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Qu’est-ce qui
destinait Charles Hélou à devenir un dirigeant de son propre
pays, puis des plus grandes instances francophones internationales. Né
le 25 septembre 1913, à Beyrouth, rue de Damas, d’un père
pharmacien décédé dès 1918 et d’une mère
dont la famille syrienne-catholique, était originaire du quartier
Bab Touma de Damas; puis jeune sportif, comme il se décrit lui-même
dans le premier tome de ses Mémoires (p. 17), spécialiste
des échasses et capitaine de l’équipe de football, le président
apporte des éléments de réponse: “De l’histoire de
mon ascension jusqu’à la présidence de la République,
je ne retiens que celle d’un enchaînement de causes et d’effets qui
m’ont entraîné d’un ministère à l’autre, pour
enfin me désigner comme le candidat le mieux en convenance avec
les lourdes responsabilités de la magistrature suprême.”
Tour à tour, et parfois en même temps, avocat et journaliste,
diplomate, ministre, président de la République, puis président
de ces institutions interfrancophones prestigieuses, ce Libanais atypique
confessera “On ne sort jamais du journalisme” (Mémoires 1, p. 89).
DES DÉBUTS DANS LE JOURNALISME
C’est en 1932 qu’il est appelé à Alep pour participer
à la fondation d’un journal francophone “l’Eclair du Nord”, subventionné
par le député francophone arménien de la ville, Nicolas
Djandji. Deux ans plus tard, Charles Ammoun lui propose de travailler au
“Jour”, quotidien du parti du “Destour”, où il va se lier avec Béchara
El-Khoury et Michel Chiha et rencontrer toutes les futures personnalités
politiques et culturelles de la nation: Salah Labaki qui lui présente
son jeune frère Kesrouan Labaki, René Aggiouri, Camille Aboussouan,
Ghassan Tuéni (fils de Gebran et père de Gebran), Georges
Schehadé, Salah Stétié, Camille Chamoun “jeune, sportif,
dynamique”, Pierre Gemayel “pharmacien au cœur généreux”.
Charles Ammoun dirigera le “Jour” de 1934 à 1936 et ce sont Michel
Chiha et Khalil Gemayel qui lui succèderont de 1936 à 1947.
Charles Hélou quittera “Le Jour” en 1946 pour représenter
le Liban auprès du Saint-Siège, non sans avoir été
au cœur de la violente polémique qui dressait Georges Naccache rédacteur
en chef de “L’Orient” contre son journal. “Je me défendais assez
bien”, écrira-t-il, mais en doutant, comme toujours, de moi-même”.
Il fait, en même temps, ses premières armes d’avocat à
l’étude de Maître Georges Béchara, tout en aménageant
son bureau de rédacteur pour recevoir ses clients. Une amitié
va naître entre la première jeune femme libanaise à
avoir été admise au Barreau, Nina Trad qu’il épousera.
C’est au Vatican où il va servir trois ans, qu’il sera
confronté à la diplomatie internationale. Dans une conférence
prononcée au Cénacle Libanais en 1954 et que nous avions
évoquée l’année dernière, il rappellera combien
il fut impressionné d’y représenter son pays: “Une visite
au Vatican, c’est, d’abord, un acte de recueillement”. Il poursuit: “La
présentation des lettres de créance me donnait officiellement
accès au Vatican. Les nobles paroles du Pape me donnaient conscience
de pénétrer dans la maison du Père, comme en un grand
cortège et venant d’un autre haut lieu où soufflait l’esprit.
“Le Vatican est un Royaume où les réalités les
plus tangibles demeurent étonnantes et où elles seraient
tout à fait inexplicables si elles étaient arbitrairement
limitées à leur seul aspect physique, c’est-à-dire
à ce qui est l’aspect le moins stable, le moins sûr et, en
un certain sens, le moins réel de toute réalité.
“Le Vatican où les symboles et leur signification sont si étroitement
mêlés, où l’invisible s’affirme avec tant de magnificence
dans des signes visibles, le Vatican est un Royaume où il n’est
pas besoin de fermer les yeux pour voir.”
Les lieux impressionnent les hauts dignitaires sunnites qui se rendent
auprès du Saint-Père, il rappelle le propos de M. Hussein
Ouéini, alors ministre des Finances: “Je me considère qualifié
pour vous apporter l’hommage des Libanais musulmans unis aux Libanais catholiques.”
De même, le président du Conseil, Riad Solh, venu à
l’audience papale en habit “s’était informé longuement de
toutes les règles du cérémonial”. C’est parce que
ce dernier le rappelle à Beyrouth pour lui confier le portefeuille
de la Justice et de l’Information qu’il doit quitter Rome en 1949. Puis,
plus tard, il deviendra ministre des Affaires étrangères
dans le gouvernement d’Abdallah Yafi.
UNE ŒUVRE SOUS TROIS ASPECTS
Après l’homme, l’œuvre; nous essaierons très modestement
d’analyser les thèmes de l’œuvre sous trois aspects: l’humanisme,
le patriotisme et la francophonie. L’humanisme de l’homme, tout d’abord:
“l’humanisme est d’évidence l’essentiel de notre vocation” (Mémoires
1964-1965, p. 230); cette réflexion rejoint celle-là: “On
ne connaît rien sans y engager son cœur”. (Mélanges II). A
Dakar, en janvier 1973, il le réaffirmera:
Croire en l’homme, c’est proclamer et respecter, en toutes circonstances,
son éminente dignité, ses droits fonda-mentaux. C’est en
dépit de ses défaillances, faire confiance à ses possibilités
de relèvement et de progrès. C’est, au-delà de sa
misère, découvrir toute sa grandeur.
Déjà le 20 mai 1962, il avait écrit: “Les gens,
même au-dessous d’un certain chiffre de rentes, ont leur personnalité
et leur grandeur”. Il apportera, ainsi, toute sa vie une attention très
grande à ceux qui souffrent, prenant comme référence
l’un de ses amis médecins, le professeur Godel, que ce soit dans
le soutien accordé au père Roberts et aux jeunes handicapés
(Mélanges II) et dernièrement aux Restaurants du Cœur auxquels
s’est consacrée Mlle Antoinette Kazan. Au cours de son mandat présidentiel,
il créera, en 1969, les assurances sociales et fera voter un code
de déontologie médicale, rédigé en accord avec
le ministre de la Santé, M. Khatchik Babikian.
Un aspect très particulier de ces considérations humanistes
se trouve dans sa pièce. “Où l’amour commence”, où
il développe le thème du mariage des prêtres (autorisé
sous conditions au Proche-Orient). C’est dans la dernière réplique
de la pièce, prononcée par Jean, le prêtre, qui renonce
à l’amour qu’il voue à Madeleine et qu’elle lui voue, pour
ne pas rompre ses vœux, que le titre s’explicite: “L’amour commence là
où s’arrête la douceur d’aimer”.
C’est que la dimension spirituelle est présente dans cet humanisme.
M. Joseph Maïla, doyen à l’Institut Catholique de Paris, le
souligne: “L’observation politique du président Hélou ne
saurait aller sans la dimension spirituelle qui s’attache à sa réflexion”
(préface de “Liban, remords du monde”). Cette “foi dans la primauté
du spirituel” (Mélanges II, p. 248), il la rappelle dans ses “Mémoires
1964-1965”.
“A vrai dire, le surnaturel ne peut être absent de nulle part;
il est partout présent, partout accessible. Mais pour nous en rendre
compte, il nous faut surmonter à chaque instant notre vision déformée
du monde, le monde des phénomènes dont nous avons cru établir
les lois”.
Naturellement, c’est dans le christianisme que se ressource l’humanisme
de l’ancien président du Cercle de la Jeunesse Catholique, lequel
écrit: “On n’est jamais chrétien, on tâche de le devenir”
et “les vraies richesses sont faites de nos renoncements” (Mélanges
II, p. 114 et 115), ou, à l’occasion de Noël 1980: “Donnez-nous
de mieux comprendre que le ciel, c’est les autres “ et cet humanisme, il
l’étend à ses fonctions d’homme d’Etat: “Le président
est un homme seul, partout et toujours seul à découvrir dans
l’action la solution, la plus valable” et il poursuit: “C’est dans cette
ascèse, bien plus que dans les rigueurs du cérémonial,
que réside la solitude du chef. Ascèse obligatoire puisqu’elle
rejoint, chez lui, un besoin d’efficacité. Comment pourrait-il,
en effet, supputer indéfiniment les chances et les risques de chaque
décision, ses avantages et ses inconvénients dans un avenir
qu’il ne peut connaître? Ce qui lui est demandé, c’est moins
de scruter le futur (qui n’est pas encore) que de s’examiner; de rechercher,
pour l’écarter, tout sentiment, tout intérêt qui pourrait
faire obstacle, en lui, au cheminement de la lumière”. (Mémoires
IV, p. 126, ss).
Humanisme spirituel bien sûr, puisque “Par sa population composée
de communautés qui, toutes, portent le signe religieux, le Liban
est une affirmation de la primauté du spirituel; le pays qu’emplit
visiblement la présence de Dieu... Ce qui peut nous sauver en nous
unissant, ce n’est ni le scepticisme, ni l’intérêt, c’est
la foi... le droit fondé sur la morale, la morale fondée
sur Dieu, voilà les éléments premiers de l’architecture
de la Cité (“Conférences au Cénacle, 1950 et 1954).
Mais cette dimension spirituelle est, également, œcuménique
(ce qui est remarquable dans ce pays communautariste); le président
Hélou souligne l’intérêt “des forces d’oppression dénoncées
par l’imam Moussa Sadr, notre frère, en un langage profondément
chrétien et musulman à la fois, parce que profondément
humain (Mémoires V, 1975). A la cérémonie de canonisation
du père Charbel au Vatican, le président Hélou remarqua
que “les membres musulmans de la délégation libanaise s’étaient
spontanément agenouillés”, il fit alors “signe au plus proche
d’entre eux de se lever”, à la fois “pour éviter des commentaires
malveillants et par respect pour des concitoyens de confession différente”.
(Mémoires V, p. 180). Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer:
“Nous avons le droit de penser que tout croyant doit avoir, dans sa conscience,
un Liban blessé, qu’il doit avoir une chrétienté d’Orient
dans son esprit et dans son cœur”. Spiritualisme et patriotisme vont de
pair, également, dans le cœur et dans l’œuvre de Charles Hélou.
Le deuxième thème dominant est l’amour du pays natal.
Déjà, en 1932, lorsqu’il était jeune journaliste “expatrié”
à Alep, Charles Hélou se plaignait des douze heures de train
ou de route pour regagner Beyrouth”.
“L’autocar reprenait son mouvement au milieu d’un tintamarre de ferraille
non huilée. Il avançait interminablement. Enfin, du milieu
de la poussière et de la fumée, surgissaient des paysages
plus verts, plus riants et comme arrosés par le bleu de la mer.
Ils annonçaient notre arrivée à Chekka, à Batroun,
à Jbeil, à Jounieh, partout où des bornes kilométriques
étaient remplacées par des statues de la Vierge ou des ex-voto
ou encore de petites chapelles de notre foi et de notre tendresse”. (Mémoires
I).
UN CHANT POUR LE LIBAN
Dans ses “Mémoires 1964-1965”, il en est tout lyrique:
“Regardez. Le Liban, c’est ce large éventail de montagnes, de
coteaux et de terrasses qui descendent en pente douce vers la mer, depuis
les pics neigeux couronnés de cèdres jusqu’aux plages éclatantes
de soleil. C’est ce promontoire dressé sur la côte orientale
du vieux lac méditerranéen et aussi cette terre d’accueil
et d’amitié, ce terrain de rencontre des cultures et des cultes;
ce haut lieu où souffle l’esprit et ce carrefour, l’un des plus
fréquentés du globe. Le connaissez-vous ce pays où
fleurit l’oranger? Où l’amandier éclate en un poudroiement
d’or et d’argent? Pays “du lait et du miel” dont le nom chante au cœur
du Cantique des Cantiques”.
Et dans Mélanges II, cette profession de foi: “le Liban est
un trop beau pays... pour que nous ne nous lassions jamais de le défendre”.
Parce que l’élément humain y est incomparable: “Cette petite
république est, en réalité, un vaste empire de l’esprit.
Et c’est par là que le Liban est le plus sûrement appelé
à durer. Cela est pour moi un credo” (Liban, Remords du Monde, p.
88). Dans Mémoires IV, “le Liban est un ancien vaste et rayonnant
empire de l’Esprit”.
Dès qu’il a été élu à la présidence,
il s’écrie: “J’éprouve pour l’ensemble de mes compatriotes,
ceux du Liban et ceux de l’étranger, une sollicitude que je porte
au fond de moi” (Mémoires 1964-1965).
Mais ce pays, pour rester uni, doit rester libre: “Le Liban est un
pays de minorités associées, pays de liberté parce
que pays de minorités. La seule paix réalisable est une paix
consentie, fondée sur l’entente, sur un état d’équilibre.
Que l’équilibre soit rompu, notre pays serait en danger de désagrégation”
(La Maison Liban, conférence au Cénacle, 1950). Il réaffirmera
dans Mélanges I “la liberté et l’unité du Liban se
rejoignent. Les conditions de sauvegarde de l’une ont toujours été
les conditions de sauvegarde de l’autre” (p. 134). Une patrie qu’il faudra
défendre, hélas! contre des forces centrifuges, des immigrés
accueillis en frères, des pays alliés envieux.
Du sexennat, le président Hélou évoque les affaires
et les événements, le scandale de la faillite de la Banque
Intra, le dénigrement systématique des ennemis politiques,
au point qu’il songera à démissionner en automne 1968, mais
le Premier ministre étant démissionnaire, également,
l’Etat se serait retrouvé sans timonier, les accords du Caire qui
concrétisent l’interférence des Palestiniens dans la politique
libanaise: “le Conseil des ministres refuse d’écouter la lecture
de l’accord du Caire pour ne pas s’engager davantage et me laisser seul
en face de cette tragédie trop compliquée” (Mémoires
II, p. 261).
La guerre “des autres” allait prendre des allures de guerre civile:
“Les Libanais attaqués par des non-Libanais qui se déclarent
agressés au Liban” (Mélanges II, p. 28), “les slogans et
les explosifs financés par les pétrodollars” (idem, p.35)
et de citer Vauvenargues: “Nous querellons les malheureux pour nous dispenser
de les plaindre”, à propos de la presse internationale accusant
les Libanais de ne pas pouvoir régler leurs problèmes, alors
que “d’étranges coalitions se forment pour achever de détruire
l’exemple du vouloir vivre en commun que nous offrions et qui préfigurait
la paix pour la région toute entière et peut-être pour
le reste du monde” (Mémoires 1964-1965, p.79).
Le disciple et l’ami de Michel Chiha avait fait sienne cette analyse
prémonitoire des événements de 1948: “D’une affaire
apparemment petite, la terre tremblera jusque dans ses fondements”. Aussi
“nous voyons les Palestiniens se révolter non point contre ceux
qui les ont abandonnés, mais contre nous qui les avons accueillis”
(Mélanges II, p.13), d’où l’obligation de concilier nos sentiments
envers nos frères palestiniens et nos devoirs envers nous-mêmes”
(Mémoires IV, p.137). Et de citer le professeur Guy Feuer écrivant
dans l’Annuaire Français de Droit International de 1970: “Il semble
que, dans le cas libanais, le respect de la souveraineté de l’Etat
ait fini par l’emporter, bien que les difficultés ne soient peut-être
pas résolues réellement”. Elles ne sont toujours pas résolues
en réalité, et nous sommes en 1997.
Dans les Mémoires, tome IV, ou les Mémoires 1964-1965,
ou Mélanges II, le président Hélou saura montrer combien
l’importance d’un régime parlementaire au Liban ne pouvait ou ne
voulait pas être compris par les régimes autocratiques des
pays voisins.
Dès 1948, au Palais de Chaillot, pour les réunions
des Nations Unies, “toutes les délégations arabes (étaient)
prêtes à toutes les éloquences, mais sans aucun document
d’archives, ni aucune proposition commune” (Mémoires I, p.98). La
Ligue arabe lui demandera d’ouvrir un bureau d’information à Paris
la même année, mais sans aucune précision; il commente:
“Pouvions-nous convaincre les pays arabes d’adopter une politique à
la mesure, non de leur éloquence, mais de leurs moyens?” (Mémoires
1964-1965, p.133). Il est dur pour ces pays arabes, après cette
belle formule les décrivant comme “des énigmes souriantes”
(Mémoires 1964-1965, p.62), il parle du maréchal Sallal:
“Avec son air de bien brave homme, il faisait tomber un nombre considérable
de têtes au Yémen” (idem, p.67). Pour d’autres, qu’on reconnaît:
“la Police internationale est destinée moins à assurer la
sécurité du Liban-Sud que la stabilité de gouvernements
arabes régnant et gouvernant loin de la zone des combats, des plus
riches d’entre eux en particulier” (Mélanges II, p.52).
“L’AMOUR DE LA FRANCE”
La francophonie du président Hélou se mesure à
l’aune de son engagement dans la francophonie. Comme le rappelait M. Jacques
Heride, dans son article consacré au Colloque International Francophone
de septembre 1991, à Gourdon: “Charles Hélou: l’amour de
la France”, le président s’était exprimé au sujet
de Pierre Benoit ainsi: “Je l’aimais, parce qu’il aimait mon pays libanais.
Je l’aimais, aussi, parce qu’il savait faire aimer son propre pays français”.
Il déclarera dans “Liban Remords du Monde”: “Nous avons été
une vitrine resplendissante de toutes les valeurs issues de génie
français” (p.48), c’est pourquoi “tout lui paraît familier
dans le grand Paris” (Mémoires 1964-1965, p.23). Et tout naturellement,
il a pour le général de Gaulle, qu’il a d’abord connu dans
sa qualité de journaliste, de 1929 à 1931 lorsqu’il était
Commandant du IIIe Bureau des Troupes du Levant, à Beyrouth; puis,
en 1941 représentant de la France-Libre, les mêmes sentiments
d’admiration, d’intérêt, de respect. Hôte du général
de Gaulle, président de la République française, le
5 mai 1965, le président Hélou décrira celui qu’il
appelle le “dernier grand monarque” (Mémoires 1964-1965) en ces
deux phrases: “Ses paroles tombaient de haut mais rebondissaient avec douceur”
et “l’homme de lettres regagnait ce que l’homme de guerre abandonnait”
(Mémoires 1964-1965).
A la suite du bombardement israélien de l’aéroport de
Beyrouth (28/12/1968), le général de Gaulle lui renouvellera
ce message: “Je suis à vos côtés contre toute agression
extérieure”, et le prouvera en arrêtant les livraisons d’armes
et de matériel militaire à l’Etat d’Israël.
Enfin, rappelant les pins de France plantés par Pierre Benoit
sur la tombe du père Sarloutte, ancien Supérieur du prestigieux
collège d’Antoura, au Liban, le président Hélou tiendra,
en novembre 1971, à être présent à Colombey-les-deux-Eglises;
il écrit: “Au deuxième anniversaire du décès
du général, seul le Liban fut admis à participer à
la cérémonie organisée à sa mémoire,
dans une stricte intimité, à Colombey-les-deux-Eglises. Et,
sur le souhait de la famille du général de Gaulle, je fus
chargé de présider la délégation libanaise.
Notre initiative symbolique et qui consistait à planter un millier
de cèdres sur la colline dominant Colombey eut, dans toute la presse
de France, d’Europe et même du monde, une résonance considérable”.
(Mémoires V).
“ABANDONNER LE LIBAN, C’EST RENIER SON ÂME”
A plusieurs reprises, il l’aura proclamé: “Nous avons été
les premiers à aimer le général de Gaulle. Nous serons
les derniers”. A son tour, le président Mitterrand appréciera
la haute conception du président Hélou pour la francophonie
en le nommant membre du Haut Conseil en 1985. En 1997, ce dernier n’a pas
renouvelé son mandat mais a accepté de devenir correspondant
privilégié du HCF. C’est dans ces instances que le président
Hélou se liera d’amitié avec MM. Alain Decaux, Philippe De
Saint-Robert, Philippe Decraene.
Un article particulièrement émouvant, étant donné
les circonstances tragiques dans lesquelles se débattait son pays,
fut publié dans “L’Orient-Le-Jour” du 11/4/1989 sous le titre “Salut,
Peuple de France”. En voici quelques extraits:
“... France, France, sans toi le monde serait seul...”
Je me répète tous les jours ce vers de Gabrièle
D’Annunzio,
Car ce que nous défendons, ce ne sont pas nos vies autant que
nos raisons de vivre. Nous voulons être libres de croire, libres
de penser et de parler, libres d’aimer. Nous voulons demeurer fidèles
à nous-mêmes, à nos traditions, à notre culture
pluraliste ouverte à tous les horizons et qui crée entre
la France et nous depuis des siècles, cette “solidarité instinctive”
et émouvante, proclamée, il y a quelques jours à la
présidence de la République française.
Ce qui nous unit, ce n’est pas seulement l’usage d’une même langue;
c’est aussi et surtout l’habitude et le goût d’un même langage,
celui de l’humain et de l’universel.
C’est de Paris que partent pour nous sauver toutes les initiatives
de portée internationale. C’est à Paris que se déploient
toutes les ressources de l’esprit et du cœur. C’est de Paris que s’élève
une immense, une irrésistible clameur, pour réveiller une
Humanité assoupie.
Honneur à vous qui nous réconciliez avec nos épreuves
en nous donnant le courage de les affronter et l’espoir de les surmonter.
Honneur à vous, qui voulez assumer une part de notre détresse
en décidant d’associer à votre qualité de Français,
la nationalité d’un Liban ensanglanté et crucifié,
un Liban qui ressuscitera”.
Quant au président Jacques Chirac, le président Hélou
cite cette phrase de lui “Abandonner le Liban, ce serait pour la France
renier son âme”.
UN ÉCRIVAIN LYRIQUE
Nous avons beaucoup écouté, dans ces quelques lignes,
parler le président Hélou; nous l’avons découvert
journaliste précis et écrivain lyrique. Quels ont été
ses écrivains préférés?
Dans Mélanges I, il mentionne son collègue sénégalais:
“Nous avons relu pour notre enchantement des poèmes de M. Léopold
Senghor (“texte de 1961, p.97), et le dramaturge libano-français
Georges Schehadé (Mélanges I, p.106). Il écrit de
même dans “Mémoires I”:
“J’ai reçu tout récemment, à Kaslik, une délégation
de personnalités françaises. L’entretien porta sur la culture
francophone en général et sur ma propre culture, en particulier.
Quelqu’un me demanda quels étaient les écrivains français
qui m’avaient le plus profondément marqué. Je répondis:
Le romancier, le poète et savant, François Mauriac, du “Journal”,
Saint Exupéry, de “Terre des hommes”, le Malraux des discours et
celui des “Oraisons funèbres” et j’ajoutai avec le sourire, Maurice
Leblanc. A ma grande surprise, mon choix et même celui du créateur
d’Arsène Lupin, fut pleinement approuvé par mes interlocuteurs.”
Ici, se manifeste son sens de l’humour, dont il utilise les effets
avec ses pairs arabes: “Une réponse qui fait rire est parfois plus
éloquente que bien des notes et bien des discours” (Mémoires
1964-1965, p.92), ou bien: “la diplomatie, je serais tenté de dire
qu’elle est l’art de se taire avec modération. Mais ce serait ainsi
définir l’éloquence” (Mémoires I. p.149).
“Le pessimisme n’est pas un instrument de travail” (Mélanges
II, p. 112). A Jacques Chancel, qui procèdera à Kaslik, dans
sa maison, à une de ses célèbres “Radioscopie” (avril
1971), il déclarera: “Vous commentez mes textes d’une manière
qui me console de les avoir écrits” et “il est heureux que les Français
comptent beaucoup d’amis francophones pour sauvegarder la pureté
de la langue”. l’ADELF en sait quelque chose!
“LA RELÈVE DES DIEUX MORTS”
Quant au style épique, on peut relever: “Des chœurs de vivants
ont pris à Baalbeck, la relève des dieux morts” (Mélanges
II, p.236) ou “Nous foulons à nos pieds, sans y prendre garde, les
restes d’une multitude de croyances et de croyants, d’adorateurs et de
dieux. Et la mer légendaire a cessé de porter les trirèmes
chargées de pourpre et de vases transparents” (Où l’amour
commence), ou bien, avec un accent gaullien: “Ma voix est la voix du Liban,
envahi, ravagé” (discours à l’A.C.C.T., 12/12/1983).
C’est, d’ailleurs, à une séance du dictionnaire qu’il
demande à être convié à l’Académie Française,
lors de sa visite officielle en France (7/5/1965), comme il le rappelle
dans ses “Mémoires 1964-1965” (p.125).
D’ailleurs, dans le même volume (p.11), il sait bien que “la
parole et l’écrit sont ses seules armes pour défendre la
juste cause du Liban, ici et à l’étranger”.
Grand patriote, le président Hélou aura su donner au monde, ces paroles de sagesse: “Tels que nous sommes, nous n’avons que le choix entre la fraternité et la mort” (Mélanges I, p.8) et “Aucun règlement ne serait concevable sans que le Liban soit restauré dans ses structures et ses fonctions essentielles, dans sa vocation humaine, dans son rôle international” (Mélanges II, p.43). Ecrivain, il nous aura rassuré “qu’un peuple qui crée n’est pas un peuple qui meurt” (Mélange IV, p. 253), et qu’à partir “de ce phare spirituel et culturel de la Méditerranée orientale qu’est le Liban” “les Phéniciens continueront à s’avancer sur les eaux “portant la pourpre et l’idée”. |