Dans
l’atmosphère délétère que les polémiques
sur le projet de budget 1998 ont créé ou, en réalité,
aggravé, le gouvernement dispose-t-il encore d’assez d’autorité
pour gérer les affaires?
L’usure du pouvoir a fait son œuvre. L’érosion de la confiance,
aussi bien au niveau national qu’au sein de la Chambre ou au sein même
du Conseil des ministres, est telle que, dans un régime fonctionnant
normale-ment, le changement ministériel se serait imposé
comme la solution naturelle?
Dans l’histoire de la République libanaise, on a vu souvent
des chefs de gouvernement prestigieux savoir choisir l’heure de se retirer
pour revenir au pouvoir, neuf mois plus tard, avec une confiance renouvelée.
Aujourd’hui, cela paraît injustifié aux yeux des détenteurs
du pouvoir. Ils sont persuadés qu’il n’y a pas d’alternative. M.
Hariri le répète sans se lasser: donnez-moi des solutions
de rechange au lieu de vous contenter de critiquer. Et sur ce, on s’attelle
à la recherche d’arrangements personnels pour continuer dans la
même voie.
Dès lors, on passe à côté des vrais problèmes.
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Le premier de ces problèmes, on le désigne du doigt depuis
plusieurs années: la réforme de l’Administration. C’est le
leitmotiv du gouvernement et de ses adversaires. Mais qu’a-t-on fait pour
la réaliser ou pour commencer seulement à la mettre en train?
Qu’a-t-on fait pour imposer rigueur et discipline dans le fonctionnement
des services administratifs? Qu’a-t-on fait pour sanctionner les abus et
la corruption? Pour moraliser tant soit peu le comportement du fonctionnaire
vis-à-vis des administrés?
Comment croit-on pouvoir, sans rigueur, mener à bien les plans
de développement et de reconstruction gigantesques dont rêve
M. Hariri pour bâtir une nouvelle économie?
Et comment pourrait-on croire encore possible pour un gouvernement,
dont l’autorité est usée jusqu’à la corde, de remonter
le courant et de se faire obéir par des fonctionnaires habitués
au laxisme de leurs propres ministres et à l’impunité?
Comment pourrait-on croire qu’un gouvernement, dont les divisions internes
s’étalent au grand jour, aurait encore la possibilité d’obtenir
de ses fonctionnaires discipline et rigueur?
Et l’on prétend maintenant à l’austérité
budgétaire?
Les qualités personnelles de M. Hariri ne sont pas en cause,
ni sa sincérité dans les plans qu’il élabore ou quand
il expose sa vision d’un avenir radieux. Ce qui paraît plus douteux,
ce sont ses dispositions d’esprit à s’adapter aux traditions politiques
d’un pays aussi divers et aussi complexe que le Liban. Ou, plus exactement,
pour arriver à ses fins, il a trop complaisam-ment cédé
aux mœurs politiques les plus contestables.
La situation à laquelle on a ainsi abouti, il faudrait peut-être
en rechercher, aussi, la cause dans les impératifs d’une politique
régionale dont l’orientation est définie et décidée
hors de nos frontières et qui pose, comme préalable, la stabilité
intérieure à n’importe quel prix.
Ceci n’excuse pas cela.
Il n’en demeure pas moins que les alliances politiques qui s’imposent
ainsi pour la formation des gouvernements dans le but d’assurer la paix
intérieure et la stabilité, affaiblissent, par contre-coup,
l’autorité de son chef dans le domaine de la gestion administrative
de l’Etat.
C’est la quadrature du cercle à laquelle M. Hariri s’est toujours
trouvé confronté: concilier la nécessité d’une
large coalition forcément hétérogène, dans
le cadre d’une sorte de contrat tacite de permanence des trois têtes
du pouvoir, avec la recherche d’une dépolitisation et d’une épuration
des services de l’Etat.
***
Au point où en sont les choses, on ne voit à l’horizon
que des solutions boîteuses.
Avec la nécessité de tarir les sources du gaspillage
des deniers publics, avec un projet de budget d’austérité,
qui n’est d’ailleurs pas encore accepté tel quel, la marge de manœuvre
et de conciliation de M. Hariri est devenue très étroite.
S’il est toujours forcé de demeurer au pouvoir dans ces conditions
et de maintenir le déficit dans la limite qu’il s’est fixée,
il lui faut impérativement consacrer, désormais, toute son
énergie et ce qui lui reste d’autorité, à nettoyer
l’administration publique.
Il n’y a plus maintenant de plus grande urgence, rien de plus prioritaire.
Ce qui a été révélé de l’étendue
de la gabégie et de l’endettement, signifie que la gestion de ces
quatre dernières années est un échec, en dépit
des résultats dont se félicite le gouvernement sur le plan
de la sécurité et de la reconstruction.
Comment encore espérer effacer les traces et les conséquences
de cet échec?
Rétablir la confiance réelle du pays et non plus celle
d’une majorité parlementaire manipulée?
Retrouver une autorité morale, sans quoi l’autorité de
l’Etat n’est plus que répressive?
Tel est le vrai problème. |
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