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L’EUROPE FÉDÉRATIVE ET LA TOUCHE JOSPIN |
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Durant notre séjour Strasbourg, siège
du parlement européen, nous nous sommes entretenus avec nombre de
parlementaires dont les révélations sur l’avenir de l’Union,
méritent une attention toute particulière, notamment sur
l’attitude du Premier ministre français, M. Lionel Jospin, au sujet
du renflouement de la dimension sociale du traité de Maastricht,
au sein duquel les rédacteurs avaient prévu en 1992, la réforme
des institutions européennes, certains aspects relatifs à
l’Union ayant été négligés, spécialement
le volet social que le nouveau traité devait aborder au sommet d’Amsterdam
tenu au mois de juin. A noter qu’à l’origine, le nombre de gouvernements
européens avait été fixé à six et l’Union
européenne en compte déjà quinze. Les candidatures
de l’Europe de l’Est laissent prévoir une Union de vingt cinq à
trente membres ce qui, selon certains observateurs, asphyxierait non seulement
les mécanismes institutionnels, mais bloquerait en même temps
l’Europe. Les réformes proposées par la conférence
intergou-vernementale qui siège depuis plus d’un an pour la réforme
du traité de Maastricht, concernant les membres de la Commission
européenne, la pondération des voix au Conseil des ministres,
l’extension du vote majori-taire, constituent à elles seules, l’objet
des débats opposant les petits pays aux grands. Rétifs, les
Allemands? Pour eux, la monnaie unique est un sujet trop sérieux
pour l’assujettir à la politique. D’où l’indépendance
de la Bundesbank (2) qui se veut la seule autorité compétente
en matière de politique monétaire, arguant que si les Européens
tiennent à la monnaie unique avec la participation allemande, toute
monnaie européenne doit être calquée sur le mark. Ce
qui, d’ailleurs, a été fait à Maastricht lors de l’institution
de la monnaie unique; puis, à Dublin avec l’adoption du pacte de
solidarité, les deux textes garantissant la future banque européenne
de toute ingérence politique d’où qu’elle vienne.
*** C’est à ce blocage psycho-politique que Lionel Jospin et son gouvernement se sont attaqués, relançant en même temps, un thème cher aux socialistes, sur l’emploi, partant d’un simple constat: avec 18 millions de chômeurs, l’Europe est socialement malade, ce qui rend dangereux le futur de la monnaie unique. Cette prise de position française devrait sûrement mettre la grande machine européenne en état d’alerte: le président du Conseil européen, le Néerlandais Wimkok est accouru alors à Paris, proposant des solutions de rechange, alors que le président de la Commission de Bruxelles, le Luxembourgeois Jacques Santer, faisait une tournée européenne dans le même but. En vue d’amadouer le partenaire français, une solution allemande de la dernière heure, donnait le feu vert à l’insertion d’un chapitre sur l’emploi dans le traité de l’Union européenne. Mais Lionel Jospin exigeait davantage. A la veille du sommet franco-allemand de Poitiers, il expédiait à Bonn et à Bruxelles un mémorandum sollicitant des mesures concrètes sur l’emploi. Encore faut-il traduire le résultat de ces débats, par des compromis acceptables, à la fois par Paris et Bonn. A Amsterdam, Français et Allemands esquissèrent les contours de leurs concessions réciproques qui allaient donner naissance au consensus des chefs d’Etats et de gouvernements des Quinze. Ainsi, l’Europe aurait fait des pas positifs, dont l’application concrète ne tardera pas à voir le jour. La bataille des Français à vouloir donner un contenu plus humain aux institutions européennes, en les rapprochant du monde des chômeurs qui revendi-quent haut et fort du travail, est gagnée sans la moindre atteinte à la perspective de la monnaie unique, prévue pour 1999 qui, au contraire, sortira renforcée, puisqu’elle constitue le ciment même du consensus auquel elle a abouti. C’est l’Europe politique fédérative, qui vient de naître. Mais tout reste à faire. Ce sera long et difficile. Nonobstant, l’Europe a déjà pris un sens, une dimension et amorcé un tournant. Pour la première fois, l’Union européenne affirme avec force ses moyens moné-taires et ses objectifs politiques en matière de croissance et d’emploi. Le mérite en revient, faut-il l’avouer, à Lionel Jospin et à Helmut Kohl. Sou-tenue par Jacques Chirac, intérêt supérieur de la France bien compris, la gauche française vient de redonner sa vraie dimension à l’Europe. Puisse-t-elle être à la hauteur de ce compromis dont dépendent le rang et la place de la France en Europe et dans le monde. (1) Hubert Vedrine: mi-nistre français des
affaires. |
Hubert Védrine (1) (aux ambassadeurs de France) |