Ce
n’est certes pas un discours de la méthode que nous proposons aux
générations montantes, mais quelques idées simples
pour qu’elles sachent pourquoi, en cette fin de siècle, on ne peut
plus rien construire loin de leurs ambitions et qui, exactement, torpille
la reconstruction du Liban et sabote l’entente nationale.
Il est grand temps que les préoccupations sociales, aussi controversées
soient-elles, soient mises sur le même plan que les préoccupations
économiques et financières. Tout le reste relève d’une
technicité subtile, sans plus. L’obsession d’un Liban nouveau aussi
chauvine soit-elle, n’est pas seulement inspirée par les exigences
de la modernité, mais par les Libanais eux-mêmes. Le combat
social n’est pas un alibi, mais une priorité qui, tôt ou tard,
doit triompher.
Ce ne sont pas uniquement les erreurs flagrantes et impardonnables
commises dans tous les domaines et à tous les niveaux qui ont porté
M. Rafic Hariri au pouvoir, mais le discrédit d’une classe politique
devenue hétéroclite et sans vergogne, corrompue jusqu’à
la moelle; le discrédit, surtout, des idées futiles, en l’absence
d’une force prééminente capable de prendre la relève,
après un effondrement généralisé sans précédent.
Par malheur, l’opposition, s’il en est encore une digne de ce nom,
continue à nourrir en son sein des sensibilités d’un autre
âge, dont le fond est partout le même, le plus souvent inspiré
de recettes improvisées et creuses.
***
Et pourtant, depuis qu’il est au pouvoir, M. Rafic Hariri est sur la
sellette. La politique tout comme l’histoire est la meilleure niveleuse
des particularités individuelles, dont il se sert au quotidien pour
neutraliser ses détracteurs et les ambiguïtés entravant
ses projets. Puisse-t-il éviter ce chemin de croix qui risque d’être
assez long.
Il a engagé un combat avec des chefs de file, les uns impopulaires
et défaitistes, d’autres dépassés, responsables de
multiples décon-venues, n’ayant ni projet de rechange, ni programme
astucieux d’avenir. Et pourtant, ils se veulent, après tout, hussards
indis-pensables de la République.
Loin de nous l’intention d’applaudir aveuglément à la
politique socio-économique, du consortium Hariri, entachée
souvent de graves lacunes, car nous ne comptons point former le carré
autour de lui et nous laisser prendre à sa politique hasardeuse
et incantatoire. Nous lui suggérons, cependant, de gouverner avec
toutes les forces actives de ce pays solidairement et non solitairement.
Aussi, loin de renchérir, nous disons sincèrement aux princes
qui nous gouvernent comme à leurs opposants, d’intervenir objective-ment,
de corriger les erreurs passées commises à nos dépens,
de trouver les réponses exactes aux problèmes qui nous menacent.
En ce faisant, nous traduisons tout simplement le sentiment des Libanais
de tous bords frustrés par les scandales et les abus.
Il est temps de prendre les Libanais au sérieux. Ils ont appris,
à leur insu, que les politiques sont souvent incontrôlables
et que l’idéologie, étatique ou libérale fut-elle,
est à elle seule impuissante à les infléchir. Ils
sont de plus en plus sceptiques quant à la capacité de leurs
gouvernants à combattre l’inflation galopante, l’exclusion sociale,
le chômage, à rétablir une économie saine comme
l’exigent les normes internationales, les déficits budgétaires
en premier. Pour remettre en marche un Liban en proie au doute et au repli
sur soi, il faut bien se situer à la fois sur une ligne d’orientation
et dans une démarche pragmatique. Qui mieux que l’Etat, l’Etat de
droit bien entendu, peut convaincre les Libanais que le temps de l’analyse
et de la réflexion doit précéder celui de la décision
et de l’action? Si certaines réformes fiscales ou autres s’avèrent
impératives, par souci d’équilibre budgétaire, d’autres
en revanche sont contraignantes et corrosives, par exemple le nouveau projet
de loi sur les loyers, la surtaxe sur l’essence tout comme le projet d’emprunt
de 800.000 dollars, lesquels témoignent à eux seuls, une
carence de l’analyse et de la méditation objectives.
Les Libanais voudraient, aussi, que leurs élus prennent au sérieux
leur représentativité et qu’ils aient d’autres préoccupations
que de paraître sur le petit écran. Ils sont là pour
partager la réflexion avec l’Exécutif, pour exprimer les
doléances et les enjeux qui entravent les affaires publiques.
L’Etat devrait, pour sa part, prendre les organisations professionnelles
au sérieux. Cela veut dire, d’abord, pour le gouvernement, d’être
un arbitre veillant à corriger toutes les démesures d’où
qu’elles viennent et non être partie prenante comme c’est souvent
le cas. Aucune de ces prises de position ne sauraient être critiquées.
Est-ce trop demander?
Tant que le cabinet Hariri n’aura pas retrouvé l’équilibre
dans ses rangs, il continuera à patauger dans les rivalités
partisanes et à payer au prix fort toutes les déceptions
qu’il va engendrer.
M. Hariri, à la tête de “l’establishment”, restera-t-il
fidèle à la stratégie qu’il s’est promis de mettre
en œuvre et qui fait de lui le champion de la lutte contre les réactionnaires
et les nihilistes, dans le but non avoué de revenir en force à
la tête de sa propre armée? Le gageure est de taille. Puisse-t-il
être à la hauteur de sa tâche! |
“La morale politique, passe par le respect des lois
et leur juste application, la lutte contre les abus et l’établissement
de l’Etat de droit.”
George Orwell |