Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

LE CRÉPUSCULE DU CHANCELIER

Au moment où l’Europe des Quinze s’apprêtait à Stockholm à élargir la famille européenne (de 15 à 20 membres), alors que les quarante pays du Conseil de l’Europe délibéraient en l’absence des Etats-Unis, à Strasbourg, le rôle de cette organisation et leur attachement à ses principes fondamentaux, à savoir: La démocratie pluraliste, le respect des droits de l’homme et la prééminence du droit; au moment où la France et l’Allemagne œuvrent, inlassablement, à régler leurs différends, notamment sur le volet social du traité de Maastricht, le crépuscule du chancelier Helmut Kohl est à plus d’un titre inquiétant. L’ère Kohl, touche-t-elle à sa fin? Confronté à la crise socio-économique la plus grave de l’après-guerre, un chômage record et le coût trop élevé de la réunification, lâché par l’opinion qui l’accuse de ne pas avoir tenu ses promesses, le chancelier est en mauvaise posture. L’Allemagne ne l’est pas moins. Elle ne peut pas plus que la France et l’Italie respecter les critères du traité de Maastricht pour entrer triomphalement dans l’union monétaire en 1999.
Cette impasse compromet, sérieusement, la réélection du chancelier Helmut Kohl, placée sous le signe de l’unification européenne. A en croire les observateurs, rien ne va plus pour le chancelier allemand, saisi comme son pays par le doute. Minée par la crise budgétaire la plus forte de son histoire, ébranlée par son différend avec son partenaire français, un des plus proches depuis le traité d’amitié entre les deux pays, l’Allemagne n’est pas au zénith, “l’Empereur Kohl, le Sage de Bonn” qui a battu le record de longévité de Konrad Adenauer, ne l’est pas non plus. Usé par le pouvoir qu’il comptait conserver jusqu’à la fin du siècle, attaqué sur son budget déficitaire, prisonnier d’une majorité ingouvernable, condamné par les sondages, le dernier dinosaure européen subit de plein fouet une crise qu’il n’a pas su éviter, au risque d’être emporté avec le nouveau modèle rhénan qu’il tente sans succès d’imposer. Climat de fin de règne?
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Helmut Kohl avait les coudées franches tant qu’il permettait aux Allemands la réalisation d’un rêve national: la réunification des deux Allemagnes. Sept ans après, il paraît infiniment plus difficile de les mobiliser sur l’Europe dans un pays où la récession bat son plein, d’autant plus que son économie, lourdement endettée, n’a pas engagé, lorsqu’elle en avait les moyens, les réformes qui lui auraient permis de combler ses déficits et de se qualifier pour Maastricht. Aujourd’hui, l’Allemagne est en crise, le chômage élevé a dépassé toutes les lignes rouges (4.500.000 chômeurs), 12% de la population active, le plus fort taux jamais enregistré et pour compléter la série noire des déficits publics, une quasi stagnation de la croissance pèse de tout son poids. Il n’est pas du tout surprenant que les Allemands lâchent leur chancelier et que le nombre d’eurosceptiques atteigne son paroxysme, près de 80% se disent hostiles à l’Union monétaire prévue pour 1999.
A ce lourd contentieux, viennent se greffer de graves problèmes non des moins contraignants pour le redressement du colosse allemand: intégration de l’Allemagne de l’Est, réforme de l’Etat, meilleure insertion de l’économie allemande dans le concert économique mondial, etc... Or, aucun de ces problèmes n’a été résolu jusqu’à présent. L’Allemagne de l’Est est toujours à la remorque de l’Allemagne de l’Ouest. Confronté à des grèves à répétition, le chancelier Kohl a dû freiner les projets d’aménagement de l’économie sociale du marché, accusée de faire des coûts de production, les plus élevés d’Europe. L’on parle déjà d’un déficit de 40 milliards de marks, dérive qui risque à tout moment de créer une situation explosive, incontournable. Mais qu’à cela ne tienne, l’avenir de Helmut Kohl n’est pas scellé. Politicien averti, capable grâce à son équation personnelle de partir archibattu et de prendre la relève, comme aux élections de 1994 où il a repris vingt points à ses adversaires, le chancelier n’a pas encore joué toutes ses cartes. La crise budgétaire, dira-t-on? Il a jusqu’à juillet 1998 pour la résoudre. La coalition en miettes? Il saura mettre de l’ordre dans la maison. Son intransigeance, son obsession d’un euro fort? Outre le souci d’apaiser les épargnants qui redoutent de troquer un mark fort contre un euro affaibli par les exigences sociales des socialistes français, elles répondent au sentiment national que la monnaie créée en 1948 n’est pas seulement le symbole du poids économique allemand reconquis, mais celui de l’identité retrouvée. Rappelons, en l’occurrence, que le ministre-président  social-démocrate de la Basse-Saxe, Gerhard Schröder, dont la cote dans les sondages dépasse celle de Helmut Kohl, est au même diapason.
Toutefois, Helmut Kohl, n’est pas encore parvenu à lui ravir son aura de compétence. En effet, 30% des Allemands pensent que le ministre-président ferait mieux que le chancelier Kohl. Encore faut-il qu’il soit désigné au printemps prochain comme candidat officiel du parti social-démocrate au pouvoir et qu’il ait réussi, d’ici là, le test des élections de son propre Land. Et les partisans du chancelier de rétorquer: cela n’empêchera pas le candidat Kohl de briguer un cinquième mandat au grand dam de ses adversaires; et sans avoir imposé aux Allemands l’Europe des marchands, battant ainsi le record de longévité au pouvoir d’Otto von Bismark. Nous lui souhaitons bonne chance; il en a tellement besoin! 

 
 
“Le chancelier Helmut Kohl a mis la barre trop haut et s’est piégé lui-même. Son gouvernement est aux abois. Il risque de saborder la réunification allemande qu’il a lui même suscitée”

Joschkar Fischer
(Leader de la nouvelle gauche allemande)
 


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