Chronique


De RENE AGGIOURI 

 

L’UNIQUE CHANCE DE Mme ALBRIGHT

Mme Albright a donc finalement décidé de venir et d’évaluer, personnellement, les diverses données de la situation. Il en était temps. Elle n’aura pas la tâche facile. C’est le moins qu’on en puisse dire. Et ce n’est pas M. Netanyahu qui lui facilitera sa mission. Elle doit le savoir du reste. Mais mesure-t-elle à quel point ce sont les tergiversations de la politique améri-caine qui ont permis à M. Netanyahu de créer l’impasse où se trouve bloqué le processus de paix et, par voie de con-séquence, cette politique américaine elle-même?

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L’erreur initiale de Wa-shington aura été de donner au chef du Likoud le temps dont il avait besoin pour faire dévier ce processus de paix de la direction que lui avait imprimée le tandem Rabin-Pérès. On sait que l’Administration américaine misait sur le succès électoral des Travaillistes. L’arrivée au pouvoir du Likoud a pris de court M. Clinton et ses conseillers. Mais au lieu de manifester immédiatement et avec force sa volonté de maintenir le processus dans la bonne voie, l’Administration américaine avait résolu de donner, comme on dit, sa chance à M. Netanyahu, espérant qu’à l’épreuve du pouvoir, il assouplirait ses positions. C’était, sans compter avec le caractère de l’homme et les alliances qu’il nouait, pour former son gouvernement, avec les adversaires mêmes de la paix. Cet attentisme américain s’est prolongé au point de laisser croire à une véritable complicité. Mme Albright, qui n’a jamais manqué d’épouser publiquement les thèses de M. Netanyahu, est-elle maintenant la mieux placée pour donner un coup de barre? Et le veut-elle d’ailleurs? Il est permis d’en douter; d’autant plus que, sur un point essentiel, l’Administration américaine continue de soutenir les thèses israéliennes: elle confère une priorité absolue à la lutte contre le “terrorisme”, au détriment de la recherche des solutions politiques. Tout semble indiquer, hélas! que Mme Albright ne vient ici que pour exiger une rafle policière parmi le Hamas et autres “intégristes”. La lutte contre le “terrorisme” n’est pas le problème des pays arabes pour qui ce terrorisme-là est une forme de résistance à l’occupation et une réaction légitime à la politique israélienne d’exclusion et d’épuration ethnique, à Jérusalem spécialement - pas plus que n’était par le passé, pour ces mêmes pays, la lutte contre le communisme. Qu’on se souvienne de la fameuse “doctrine Eisenhower” dans les années 50 et des réactions qu’elle avait produites. Alors que les Etats arabes étaient obsédés par le problème de la Palestine et par la menace d’agression israélienne, l’Amérique les invitait à se coaliser contre l’Union soviétique. Avec le “terrorisme”, aujourd’hui, c’est toujours la même erreur de perspective dans laquelle on retombe, avec cette circonstance aggravante que les Etats arabes, aujourd’hui, ont opté pour la reconnaissance d’Israël, ont cessé de fanfaronner et se sont engagés de bonne foi à conclure la paix avec lui. Une fois leurs territoires récupérés, leurs droits reconnus, ils feront cesser toute résistance sous forme de terrorisme. Alors, et alors seulement, leur mobilisation contre un éventuel résidu et terrorisme aurait un sens!

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Pour réussir dans sa mission, Mme Albright n’a qu’une seule voie devant elle: la voie de la justice et de la morale. C’est cela qui forme le fondement des résolutions onusiennes dont les Etats arabes réclament l’application et qui sont les bases du processus initié à Madrid. On ne sortira pas de là, par des manœuvres, pour faire tomber le partenaire dans des pièges compliqués. M. Netanyahu, qui se livre à ce jeu depuis un an, n’a produit que des dégâts dont pâtit la position américaine elle-même dans le monde arabe et la crédibilité de son “parrainage” du processus de paix. Ce que peut se permettre un Netanyahu qui ne représente qu’un petit pays sans responsabilités à l’échelle mondiale, l’Amérique ne peut pas et ne doit pas se le permettre! Sa force et son influence dans une région du monde qui souffre depuis cent ans d’un profond sentiment d’injustice et d’humiliation, doivent reposer entièrement sur la rectitude morale de sa politique et non sur le déploiement de sa puissance militaire et de ses flottes aériennes et navales. Si Mme Albright n’a pas compris cela et n’en tire pas les conséquences, elle n’a aucune chance de sortir le processus de paix de l’impasse. Protectrice d’un Israël, conquérant et dominateur, l’Amérique en serait la première victime.

 
 
 


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