Ma motivation pour rencontrer, cette
fois, le président Yasser Arafat a été ma curiosité
après avoir lu des nouvelles faisant état de “l’effondrement
de sa santé, suite à une maladie pernicieuse dont il serait
affligé”. Ces rumeurs se sont propagées au point que ceux
qui en ont pris connaissance ont déploré le triste sort du
leader palestinien.
La rencontre a eu lieu au siège
de l’Autorité palestinienne à Tunis. Ce que j’ai vu n’a aucun
rapport avec ce qui a été dit: Abou-Ammar m’a paru en excellente
forme physique, jouissant du même esprit d’à propos et répondant
avec beaucoup d’assurance aux questions, même les plus embarrassantes.
Il ne souffre d’aucune affection cardiaque, ni de diabète ou de
cholestérol, donnant les signes d’une vitalité à toute
épreuve et poursuivant ses activités presque sans interruption,
vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Le président Arafat a quitté
Gaza à 5 heures du matin pour Al-Arich. De là, il a pris
l’avion pour Alger, où il est arrivé à 13 heures et
a tenu une conférence de presse qui a duré deux heures. Puis,
il a déjeuné à la table du président Liamine
Zéroual.
Vers 13 heures, il a gagné
Tunis où il a débarqué à 16h30. Il a rendu
visite à Oum Ayad souffrant d’une fracture au pied, avant d’être
l’invité d’honneur d’un dîner auquel il a assisté,
après avoir conféré avec plusieurs cadres palestiniens
venus d’Europe, à l’effet de participer à un congrès
au cours duquel Abou-Ammar a parlé pendant trois heures.
Ensuite, nous l’avons rencontré
de 23 heures à une heure du matin. Puis, il a reçu une délégation
suisse durant une heure et une autre délégation pendant près
d’une heure et demie.
Après avoir dormi quelques
heures, il a eu une entrevue avec le président Zein El-Abidine Ben
Ali et a débarqué, par la suite, à Rabat où
une audience spéciale lui avait été fixée par
le roi Hassan II.
Notre entretien s’est prolongé
pendant un peu plus de deux heures et le président Arafat s’est
montré alerte. Son comportement a infirmé les rumeurs tendancieuses
selon lesquelles il aurait perdu connaissance au cours d’une vive discussion
qui l’aurait opposé au chef de la diplomatie qatariote, lors de
la dernière session du conseil de la Ligue arabe.
“J’ai une santé de lion,
m’a-t-il dit, et il en sera de même jusqu’au dernier jour de ma vie.
Les rumeurs malveillantes ont été propagées par les
Israéliens afin d’affaiblir mon moral que personne n’a jamais pu
compromettre”.
Nous ne l’avons vu aucune fois
que pressé, comme s’il engageait une course permanente avec le temps.
L’entretien s’est déroulé quelques heures avant la rencontre
de Mahmoud Abbas (Abou-Mazen) et David Lévy à New York. |
YASSER ARAFAT À MELHEM
KARAM:
“JE NE SUIS LE POLICIER DE PERSONNE MAIS LE CHEF DE L’ÉTAT
DE PALESTINE”
LA PAIX TRAVERSE UNE PHASE DÉLICATE
Melhem Karam: - Depuis deux semaines, on a célébré
le quatrième anniversaire de la signature de l’accord d’Oslo. Regrettez-vous
d’y avoir apposé votre signature? Les Israéliens vous ont-ils
leurré pour servir leur intérêt?
Président Arafat: “L’opération de la paix passe,
sans nul doute, dans une phase délicate et difficile. En dépit
des pourparlers en cours à New York et Washington sous le patronage
américain, l’actuel gouvernement israélien persiste à
ne pas tenir ses engagements, surtout en ce qui concerne le redéploiement
de ses forces; c’est-à-dire le retrait des territoires palestiniens
en vertu de l’accord d’Oslo. Or, le 7 septembre dernier, était la
date-limite de la seconde phase du retrait. En plus d’autres engagements
relatifs à la libération des détenus, au port, à
l’aéroport, à la sécurité, aux voies internationales,
aux problèmes économiques et à l’arrêt de la
colonisation.
“D’après mon accord avec Rabin, aucun logement ne devait être
construit dans aucune colonie de peuplement. Naturellement et comme on
le sait, bien des colonies ont été agrandies et il est procédé
à la judaïsation de Jérusalem à Ras el-Amoud
et à Jabal Abou-Ghoneim où les Israéliens projettent
de créer une colonie de peuplement à la place de Bethléem,
alors que nous nous préparons avec les instances religieuses internationales
et politiques à célébrer le 2000ème anniversaire
de la naissance du Christ.”
Melhem Karam: - L’accord d’Oslo prévoit des échéances
pour la solution finale, ce à quoi s’oppose Israël en entravant
la solution transitoire: l’Etat hébreu viserait-il à restreindre
le régime d’autonomie et à priver les Palestiniens de la
souveraineté sous toutes ses formes?
Président Arafat: “C’est l’un des objectifs des Israéliens,
bien que le gouvernement de Tel-Aviv ne l’explicite pas, mais on le déduit
de son comportement.”
JE CONTESTE LE PLUS L’ACCORD D’OSLO
Melhem Karam: - Cet état de choses est-il appelé
à durer jusqu’à l’an 2000? Dans l’affirmative, comment pourriez-vous
supporter tant de problèmes jusqu’à cette date? Et doit-on
s’attendre au déclenchement d’un nouveau soulèvement (intifada)?
Président Arafat: “Bien des griefs sont formulés
contre l’accord d’Oslo et je suis l’un de ceux qui le contestent le plus.
Cependant, l’importance dudit accord réside dans le fait qu’il a
ramené le peuple palestinien sur la carte géo-politique du
Proche-Orient. Ceci est très important, car il y a eu une entente
entre l’OLP, l’unique représentant légal du peuple palestinien
et le gouvernement israélien.
“Quand nous nous sommes rendus à Madrid avec les Etats arabes,
comme tout le monde s’en souvient, nous nous considérions comme
faisant partie de la délégation jordano-palestinienne commune,
non comme une délégation palestinienne autonome. Puis, nous
savions que la solution allait intervenir par étapes. Or, Israël
veut entreprendre les pourparlers en vue de parvenir à la solution
finale, pour ne pas s’en tenir à ses engagements relatifs à
la phase transitoire, ce qui suppose l’évacuation des territoires
occupés, l’arrêt de la colonisation, la libération
des détenus et la non-judaïsation de la Ville sainte.
“Pourtant, James Baker, l’ancien chef du département d’Etat
US, avait consigné par écrit des garanties refusant tout
changement démographique, politique ou de toute autre nature dans
les territoires palestiniens durant la phase transitoire, surtout à
Jérusalem-est. Le gouvernement israélien cherche à
se désengager de tout cela et à dénoncer l’accord
qui n’est pas bilatéral, mais international, car il a été
signé à la Maison-Blanche sous les auspices du président
Clinton. Les représentants des Etats-Unis, de la Russie, de l’Union
européenne et de la Norvège l’ont également signé
en présence des délégués du Japon, de l’Egypte
et de la Jordanie. C’est pourquoi, le monde entier est responsable de l’application
de cet accord.”
WASHINGTON PEUT FREINER LA COLONISATION
Melhem Karam: - Croyez-vous que l’Administration américaine
soit capable de freiner la colonisation telle qu’elle se manifeste à
Abou-Ghoneim, à Ras el-Amoud et ailleurs?
Président Arafat: “Certainement, preuve en est ce qu’a
dit Mme Albright à propos de Ras el-Amoud, quand elle a visité
la région où Moskovich entamait la construction de cette
nouvelle colonie. Ces travaux, a-t-elle affirmé, se font d’une manière
unilatérale; aussi, ne sont-ils pas acceptables et porteront préjudice
à l’opération de la paix.
“Pour la première fois, un responsable américain de
niveau ministériel a parlé de la colonisation sur ce ton
véhément et avec tant de clarté. De plus, Mme Albright
a dit qu’Israël devait appliquer les accords conclus, y compris les
résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité, de
même que le principe de la terre contre la paix.”
Melhem Karam: - Les dernières déclarations de Mme
Albright à Ramallah et à New York paraissent encourageantes
et portent à l’optimisme. Mais jusqu’à quel point Washington
peut passer de la parole à l’action, par rapport à un dossier
aussi délicat que celui de la colonisation?
Président Arafat: “L’action entreprise par Mme Albright
prouve que l’Administration américaine et le président Clinton
en personne désirent réactiver le processus de paix, en le
sortant de l’impasse dans laquelle l’a enlisé Netanyahu et son gouvernement,
non seulement par rapport aux Palestiniens, mais à toute la région
proche-orientale. Ceci affectera d’une manière directe la situation
régionale, que l’Amérique le veuille ou pas.
“Ce n’est pas Yasser Arafat qui le dit, mais le sommet arabe et le
conseil de Ligue ayant siégé, dernièrement au Caire
à l’échelon des ministres des Affaires étrangères.
L’émir Séoud Al-Fayçal, président de la session
dudit conseil, a dit que la paix juste et globale ne doit pas se limiter
au volet palestinien, mais s’étendre aux volets palestinien, syrien
et libanais.”
JE N’ATTENDS PAS BEAUCOUP DES POURPARLERS DE
NEW-YORK
Melhem Karam: - Etes-vous optimiste quant aux pourparlers de
New-York et à leurs résultats?
Président Arafat: “Non et je n’en attends pas beaucoup,
car je suis sûr que Netanyahu n’a pas habilité son ministre
des Affaires étrangères à trancher les questions à
débattre.”
Melhem Karam: - Je vous vois en excellente forme physique; pourquoi
des rumeurs malveillantes ont-elles été propagées
dernièrement sur votre état de santé?
Président Arafat: “Le mensonge israélien est sans
bornes. Hier, certaines parties israéliennes m’ont présenté
des excuses. Les nouvelles relatives à mon état de santé
font partie de la guerre psychologique déclenchée par Tel-Aviv
contre l’Autorité palestinienne. Tantôt, ils parlent de la
corruption et, tantôt, de ma santé prétendûment
chancelante ou des problèmes économiques auxquels nous sommes
confrontés, alors que les Israéliens en sont la cause, surtout
en ce qui concerne la confiscation des fonds.”
Melhem Karam: Jusqu’à quel point l’Administration Clinton
(pro-juive) et le Congrès américain encore plus juif qu’Israël,
sont-ils capables de contraindre l’Etat hébreu à favoriser
le processus de paix?
Président Arafat: “La position arabe est importante à
ce sujet. Ainsi que je ne cesse de le répéter, les événements
ont prouvé que mes frères les dirigeants arabes placent la
paix au même plan que l’ensemble de la situation au Proche-Orient.
Ceci poussera Washington et d’autres capitales à agir.”
NOUS NE DEMANDONS PAS L’IMPOSSIBLE
Melhem Karam: - Mme Albright compte-t-elle entreprendre une
nouvelle initiative aux fins de sortir la crise de l’impasse?
Président Arafat: “Elle devrait forcer le gouvernement
israélien à respecter ses engagements. Nous ne demandons
pas l’impossible.”
Melhem Karam: L’arrêt de la colonisation dans la conception
israélienne est-il lié à votre extirpation de l’infrastructure
du terrorisme fondamentaliste, comme l’appelle Netanyahu?
Président Arafat: “Le gouvernement Netanyahu ne renoncera
pas à son plan contre la paix et prend de la sécurité
un prétexte pour le maintenir, ni plus ni moins. Il l’invoque face
à l’Amérique, l’Europe, la Russie, au Japon, à la
Chine et aux Arabes pour n’avoir pas à appliquer les accords conclus.”
Melhem Karam: - Et qu’en est-il de “Hamas”?
Président Arafat: “ Nous respectons tous nos frères
de l’opposition, du moment qu’ils ne violent pas la loi et la décision
palestiniennes, sinon la loi sera appliquée à leur encontre;
ceci est notre droit.”
Melhem Karam: - Quelle est la teneur effective des pourparlers
palestino-israéliens engagés à New York et Washington?
Peuvent-ils remettre les négociations de paix sur les rails ou est-ce
une perte de temps?
Président Arafat: “Non, je ne peux pas dire que ce qui
se passe à New York est une perte de temps, car le seul fait de
se réunir est déjà bon en lui-même.”
PAS DE DIVERGENCES INTERPALESTINIENNES
Melhem Karam: - On dit que des divergences opposent vos organismes
sécuritaires autour de la façon de traiter avec le courant
islamique en Cisjordanie et à Gaza. Il semble que la “sécurité
préventive” en Cisjordanie se rebelle contre vos instructions, refusant
de procéder à des arrestations parmi les membres de “Hamas”?
Le président Arafat m’interrompt pour émettre cette réflexion:
“Croyez-vous que quelqu’un puisse se rebeller contre mes ordres?”, avant
de partir d’un éclat de rire.
Melhem Karam: - Vos précédentes rencontres avec
des responsables de “Hamas” ont suscité de vives critiques à
Tel-Aviv et à Washington; persistez-vous dans le procédé
de la carotte et du bâton?
Président Arafat: “Bien des opérations anti-israéliennes
ont été planifiées à l’étranger, les
exécutants des attentats contre l’hôtel “Ambassador” et le
rivage de Tel-Aviv étant munis de passeports britannique et suédois
falsifiés. Je n’ai pas spécifié les Etats d’où
les terroristes sont venus et je n’ai pas cité, nommément,
le Liban ou tout autre pays.”
Melhem Karam: - Certains responsables relevant de votre autorité,
menacent de déclencher un nouveau soulèvement (intifada).
Cela serait-il possible, alors que vous êtes responsable de la sécurité
en Cisjordanie et à Gaza?
Président Arafat: “Les défis d’Israël entretiennent
un climat dangereux, non seulement sur la scène palestinienne, mais
dans l’ensemble du Proche-Orient. Ceci doit être clair et bien compris
par toutes les parties.”
COORDINATION ÉGYPTO-JORDANO-PALESTINIENNE
Melhem Karam: - Le roi Hussein a mis en garde contre une catastrophe
en Cisjordanie. Le souverain hachémite craint-il pour les habitants
cisjordaniens qui seraient contraints à reprendre le chemin de l’exode
ou bien appréhende-t-il l’émergence de nouveaux plans pernicieux
du Likoud visant la rive orientale du Jourdain?
Président Arafat: “Il craint pour les deux à la
fois.”
Melhem Karam: - Quel est le degré de la coordination palestino-jordanienne
après le sommet tripartite avec le président Moubarak?
Président Arafat: “Les arrangements auxquels nous avons
abouti avec les frères égyptiens et jordaniens sont excellents,
constructifs et positifs.”
Melhem Karam: - La dernière visite de M. Farouk Kaddoumi
à Damas serait-elle le prélude à votre rencontre avec
le président Assad et pourquoi celle-ci n’a-t-elle pas encore eu
lieu?
Président Arafat: “ Nous ne nous sommes pas entendus
avec les frères syriens autour de la date de la rencontre, mais
je souhaite ardemment effectuer une visite à Damas.”
POUR LA SOLIDARITÉ ARABE
Melhem Karam: - Si nous revenions à la formule de Madrid
ou à toute autre forme de négociations, approuveriez-vous
la coordination et la concertation avec Damas ou bien insisteriez-vous
sur la formule bilatérale?
Président Arafat: “Nous ne cessons d’insister sur la
solidarité interarabe; le discours que j’ai prononcé récemment
lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères
arabes en est une preuve.
“Nous nous attachons à l’importance de la position arabe unique,
de celle des pays de l’étau et à la solution globale sur
tous les fronts tant libanais, syrien que palestinien.”
Melhem Karam: - Croyez-vous à la possibilité d’un
retrait unilatéral israélien du Liban-Sud ou s’agit-il d’un
ballon d’essai?
Président Arafat: “Il s’agit d’un ballon d’essai, ni
plus ni moins. Nous aurions souhaité qu’il en fût autrement”.
Melhem Karam: - Un éventuel retrait unilatéral
de la part d’Israël du Sud libanais provoquerait-il une guerre syro-israélienne?
Président Arafat: “Je ne le crois pas.”
Melhem Karam: - Que pensez-vous de la participation de l’armée
libanaise à la lutte contre l’agression israélienne?
Président Arafat: “C’est une attitude héroïque
et nous lui exprimons notre admiration et notre respect.”
NON À L’IMPLANTATION
Melhem Karam: - La dissidence a-t-elle pris fin dans l’une des
ailes de Fateh au Liban-Sud et le colonel Mounir Makdah vous a-t-il rallié
de nouveau avec ses partisans?
Président Arafat: “On assiste à des flux et reflux
au sein de certaines fractions ou groupuscules palestiniens mais, en définitive,
l’ordre y est rétabli.”
Melhem Karam: - Tous les indices portent à penser que
l’implantation dans la diaspora palestinienne est un fait accompli. Admettez-vous
ce fait comme étant imminent, contre lequel vous vous sentez impuissant?
Président Arafat: “Selon les accords conclus avec les
Israéliens, toute solution dans la phase finale, concernant les
réfugiés, Jérusalem, les colonies et les frontières,
prévoit le règlement du problème des Palestiniens
de l’extérieur. Une commission quadripartite (égypto-jordano-palestino-israélienne)
œuvre aux fins de ramener 900.000 Palestiniens dans les territoires actuellement
occupés; du moins ceux ayant quitté le pays en 1967.”
L’AFFAIRE KHALED MACHAAL
Melhem Karam: - Qu’auriez-vous à dire à propos
de l’affaire de Khaled Machaal imputée au “Mossad”?
Président Arafat: “J’ignore qui est derrière cette
affaire. Il va sans dire qu’une main criminelle a tenté d’assassiner
Machaal, non par balle, mais au moyen de rayons dont on ne connaît
pas l’origine et la nature. C’est une question extrêmement grave
et je lui souhaite la santé.”
Melhem Karam: - Jusqu’à quel point êtes-vous prêt
à répartir les responsabilités et les prérogatives
au sein de l’Autorité palestinienne?
Président Arafat: “Les prérogatives sont déjà
réparties entre les membres, chacun de ces derniers assumant ses
responsabilités dans le cadre de son département ministériel.
Le Conseil des ministres siège avec le commandement palestinien,
c’est-à-dire avec le comité exécutif qui est le responsable
direct, jusqu’à cet instant, de toutes les activités de l’Autorité
palestinienne et tout ministre rend compte de sa gestion au commandement
central.”
Melhem Karam: - Vos proches collaborateurs: Abou-Krayh (Aboul-Ala),
le Dr Nabil Chaath, Abou-Mazen et Fayçal Husseini sont-ils des collaborateurs,
des conseillers ou bien des partenaires au niveau de l’Autorité?
Président Arafat: “Ce sont des partenaires, chacun selon
sa position. Nous sommes fiers de la façon dont nous pratiquons
la démocratie.”
Melhem Karam: - Si Abou Ayad et Abou Jihad étaient encore
en vie, auraient-ils figuré parmi ceux qui vous secondent?
Le président Arafat répond à cette question non
sans amertume et émotion: “Non seulement ils auraient été
à mes côtés, mais leur absence me manque. Nous avons
effectivement besoin d’eux et chaque instant montre l’immense vide que
leur disparition a causé.”
Melhem Karam: - Jusqu’à quel point pourriez-vous réaliser
la paix avec Ehud Barak (leader du parti travailliste) mieux que vous le
faites avec Netanyahu?
Président Arafat: “La position de ce parti doit être
claire, parce qu’il a signé avec nous à la Maison-Blanche
les deux premiers accords de paix, à savoir “Oslo I” et “Oslo II”.
Quiconque dirigera le parti travailliste, s’engagera à appliquer
ces accords.”
QUID DU RÔLE EUROPÉEN AU P.-O.?
Melhem Karam: - Pourquoi n’y a-t-il pas un suppléant
européen au rôle américain, bien que les déclarations
de M. Hubert Védrine, chef du Quai d’Orsay, soient positives à
ce sujet?
Président Arafat: “La position européenne dans
son ensemble, y compris celle exprimée par le ministre français
des A.E. et les positions honorables des autres pays d’Europe, dénotent
de la fermeté, le souci de sauver l’opération de paix, de
la protéger et de la faire progresser. Cette position européenne
doit être prise en considération.
“Puis, le monde doit connaître un point important, à savoir
que l’économie israélienne est liée à l’Europe
à 70%. Cependant, Israël tente de se dégager de ce point,
en empêchant l’émergence d’une position européenne
unifiée afin que la carte économique ne soit pas utilisée
contre la carte politique.
“J’évoque ce fait en toute clarté et franchise et je
l’ai dit à tous nos amis en Europe, en leur recommandant d’user
de la carte économique contre Israël, pour amener ce dernier
à respecter leur carte et leur position politiques.”
Melhem Karam: - Nous avons pris connaissance de deux déclarations,
ces derniers temps, de MM. Mohamed Bassiouni, ambassadeur d’Egypte et Martin
Indyk, ambassadeur des Etats-Unis en Israël. Le premier a dit: “Je
ne supporte plus de rester à Tel-Aviv” et, le second: “Netanyahu
a fait de la paix un cauchemar”. Que pensez-vous de ces déclarations?
Président Arafat: “Le frère Bassiouni fait face
à maintes difficultés, surtout après la sentence rendue
au Caire dans l’affaire Azzam (l’espion qui travaillait à la solde
de l’Etat hébreu). Il a été soumis à des mesures
vexatoires à tous les plans.
“Quant aux propos de M. Indyk, ils sont précis. N’oublions pas
que les deux hommes (Bassiouni et Indyk) ont participé à
l’opération de paix, y compris à nos réunions secrètes
avec les Israéliens.”
DE LA CORRUPTION
Melhem Karam: - Comment l’Autorité palestinienne a-t-elle
traité l’affaire de la corruption ayant éclaboussé
certains de ses membres?
Président Arafat: “Le rapport établi à
ce sujet n’a condamné personne et une commission d’enquête
a été constituée, étant entendu que les faits
attribués à certains responsables palestiniens ont été
exagérés.”
Melhem Karam: - Qu’en est-il de la démission d’At-Tayeb
Abdel-Rahman, secrétaire général de la Présidence?
Président Arafat: “L’affaire a été réglée
et il a retiré sa démission après que je l’ai refusée.
D’ailleurs, il est devant vous; saluez-le” (M. Abdel-Rahman et certains
responsables palestiniens étaient présents au moment de notre
rencontre avec Abou-Ammar).
Melhem Karam: - Quelle est la véracité de l’information
selon laquelle M. Klaus Kinkel, chef de la diplomatie allemande, aurait
eu une vive altercation avec son homologue israélien, le premier
ayant dénoncé les agissements du Cabinet de Tel-Aviv? Et
comment qualifiez-vous vos relations avec l’Allemagne?
Président Arafat: “Ce sont des relations solides. Je
me rendrai bientôt dans ce pays qui est l’Etat européen ayant
consenti le plus d’aides à notre peuple.”
VEXATIONS ISRAÉLIENNES
Melhem Karam: - Est-il vrai que Mme Arafat a été
appréhendée par les forces israéliennes de sécurité
et quel en a été le motif?
Président Arafat: “Croyez-vous que Souha (son épouse)
était la personne visée? Pas du tout; c’est moi qui l’était,
ainsi que tous les responsables et les ministres palestiniens qui s’exposent
en permanence aux mesures vexatoires des Israéliens.”
Melhem Karam: - Le roi Hussein prédit des jours sombres
dont les Palestiniens pâtiraient le plus. A quoi le souverain hachémite
fait-il allusion?
Président Arafat: “Le roi Hussein met en garde contre
la politique suivie par Netanyahu et son gouvernement.”
Melhem Karam: - Quoi de nouveau à propos du village d’Al-Assira
encerclé par les forces israéliennes: celles-ci ont-elles
pour consigne de se venger de la population, sous prétexte que les
quatre fedayine ayant exécuté les attentats-suicides étaient
natifs de cette localité?
Président Arafat: “Les fedayine étaient originaires
de cette agglomération et les Israéliens paraissent déterminés
à dynamiter leurs maisons.”
Melhem Karam: - Comment interpréter la décision
du gouvernement israélien d’autoriser quatre mille Palestiniens
à reprendre le travail en Israël?
Président Arafat: : “Les sociétés israéliennes
ont réclamé leur retour, parce qu’elles étaient affectées
par leur absence. Quoi qu’il en soit, l’embargo est trop sévère,
au point qu’il a fait peser la menace de la famine sur les habitants de
Cisjordanie.”
Melhem Karam: - La tournée proche-orientale de Mme Albright
a-t-elle donné des résultats palpables et est-il vrai que
le président Clinton est excédé par les agissements
des Israéliens?
Président Arafat: “Le chef de l’Exécutif américain
a exprimé plus d’une fois son mécontentement et il en veut
à Netanyahu. J’estime que la visite de Mme Albright, du seul fait
qu’elle a eu lieu, a été positive.”
Y A-T-IL RISQUE DE GUERRE?
Melhem Karam: - Un grand responsable dit qu’il existe un déséquilibre
au plan militaire en faveur d’Israël dans la région et n’écarte
pas une nouvelle guerre avec l’Etat hébreu. Quel est votre avis
à ce sujet?
Président Arafat: “Les chefs militaires israéliens
disent avoir terminé des manœuvres et des entraînements en
vue d’occuper des territoires palestiniens et arabes.”
Melhem Karam: - Quelle est la nature de vos relations avec S.M.
le roi Fahd d’Arabie séoudite, le “Serviteur des deux saintes mosquées”?
Président Arafat: “Je répète ce que j’ai
dit lors de la réunion du conseil de la Ligue arabe, à savoir
que le roi Fahd s’est toujours soucié d’aider le peuple palestinien
à tous les niveaux et dans tous les domaines. Sa Majesté
agit à cette fin dans plus d’une direction, auprès des pays
du Golfe, de l’Administration américaine et des instances internationales.”
LA POSITION D’ASSAD, DE MOUBARAK ET DE BEN
ALI
Melhem Karam: - Quel est, à votre avis, le rôle
du président Hafez Assad par rapport au soutien de la tendance arabe
visant à traiter (avec Israël) sur base de la souveraineté
et de la dignité, en vue d’une paix juste et globale?
Président Arafat: “Il ne fait pas de doute que la position
syrienne, sous la direction du président Assad, est forte, courageuse
et appuie l’opiniâtreté arabe.”
Melhem Karam: - Comment évaluez-vous l’action du président
Hosni Moubarak en vue de parvenir à une solution honorable?
Président Arafat: “Nul ne peut oublier les grands efforts
déployés par l’Egypte et le président Moubarak pour
soutenir le peuple palestinien dans toutes les épreuves et face
aux problèmes auxquels il est confronté. Le Raïs se
préoccupe d’assurer l’application des accords conclus avec Israël
et de protéger l’opération de la paix. Nous le remercions
de l’appui qu’il nous a apporté lors de notre dernière épreuve.”
Melhem Karam: - Et le président Zein El-Abidine Ben Ali,
l’hôte permanent, ouvrant son cœur à votre cause?
Président Arafat: “Il donne chaque jour des preuves de
son nationalisme et de sa fraternité.”
Melhem Karam: - Qu’en est-il de vos rapports avec le président
Ali Abdallah Saleh?
Président Arafat: “Une relation d’amitié et une
fraternité solide et profonde dont je m’honore nous lient au président
du Yémen.”
TENDANCE À LA DÉTENTE
Melhem Karam: - Pressentez-vous une tendance à la détente
dans le monde arabe, au point de permettre la tenue d’un sommet?
Président Arafat: “Oui, tout indique qu’on approche de
la tenue, s’il plaît à Dieu, d’un nouveau sommet arabe.”
Melhem Karam: - Que pensez-vous du forum économique de
Doha? Quelle est la position de la Palestine envers ces assises et beaucoup
d’Etats arabes y prendront-ils part?
Président Arafat: “Les Arabes décideront de l’opportunité
d’y prendre part à la lumière des progrès qui seront
enregistrés sur le plan du processus de paix.”
Melhem Karam: - L’entente a-t-elle été rétablie
entre les différentes fractions palestiniennes et coopèrent-elles
entre elles?
Président Arafat: “Il existe des divergences entre elles,
mais nous sommes fiers de la manière dont nous pratiquons la démocratie.
Chaque fraction a le droit d’exprimer son opinion en toute franchise, qu’elle
soit positive ou négative.”
Melhem Karam: - Etes-vous pour la formule “Jezzine d’abord” ou
“Liban d’abord”: Israël est-il sincère dans ses propositions,
surtout après ce que proclament certains de ses responsables à
propos du Golan?
Président Arafat: “Ce que disent ces responsables, que
ce soit par rapport au Liban, à la Syrie et à la Palestine
n’est qu’un mensonge et une tentative destinée à gagner du
temps.”
Melhem Karam: - Il vous est demandé de livrer les dirigeants
de “Hamas” aux Israéliens. Le ferez-vous?
Président Arafat: “Un accord exige de nous de sanctionner
quiconque viole la loi palestinienne.”
COOPÉRATION RUSSO-PALESTINIENNE
Melhem Karam: - Le président Moubarak vous a fait part
de la décision prise par la Russie d’assumer de nouveau, son rôle
en tant que parrain et médiateur; en êtes-vous satisfait?
Président Arafat: “Certainement. D’ailleurs, une commission
palestino-russe se réunit, périodiquement, afin de suivre
de près l’opération de paix au P.-O.”
Melhem Karam: - Que pensez-vous de la Résistance libanaise,
de “Amal” et du “Hezbollah”. S’acquitte-t-elle de son devoir dans la libération
du sol de la patrie?
Président Arafat: “Il est du droit de tout Etat dont
le territoire est occupé, de faire tout ce qui est en son pouvoir
pour le récupérer. Nous saluons la Résistance libanaise,
“Amal” et le “Hezbollah.”
Melhem Karam: - Qu’en est-il de la démolition par les
Israéliens de 109 habitations palestiniennes et de l’occupation
de deux immeubles?
Président Arafat: “Ils ont démoli plus de sept
cents maisons et construit sur leur emplacement 1.700 unités de
logement dans les colonies. Mme Madeleine a démenti les allégations
israéliennes selon lesquelles ces unités ont été
bâties pour faire face à l’accroissement démographique,
or 30 à 40 pour cent des nouveaux logements sont inoccupés,
selon un rapport américain.”
Melhem Karam: - Comment expliquez-vous l’alliance turco-israélienne
et la coopération militaire entre Tel-Aviv et Ankara?
Président Arafat: “Je suis satisfait de l’accord conclu,
dernièrement, entre les présidents Moubarak et Démirel,
parce qu’il traite clairement cette question précise. Nous nous
attendons à une position turque plus franche dans ce domaine.”
POUR LA PAIX DES BRAVES
Melhem Karam: - Qu’auriez-vous à répondre à
l’ambassadeur US Indyk qui a dit: “Naturellement, ceci gêne le président
Arafat, mais n’en fera pas un soldat ni un policier pour défendre
Israël”?
Président Arafat: “J’ai tenu maintes fois de tels propos:
je ne suis le gendarme de personne, mais le chef de l’Etat palestinien,
élu par le peuple palestinien et du Conseil national palestinien.
Je persévèrerai dans mon action, selon que me dictent la
loi palestinienne, l’intérêt de mon peuple, celui des Arabes,
comme l’intérêt de la paix juste, globale et permanente dans
la région, qui est la paix des braves.”
Melhem Karam: - Le Liban est-il, d’après vous, au bout
de ses peines et Israël évacuera-t-il les portions de son territoire
qu’il occupe illégalement?
Président Arafat: “Nous le souhaitons.”
Melhem Karam: - Les arrestations se poursuivent-elles?
Président Arafat: “Non, elles ont cessé.” |