Le
pouvoir use. M. Hariri est en train de l’apprendre à ses dépens.
Que le pays ne soit pas disposé à le suivre quand il propose
de nouveaux impôts indirects, cela est naturel.
Nulle part au monde, le peuple des travailleurs n’accepte volontiers
de nouvelles charges fiscales sur des produits de première nécessité.
Mais qu’il ne trouve plus une majorité au sein même du Conseil
des minis-tres pour l’approuver, cela donne la mesure d’une très
grave perte de confiance.
Il n’empêche... Si, aujourd’hui, le chef du gouverne-ment se
présentait devant la Chambre, est-ce qu’il n’obtiendrait pas un
vote de confiance, alors même que son projet de surtaxe de l’essence
serait repoussé?
Absurde? Non. On a vu pire.
Au Liban, l’adhésion à un gouvernement n’est pas l’adhésion
à une politique ou à un programme; mais seulement, le résultat
de combinaisons de personnes et d’intérêts.
***
Nous sommes dotés d’un régime politique qui mélange
les genres. Pouvoir personnel et règles parlementaires sont tellement
confon-dus que personne ne s’y retrouve plus.
Comment pourrait-il en être autrement? Devant l’opposition déchaînée
contre la création de nouvelles taxes, M. Hariri avait, tran-quillement,
dit: Je veux bien y renoncer, mais donnez-moi des solutions de rechange
pour financer ce plan qui répond à des nécessités
inéluctables.
Et d’ajouter: ce plan finira par être adopté.
Il n’y a pas d’alternative.
Les choses étant ce qu’elles sont, on peut traduire cette assurance
de la manière suivante: il n’y a pas, pour me remplacer, de solution
de rechange; on me subira encore.
Il n’y a donc pas d’alternative à Hariri, pas plus d’ailleurs,
qu’à cette triplice surnommée “troïka”.
C’est la personnification même de ces fameuses “nécessités
inéluctables”.
Les paris sont ouverts.
Dès lors que le jeu parlementaire est, en fait, faussé,
tout dépend aussi bien d’un ensemble de conditions qui n’ont rien
à voir avec les règles et les usages, que d’impondérables
qui ressortent du jeu de hasard.
Ainsi en serait-il d’une explosion populaire.
***
Le pouvoir use.
Ceux qui nous gouvernent depuis sept ans devraient en tirer les conséquences.
Ceux qui viendraient à les remplacer ne feraient peut-être
pas mieux. Mais le chan-gement à lui seul est déjà
un motif d’espoir, un retour de confiance. Une illusion sans doute. Mais
néces-saire.
Le pays a besoin, périodiquement, d’une bouffée d’air.
Il s’agit de chasser les miasmes d’une gestion qui, en dépit de
nombreuses réalisations dont on ne cesse pas de nous rebattre les
oreilles, n’en demeure pas moins marquée par une accumulation de
faux pas, d’inconséquences et souvent d’abus flagrants.
Une gestion dont le prix est très élevé. L’endette-ment
et le gaspillage sont maintenant reconnus dans toute leur étendue.
Et l’on vous dit, pourtant, il n’y a pas d’alternative.
***
Dès son accession au pouvoir, M. Hariri a vu grand. On ne saurait
lui reprocher l’ambition qu’il avait pour un pays à peine sorti
des dures épreuves des guerres civiles. C’est qu’il avait pour point
de départ et pour tremplin le grand projet de reconstruction de
Beyrouth dont il est le vrai patron.
Dans son esprit, ce projet devait être le moteur d’une reprise
économique elle-même facteur de développement social.
C’était une erreur contre laquelle on n’a cessé de le
mettre en garde. Il n’a commencé à en mesurer les conséquences
que quand ce fut trop tard. Un endettement galopant, une administration
inefficace, des revendications sociales, un déséquilibre
politique interne, des inquiétudes sur le plan extérieur,
toutes les difficultés s’accumulant au moment où l’usure
normale du pouvoir est subitement révélée par l’érosion
de la confiance.
Pour gouverner, dans ces conditions, le risque est grand pour le pouvoir
de recourir, sous prétexte qu’il n’y a pas d’alternative, à
des méthodes autoritaires et répressives qui seraient la
négation même du Liban. |
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