈRE L’ÉTUDIER EN PROFONDEUR
AVEC LES AUTRES SUGGESTIONS»

Les ministres Chahé Barsoumian et Sleiman Frangié.

Dix-neuf ministres ont opposé leur veto au projet présenté par le président du Conseil, M. Rafic Hariri concernant l’augmentation (de 5.000L.L.) du prix de l’essence et l’institution de nouveaux taxes et impôts. Etant presque tous d’accord sur la nécessité d’allouer des crédits afin de relever certains secteurs mentionnés dans le «projet Hariri» et de réduire le déficit budgétaire, les raisons qui les ont poussés à s’y opposer diffèrent, sauf sur un point unique: Pas question de faire subir au peuple d’aussi lourdes charges.

UNE ÉTUDE RIGOUREUSE S’IMPOSE

Le ministre du Pétrole, M. Chahé Barsoumian, que nous avons contacté, affirme avoir repoussé le «projet Hariri» non parce qu’il y était complètement opposé, mais pour le soumettre à de rigoureuses études destinées à réduire les risques de léser le citoyen. «Les conséquences de ces impôts, observe-t-il, pourraient s’avérer négatives sur le citoyen». «Il vaut mieux, ajoute-t-il, étudier d’autres possibilités, telle la suggestion du ministre de la Santé, M. Sleiman Frangié qui préfère une hausse de taxes sur des secteurs et produits n’ayant pas de conséquence directe sur le citoyen, tels le ciment et le tabac. La hausse du prix de l’essence, poursuit-il, pourrait aboutir à des conséquences très graves sur tous les autres secteurs, comme le transport et, surtout, les scolarités qui en seront sûrement affectés. Il vaut mieux limiter cette hausse à 2000L.L.» Quant à la taxe avancée sur toute opération de vente, M. Barsoumian préfère soumettre cette suggestion à de sérieuses études, afin de définir les risques qu’elle comporte. Le ministre du Pétrole met, enfin, l’accent sur la nécessité de financer certains de ces projets, dont les écoles publiques, les hôpitaux et le retour des déplacés.