Par NELLY HÉLOU


“Le gouvernement a une attitude repressive vis-à-vis de la société civile qui essaye de s’exprimer et de défendre ses droits par des moyens pacifiques”, nous confie Nassib Lahoud.


“Reporter indéfiniment les élections municipales, c’est priver l’Etat du partenaire local du développement équilibré”. (Photos Nabil Ramadan).

Un des ténors de l’opposition parlementaire, le député du Metn-Nord, Nassib Lahoud, retient l’intérêt et capte l’attention de son interlocuteur, par l’analyse approfondie de chaque dossier qu’il traite, par la précision de sa pensée, autant que par sa formulation, confirmant la maxime célèbre: “Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement”. Le véritable leitmotiv de toute son action politique et publique est dictée par son indéfectible attachement aux valeurs démocratiques, aux libertés à l’établissement d’un véritable Etat de droit au Liban. Il ne fait pas de l’opposition pour le plaisir d’en faire, mais partant de sa conviction de dénoncer la carence du pouvoir, d’éveiller les citoyens à leur droit spoliés et bafoués. A l’écouter parler, on comprend pourquoi il a, volontairement, troqué la carrière diplomatique contre la vie politique: “Il est plus attirant, dit-il, d’être le représentant du peuple que du gouvernement”. Et en cas d’élections présidentielles, beaucoup de Libanais souhaiteraient tant qu’il soit le prochain locataire du palais de Baabda.

DÉPUTÉ DU METN-NORD NASSIB LAHOUD
“IL EST IMPENSABLE DE CONCEVOIR L’ÉPANOUISSEMENT ÉCONOMIQUE DU LIBAN SANS UN RÉGIME FONDAMENTALEMENT DÉMOCRATIQUE”

RECOURS EN INVALIDATION DU REPORT DES MUNICIPALES
- Vous avez présenté avec d’autres députés un recours devant le Conseil constitutionnel pour faire annuler les lois NÞ654 et 655 du 24-7-97 qui ont prorogé le mandat des conseils municipaux jusqu’en 1999. Avez-vous obtenu gain de cause?
“Le jour où la majorité parlementaire, en collusion avec le gouvernement, a voté encore une fois, le report des élections municipales, ajoutant ce renvoi aux autres adoptés, systématiquement, dans les années précédentes, nous nous sommes engagés, quelques collègues et moi-même, à faire tout ce qui est possible pour obtenir que les élections aient lieu le plus tôt. Avec le concours d’experts juridiques et de professeurs d’université, nous avons mis au point la requête que nous avons présentée au Conseil constitutionnel demandant l’annulation de ces deux lois; nous avons bon espoir d’obtenir gain de cause.”

- Qu’est-ce qui vous le fait croire?
“Notre requête est basée sur plusieurs points essentiels: le premier étant qu’un régime démocratique est, nécessairement, issu de la volonté du peuple et un renvoi d’élections depuis 34 ans, sans qu’il n’y ait plus, à l’heure actuelle, de situation de force majeure est une spoliation de la volonté populaire. “D’un autre côté, le principe de l’égalité des Libanais devant la loi requiert qu’ils aient tous des conseils municipaux; or, certains en bénéficient et d’autres pas, ce qui est anormal et va à l’encontre de la Constitution. “Le troisième point est que le développement équilibré est un fondement principal du nouveau pacte national, tel que cela est dit dans l’introduction de la Constitution. Or, un tel développement ne peut se faire sans le partenariat local que représente le conseil municipal. “Par ailleurs, nous avons répondu à l’appel de beaucoup de jeunes qui font circuler une pétition nationale demandant la tenue des municipales.”

POUR RENDRE AU PEUPLE SON DROIT
Nassib Lahoud poursuit: “La réunion pour le lancement de la pétition devait avoir lieu au “Long Beach”, mais les autorités l’ont empêchée et l’intervention d’un groupe de parlementaires, dont moi-même, a permis finalement qu’elle se tienne au théâtre de Beyrouth, à Aïn Mreissé. Car les FSI ont fait de tout pour empêcher ces jeunes d’arriver au théâtre, essayant même d’intimider le directeur. “Nous estimons que cette pétition est extrêmement importante: à travers une opération populaire de cette envergure, couplée à une requête auprès du C.C., nous pensons que notre bataille est bien lancée pour rendre au peuple son droit et permettre à la démocratie de fonctionner de manière irréprochable. La démocratie est un tout et les élections municipales en sont un échelon excessivement important.”

- Vous aviez vivement condamné l’attitude des autorités qui ont empêché la réunion du “Long Beach” et interdisent les rassemblements et manifestations!
“Le gouvernement a une attitude répressive vis-à-vis de la société civile qui essaye de s’exprimer et de défendre ses droits par des moyens pacifiques. Lorsque le gouvernement décide d’enrayer les réunions dont les objectifs déclarés sont d’œuvrer pour l’Etat de droit, la consolidation des institutions et une meilleure marche du système démocratique, nous pensons que ceci est intolérable et qu’il est en train d’agir en dépit de la loi, de la Constitution et des principes démocratiques. “Par ailleurs, le gouvernement persiste à exiger une autorisation préalable pour la tenue de telles réunions, comme pour la création de nouvelles associations qui ne requièrent qu’un avis, sans attendre un accord préalable. “Tout cela va à l’encontre de la loi et nous nous battrons jusqu’au bout pour défendre le droit du peuple libanais à s’organiser en associations, à se rassembler, à défendre ses droits démocratiques. Nous serons au centre de cette bataille qui est permanente, tant que les droits des citoyens seront mis en cause.”

NON AU LIBAN CIRCONSCRIPTION UNIQUE
- Un autre sujet sur lequel vous ne manquez jamais de vous exprimer: la réforme de la loi électorale. Vous avez été jusqu’à dire que le projet de circonscription unique proposé par le président Hraoui, repris par le président Hariri, serait un projet de discorde au Liban. Réclamez-vous toujours le rejet d’une telle idée?
“J’ai été le premier à me prononcer contre le projet transformant le Liban en circonscription unique quand le président Hraoui l’a proposé, il y a deux ans et qui est repris, maintenant, par le président Hariri, parce qu’ils envisagent de l’appliquer selon le système du scrutin majoritaire. Or, aucun pays au monde n’a adopté la grande circonscription sans introduire avec elle le scrutin à la proportionnelle. “Je ne serais peut-être pas contre ce projet si, au moins, il devait être doublé du scrutin proportionnel qui est à caractère inclusif, où toutes les tendances et forces politiques seront forcément représentées au parlement. Alors que la circonscription unique à scrutin majoritaire risque de mettre le pays à la merci de la plus grande des minorités. Ce qui veut dire que dans leur majorité, les citoyens libanais ne seraient pas représentés au parlement et ceci est un projet de discorde excessivement grave. “Je vous donne un exemple: en cas de circonscription unique à scrutin majoritaire et en estimant qu’il y ait trois listes en lice, la première obtenant 40% des voix et, les deux autres, 30% et 30% des voix, la liste qui a obtenu 40% des voix aura 100% des sièges parlementaires et les 60% des suffrages exprimés ne seront pas représentés. “Le Liban ne peut pas supporter un tel déséquilibre. Voilà pourquoi, ce projet devrait être retiré de la circulation”.

- Seriez-vous pour la petite circonscription?
“Il y a quelques années, j’avais cru que le mohafazat pouvait être une bonne solution. Aujourd’hui, après l’avoir expérimenté, je pense qu’un projet de loi électorale basée sur le caza est, peut-être, celui qui nous convient le mieux dans les circonstances présentes. Les Libanais doivent voter pour des candidats qu’ils connaissent, un député devant être redevable de son mandat à ses électeurs. “De même, il est absolument nécessaire que les Libanais votent à l’ombre d’une seule loi électorale la même pour tous, taillée à la mesure du pays, afin d’élire une Chambre plus représentative que celle de l’actuelle législature. Car pour les législatives de 92 et 96, la loi électorale a été taillée à la mesure des gens au pouvoir, certainement pas à la mesure du citoyen libanais”.

LE SUD PAYE SEUL LE PRIX DU CONFLIT ISRAÉLO-ARABE
A propos de la session extraordinaire de la Chambre qui s’est limitée à une séance de 40 minutes pour élire deux membres du Conseil constitutionnel, le député du Metn considère que, “vu les circonstances délicates qui prévalent dans la région, notamment au Liban-Sud, face aux circonstances économico-sociales des plus difficiles auxquelles fait face le citoyen; du fait, aussi, qu’il y a plusieurs propositions de loi revêtues du caractère de double urgence dont il faut débattre, il n’est pas normal que le parlement soit absent de la scène politique”.

- Quelle est votre évaluation de la situation au Liban-Sud?
“La situation y sera toujours précaire, tant que l’occupation y est présente. Seul un retrait israélien, conformément à la résolution 425, rétablira la stabilité dans la partie méridionale du pays. Mais en attendant que cette résolution soit appliquée, il ne faut pas que le Sud paye seul le prix du conflit israélo-arabe. “Il est donc important d’activer et de renforcer la commission créée par l’accord d’avril 96, afin de protéger les civils qu’ils soient de Jezzine, de Saïda et de toute la zone occupée contre les retombées de ce conflit régional dont ils sont les innocentes victimes”.

- Le problème de Jezzine est sorti au grand jour. Quelle est votre explication?
“Je ne voudrais pas être de ceux qui pensent que Jezzine est un corps séparé à l’intérieur du Liban-Sud. Je crois que les fils de Jezzine et nous tous considérons que cette localité fait partie d’une région, le Sud qui nous est chère à tous. “Ce qui rend ce problème plus actuel que d’autres régions, c’est que beaucoup de civils innocents ont été tués au cours du mois dernier. D’un autre côté, on assiste à un exode massif qui vide Jezzine et sa région de ses habitants. C’est pourquoi, je considère qu’il faut traiter le problème de Jezzine d’une façon urgente, sans pour autant considérer cette région comme un corps séparé de l’ensemble du Sud libanais. “Le problème du Sud est un problème d’ordre national et tous les Libanais devraient œuvrer pour rendre l’occupation aussi coûteuse que possible à Israël. Mais d’un autre côté, il est indispensable que l’Etat libanais encourage les habitants des régions occupées à se maintenir sur place, en leur donnant les moyens pour vivre avec un minimum de dignité et leur assurer les services nécessaires.”

L’IMPLANTATION N’EST PAS UN FAIT ACCOMPLI
- Croyez-vous en la thèse que l’exode des fils de Jezzine a pour objectif de favoriser l’implantation palestinienne, tel que cela est soulevé en ce moment?
“Je ne suis pas sûr de cette équation. Il est évident que certaines instances internationales, encouragées par Israël, œuvrent en vue de l’implantation des Palestiniens au Liban. Mais celle-ci n’est pas une question d’ordre géographique et suppose, d’abord, que l’on donne aux Palestiniens la citoyenneté libanaise. Ceci est quelque chose d’extrêmement grave et pour le Liban et pour les Palestiniens, eux-mêmes. “Tous les Libanais chrétiens et musulmans, habitants de Jezzine ou du Akkar devraient œuvrer ensemble pour faire échouer le plan d’implantation.”

- Vous qui avez été diplomate à Washington et avez une ouverture internationale, croyez-vous qu’on puisse vraiment contrer un processus international déjà décidé à l’avance?
“Ecoutez, je suis de ceux qui refusent de croire que l’implantation des Palestiniens au Liban est un fait accompli impossible à combattre. Je pense que, dans le cadre d’une solution globale du conflit israélo-arabe, tout le monde devra se pencher sur le problème des Palestiniens vivant en dehors des territoires occupés, que ce soit au Liban, en Syrie, en Jordanie, au Koweït et ailleurs. Il est normal qu’un concours international soit apporté à la solution de ce problème. De même, il est impensable de demander au Liban de le résoudre seul. “Je considère que la question de la présence palestinienne au Liban serait plus facile à régler, si le processus régional aboutissait à la création d’un Etat palestinien dans les territoires placés sous le régime d’autonomie; ceci est un droit indéniable aux Palestiniens et d’un intérêt vital pour le Liban”.

LE GOUVERNEMENT DOIT CHANGER SON MODUS OPERENDI OU PARTIR
- La gestion politique et socio-économique du gouvernement semble immuable; que faire?
“Le gouvernement devra soit changer son “modus operendi” politique, économique et social, soit céder la place à un nouveau Cabinet capable de gérer le pays sur la base démocratique, le respect des institutions et d’une politique économique à caractère social et humain, sensible aux problèmes des moins nantis, capable de faire face aux cartels et monopoles qui se forment au détriment du Libanais moyen. Il faudra, aussi, que le gouvernement puisse se pencher sur les problèmes de la corruption, qui renchérit le coût de la reconstruction, tout en sévissant dans l’administration. Il est impensable de concevoir au Liban un développement économique sans un développement politique. “La force du Liban réside dans son système politique et économique différent des pays ayant des ressources naturelles et dans la foi des Libanais en leur patrie. Si notre système politique devait se dégrader et tendre vers un modèle répressif, si les libertés vont être bâillonnées et la démocratie spoliée, qu’adviendra-t-il du développement économique et de la confiance dans ce pays? Il ne peut y avoir un épanouissement économique du Liban, sans un régime fondamentalement démocratique et un Etat de droit. Un changement d’attitude dans la vie politique s’impose donc.”

NOTRE SYSTÈME POLITIQUE S’ORIENTE VERS UN MODÈLE RÉPRESSIF
- Faut-il comprendre de vos propos que le système politique libanais s’oriente vers un modèle répressif?
“Absolument! Dans les dernières années, toute l’attitude du gouvernement en témoigne: d’abord, son insistance à ne pas organiser des élections municipales; les élections législatives qui ont été loin d’être intègres et libres; la volonté du gouvernement de scinder le mouvement syndical; la façon dont a été traité le dossier audiovisuel, où il y a eu une mainmise totale de la part des gens du pouvoir sur les moyens d’expression; le fait que le ministère de l’Intérieur insiste à ne pas permettre des rassemblements sans autorisation préalable et le droit à la manifestation interdit depuis des mois, tout cela dégrade notre système politique, l’oriente vers un système répressif et déroge à nos traditions. Il est impossible d’avoir une véritable reprise économique dans un tel climat”.

- Croyez-vous qu’un changement gouvernemental soit possible avant la fin du mandat présidentiel?
“Pour ma part, je considère qu’il est absolument nécessaire d’avoir un changement de gouvernement avec comme condition préalable un changement d’attitude. Car si les personnes changent alors que les atttitudes resteraient les mêmes, on pourrait, dans ce cas, appliquer le dicton qui dit: “Plus ça change, plus c’est la même chose”.

- Seriez-vous un ministrable?
“C’est hors de question, car je suis un opposant et il est important qu’il y ait toujours une opposition au Liban, sans laquelle il est impossible d’avoir un régime démocratique. L’opposition parlementaire contribue, aujourd’hui, à la sauvegarde du système démocratique dans le pays.”

QUE PEUT FAIRE L’OPPOSITION?
- Depuis 1992, vous êtes l’un des ténors de l’opposition parlementaire au Liban. Avec vos collègues qui font, eux aussi, de l’opposition avez-vous réussi à changer d’un iota, des décisions prises en haut lieu?
“Je crois, sincèrement, qu’il est impossible d’attendre que chaque action de l’opposition donne des résultats immédiats. Mais je pense que nous avons réussi, d’abord, à exposer toutes les malversations du gouvernement et tous ses agissements contraires à la Constitution et à la loi; les citoyens en ont pris connaissance. Il était inconcevable pour nous de garder le silence, alors que les droits des citoyens sont à ce point bafoués. Certes, le changement au Liban est un processus long et lent. Mais par notre action, nous avons posé les jalons et contribué à hâter ce processus”.

- Vous n’approuvez donc toujours pas ceux qui ont choisi de rester en dehors du système?
“Absolument pas! Ils ont, d’abord, par leur attitude, affaibli l’opposition à l’intérieur des institutions et ont créé un vide qui n’a pas été nécessairement comblé à leur avantage. En troisième lieu, je crois que leur logique politique présente de graves problèmes: comment justifier le boycottage des élections législatives, dans un système parlementaire comme le nôtre, alors qu’on s’intéresse à des élections municipales où l’enjeu est moins important? “Il est inconcevable pour n’importe quel Libanais de rester en dehors des institutions et de l’activité politique et d’espérer que le changement se fera tout seul”.

LES JEUNES DOIVENT PRENDRE LEUR AVENIR EN CHARGE
- C’est, d’ailleurs, le message que vous adressez aux jeunes les invitant à participer à la vie politique?
“Tout à fait! Je pense que les jeunes devraient prendre leur avenir en charge. Personne ne leur bâtira le Liban à la mesure de leurs ambitions. Seul un engagement très fort des forces vives, démocratiques et jeunes du pays, pourra écourter la route vers un Liban capable d’affronter les défis régionaux qui nous attendent à la fin de ce siècle”.

- Qu’en est-il de vos relations avec le mouvement syndical?
“J’essaye de maintenir d’excellentes relations avec tous les membres du mouvement syndical, aussi bien avec MM. Elias Abou-Rizk, Ghanim Zoghbi et tous les leaders syndicalistes œuvrant pour réunifier le mouvement syndical qui doit être uni et indépendant. Je travaillerais toujours pour l’unité et l’indépendance de la CGTL. “Certes, je suis contre la politisation du mouvement syndical, mais on ne peut pas pour autant lui interdire de réclamer le droit au pain quotidien et à la défense des libertés qui est pour lui vitale. Car sans la liberté de se rassembler, de manifester, de s’exprimer à travers des medias libres, il lui est impossible de poursuivre son action. Voilà pourquoi, d’ailleurs, nous nous sommes retrouvés, souvent aux côtés du mouvement syndical dans cette bataille de l’audiovisuel où il défendait ses moyens d’action”.

CONTRE TOUT AMENDEMENT À LA MESURE DES PERSONNES
- Comment sont vos rapports avec le président Hraoui, surtout que vous avez voté contre la prorogation de son mandat?
“Je n’ai aucun regret et je voterais toujours contre tout amendement constitutionnel qui serait taillé à la mesure d’une personne. Ceci est une position de principe et il est regrettable que le président n’ait pas compris mon attitude, pas plus qu’il n’a compris mon refus du projet transformant le Liban en circonscription unique”.

- S’il y a de nouveau une prorogation voterez-vous toujours contre?
“Je m’étonne de votre question! Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Je suis pour un amendement constitutionnel, s’il devait moderniser la vie politique, engager le Liban vers plus de modernité et une société plus juste, plus équitable. Mais je suis contre un amendement constitutionnel taillé à la mesure d’une personne”.

DES TEXTES ET DE LEUR MAUVAISE APPLICATION
- Vous êtes l’un des candidats les plus en vue pour les présidentielles: que proposeriez-vous aux Libanais, l’amendement de Taëf?
“Nonobstant ma candidature ou pas à ces élections, je pense que notre système a besoin d’évoluer et d’être appliqué de bonne foi, avant de parler de son amendement. Il est normal et nécessaire qu’on sache si le problème provient des textes ou de leur mauvaise application. Or, dans beaucoup de cas, la mauvaise application des textes ne nous a pas donné une occasion de savoir où est leur faiblesse. Je suis acquis à la modernisation du système libanais. L’un de nos problèmes dans les dernières décennies provient du fait qu’on a gelé toute évolution du système politique, figé la Constitution et les institutions. Le monde est en changement perpétuel, il est normal que le Liban s’adapte à la nouvelle donne. “Le compromis de Taëf a reflété le désir unanime de terminer la guerre. Aujourd’hui, à l’heure de la paix, il faut qu’un dialogue inter-libanais véritable s’établisse, afin de permettre l’évolution du pays vers un Etat démocratique et moderne répondant aux aspirations des nouvelles générations.”

- S’il y a élection présidentielle, allons-nous voir deux Lahoud: le général et vous-même, en concurrence pour briguer la première magistrature?
“Cela m’étonnerait qu’il y ait un conflit entre deux Lahoud. D’ailleurs, il est très tôt pour voir comment se présenterait l’élection présidentielle. Et comme vous le savez, celle-ci ne se fait pas au suffrage universel, ce qui pourrait être, par ailleurs, une très bonne idée. Elle se passe à l’intérieur de la Chambre et je pense qu’elle sera beaucoup plus l’objet d’un consensus que d’une bataille véritable”.

- Vous êtes candidat, quand même!
“Non, non”, dit-il en souriant de bon cœur, avant d’ajouter: “Je ne cache pas du tout que comme tout homme politique, j’aspire à être un jour président et j’aimerais l’être. Mais je n’ai jamais dit que je suis candidat aux élections de 98”.

REPRÉSENTER LE PEUPLE ET NON LE GOUVERNEMENT
- Ne regrettez-vous pas d’avoir volontairement abandonné la carrière diplomatique pour la politique?
“Pas un instant! J’ai passé des moments fort enrichissants alors que j’étais ambassadeur à Washington, à une période extrêmement difficile de notre Histoire. Mais je pense que la reconstruction politique du pays est une opération qui doit être faite de l’intérieur. Voilà pourquoi je me sens parfaitement à l’aise là où je suis. Représenter le peuple a toujours été, pour moi, quelque chose de beaucoup plus attirant que de représenter un gouvernement”. - Ce goût et cet attrait de la politique est dans le sang des Lahoud! “C’est un “virus”, semble-t-il, ayant atteint pas mal de membres de ma famille qui n’est pas simplement attirée par la politique, mais aussi par la fonction publique, la carrière militaire. “Toutes les personnes qui peuvent donner quelque chose au pays, ne devraient pas hésiter à le faire, surtout en cette période difficile où le Liban a besoin du concours de tous ses citoyens.”

“JE SUIS MARONITE QUAND JE NE FAIS PAS DE LA POLITIQUE”
- Vous avez appuyé, ouvertement, votre ami Pierre Hélou aux élections de la Ligue maronite. Croyez-vous que cette institution parviendra à faire face aux multiples dossiers qu’elle a à traiter: naturalisation, retour des déplacés, vente des terres, etc... dans l’intérêt de la communauté et du Liban? Vous êtes un maronite après tout!
“Je suis maronite quand je ne fais pas de la politique. Sinon, je suis simplement libanais et j’essaye toujours de trouver aux problèmes de toute communauté au Liban, y compris la mienne, des solutions à l’échelle nationale. Je pense que le bonheur des maronites, des grecs-catholiques ou des musulmans ne se complètera que lorsque le Liban tout entier jouira du bonheur. “Un Liban moderne érigé en Etat de droit, devrait pouvoir conforter tous ses fils. Dans la réalité des choses, il est formé de communautés qui, toutes, ont des institutions se plaçant entre les hommes poliques et de religion. La Ligue maronite en est une. Elle a une mission à acquitter et je pense qu’avec Pierre Hélou, elle jouera un rôle national qui, peut-être, n’est pas loin de la façon dont j’ai présenté les choses. “Pierre Hélou est un homme politique qui, je n’en doute pas, voit le bonheur des maronites à travers le bonheur du Liban. Je pense, fondamentalement, que les maronites ne veulent rien pour eux-mêmes qu’ils ne veulent, aussi, pour le reste de leurs compatriotes. La Ligue maronite s’emploiera à se faire une vision, non pas uniquement pour sa propre communauté, mais pour l’Etat tout entier. “J’ai eu le plaisir et le privilège d’être dans le même camp politique que Pierre Hélou depuis six ans et avons livré ensemble toutes les grandes batailles politiques. Nous étions d’accord sur toutes les lois importantes qui ont été soumises à la Chambre des députés et avons toujours défendu les libertés et les droits des citoyens. “Je suis persuadé que Pierre Hélou fera de la Ligue maronite une véritable institution nationale qui apportera son concours pour édifier le Liban de demain.”

FIDÉLITÉ AU MESSAGE DE L’EXHORTATION APOSTOLIQUE
Concernant le problème des naturalisations, Nassib Lahoud considère que des gens sont absolument dans leur droit d’avoir la nationalité libanaise, tels les habitants de Wadi Khaled, alors que d’autres non méritants se sont infiltrés dans ce décret.
“D’où, dit-il, la nécessité de corriger ce décret pour n’y inclure que les ayants-droit.”
A propos du retour des déplacés, il affirme: “Il est inconcevable de rebâtir un Liban pluraliste, attaché à l’entente nationale, si certains Libanais sont toujours privés de vivre sur la terre où ils sont nés. Le retour des déplacés à leur ville et village devra être non seulement physique, mais également politique, économique et socio-culturel afin qu’ils puissent y vivre pleinement leur citoyenneté. Ceci est important pour la consolidation de l’unité libanaise”.

- Le pluralisme du Liban sur les plans culturel, religieux et des idées est-il menacé?
“L’Exhortation apostolique a trouvé une formule très heureuse: le Liban devrait vivre dans l’unité mais, aussi, dans la diversité. Une diversité qui n’est nullement un prélude à la remise en cause de la vocation nationale du Liban et de son appartenance à son environnement arabe. L’unité dans la diversité devrait être l’objectif de notre action.”

LES AMÉRICAINS CONNAISSENT LE PROBLÈME LIBANAIS
- Le Congrès américain a invité le président Gemayel et le général Aoun à témoigner de la situation au Liban. En tant que l’un des ténors de l’opposition parlementaire, auriez-vous reçu une invitation similaire?
“Des occasions se présentent pour qu’un homme politique donne son point de vue sur les problèmes de son pays. Au Congrès, ces occasions se présentent régulièrement. Mais je pense que les Américains, le Sénat et le Congrès connaissent très bien le problème libanais. Ce qui est beaucoup plus important, aujourd’hui, c’est que les Américains prennent conscience que, du fait qu’ils sont devenus la seule superpuissance mondiale, leur responsabilité augmente dans la protection des droits des petits pays. Maintenant qu’ils sont pratiquement les seuls parrains du processus de paix, ceci engage une plus grande responsabilité de leur part de veiller à ce que le droit international et les résolutions du Conseil de Sécurité soient rapidement appliqués.”

- Comment sont vos rapports avec le président Hariri?
“Comme devraient être les relations entre le chef du gouvernement et un membre de l’opposition. Sur le plan personnel, il n’y a aucun problème; sur les plans politique, économique et social, j’ai de sérieuses réserves sur le programme de son gouvernement.”

POUR UNE POLITIQUE FISCALE COHÉRENTE ET JUSTE
- Vous critiquez vivement la politique fiscale et le déficit budgétaire. Que proposez-vous en contrepartie?
“Le déficit budgétaire est inquiétant et il faut œuvrer très sérieusement à le réduire d’une manière progressive, à travers un plan échelonné sur plusieurs années. “Pour cela, nous demandons au gouvernement de présenter une politique fiscale cohérente. Il faut dire aux Libanais qu’il y a des sacrifices à consentir pour la reconstruction du pays, à condition que ces sacrifices touchent aussi bien les nantis que ceux qui ne le sont pas. Or, aujourd’hui, seules les classes pauvres et moyennes sont taxées et subissent les sacrifices. Quant au projet d’instauration d’une nouvelle taxe sur les opérations de vente, il constitue un tournant grave dans notre politique fiscale. Nous rejetons cette mesure qui constitue un pas vers l’imposition indirecte touchant tous les citoyens de la même manière”.

- Au delà de vos critiques, n’y a-t-il pas quelque chose de positif à l’actif du gouvernement Hariri?
“Je ne l’ai jamais caché: j’ai été un de ceux qui ont toujours dit que le président Hariri a contribué à améliorer l’image du Liban à l’extérieur. De même, il a engagé le processus de reconstruction, quoique j’émets à ce propos des réserves, car les dépenses ont été engagées sans une étude sérieuse. Le fait pour lui d’avoir rassemblé les “amis du Liban” à Washington, même si elle n’a pas débouché sur des assistances financières, est à son actif. J’ai, également, été un des rares politiciens à féliciter le gouvernement et son président pour la levée de l’embargo américain. “Quand je suis d’accord avec l’action du Cabinet, je ne le cache pas, mais j’ai eu beaucoup plus de raisons d’avoir des réserves que des encouragements dans les mois passés. Ceci est dû au fait que le président Hariri et son équipe sont réfractaires aux conseils, observations et critiques de l’opposition.”

- Accepteriez-vous la levée de l’immunité parlementaire de Najah Wakim?
“Ce que dit Najah Wakim représente son opinion propre. Mais je défendrai jusqu’au bout son droit d’exprimer son opinion et ses positions politiques, sans qu’il puisse être permis aux autorités de le poursuivre. “Fondamentalement, la Constitution protège le député contre n’importe quelle poursuite, quand il s’agit pour lui d’exprimer son opinion politique ou ses idées. “Je suis tout à fait contre une levée de l’immunité de Najah Wakim. Et même ceux qui ne sont pas d’accord avec ce qu’il a pu dire, devraient être les premiers à défendre son droit de s’exprimer, car c’est un droit constitutionnel.”

- La République est en vacances durant le mois de septembre. Chacun des trois présidents est en tournée dans le monde. Que pensez-vous des fréquents voyages de nos dirigeants?
“Je ne suis pas contre les voyages, mais contre leur fréquence. Les responsables devraient être plus proches des gens, de leurs problèmes et de leurs souffrances. “Il faut donc faire la part des choses: peu de voyages, mais beaucoup de travail et un plus grand contact avec les citoyens qui traversent une période économique des plus difficiles et une rentrée qui va drainer leurs économies.”

VICTOIRE VÉRITABLE AUX LÉGISLATIVES
- On dit que n’était-ce l’appui du prince Abdallah, vous n’auriez pas pu réussir aux législatives du Metn?
On vous aurait combattu de façon plus acharnée... “Je ne crois pas qu’il y avait moyen de me combattre de façon plus féroce. Tous les services ont œuvré contre moi et toutes les forces populaires qui peuvent être influencées par l’Etat ont travaillé contre moi. Mais je pense que la victoire éclatante que j’ai remportée au Metn - où j’ai été en tête des listes et de tous les candidats dans plus de soixante villages sur les quatre-vingt-dix de ce caza - prouve que j’ai remporté une victoire véritable, celle des forces du changement et du renouveau. “Je ne vois pas ce que le gouvernement aurait pu faire de plus contre moi que ce qu’il a fait, quand on sait que j’ai eu 300 voix arméniennes à Bourj Hammoud, contre douze mille pour la liste concurrente!”.

- Etes-vous optimiste quant à l’avenir du Liban? “Oui, car je crois que les Libanais ont suffisamment de confiance en leur capacité, de patience et d’endurance au travail pour pouvoir remonter la pente et rebâtir un pays dont ils pourraient être fiers.”


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