Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

LA CROISÉE DES CHEMINS

Depuis le temps qu’on accuse les chrétiens de menées ténébreuses pour cantoniser le pays, qu’on leur colle l’étiquette d’isolationnisme, qu’on les traite de “maronitisme politique” (sans que l’on sache d’ailleurs ce que cela peut bien vouloir dire), depuis le temps que l’on s’acharne à les diaboliser, on ne s’est pas rendu compte que la haine - comme l’amour - est aveugle et que le plus séparatiste des deux n’est pas celui qu’on pense.
C’est la magistrale leçon de choses que vient d’administrer cheikh Sobhi Toufayli à une classe dirigeante imbue de sa propre insignifiance, abrutie par ses excès, paralysée par une impuissance congénitale et aveulie par les terreurs que génère sa propre lâcheté. Cheikh Sobhi aurait d’ailleurs tort de s’en priver puisque d’un claquement de doigts il peut, sinon renverser le gouvernement, du moins faire détaler comme des lapins ceux qui jouent volontiers - face à d’autres - les matamores.
Pourquoi se gênerait-il d’ailleurs quand les responsables se terrent peureusement pour ne pas l’affronter, les plus téméraires jouant à l’autruche, les plus avisés suivant l’adage populaire qui dit que la fuite est les deux-tiers du courage?
Il ne fallait pas davantage pour voir proclamer le canton souverain de Baalbeck-Hermel avec des frontières sur lesquelles veille la garde prétorienne du nouveau monarque. Mieux encore, ledit monarque vient de signifier aux députés et ministres - qui ne l’ont pas volé - de ne pas tenter de franchir les limites du nouvel Etat, sous peine de se faire éjecter à grands coups de pieds dans le derrière. Ce n’est évidemment là qu’une adaptation libre des propos tenus par cheikh Sobhi, mais le sens y est scrupuleusement respecté.
J’imagine mal (ou plutôt, je n’imagine que trop bien) ce qui se serait passé si le même événement avait eu lieu à Jbeil, au Kesrouan ou au Metn. Je crois qu’auprès des vociférations qu’on aurait alors entendues, les trompettes du Jugement dernier n’auraient pas eu plus d’effet qu’un pétard mouillé. Sans compter  les centaines d’universitaires, de journalistes, d’avocats, médecins, ingénieurs, qu’on aurait conduits manu militari, sans le moindre mandat, vers une destination inconnue. Tel est le libre jeu de la démocratie dans notre IIème république: d’un côté les réprouvés, d’un autre les enfants gâtés; d’une part ceux qui n’ont droit à rien, de l’autre ceux qui se permettent tout.
Pour en revenir à la Békaa, cheikh Sobhi n’a pas tout à fait tort. La crise économique dont il se plaint et dont souffrent les habitants de Baalbeck-Hermel est réelle et la situation, déjà critique au départ, va en se dégradant. A un tel point, dit-on, que abreuvés de fausses promesses, ils en sont revenus à la culture du haschich.
Quand bien même, ces affamés là sont encore mieux lotis que d’autres. Eux, au moins, ne paient ni taxes, ni impôts, ni électricité, ni eau, ni téléphone... Alourdissant  ainsi la note que doivent régler d’autres Libanais non moins démunis, vivant de privations, acculés à la faim, livrés à la misère, avec pour toutes perspectives des horizons bouchés et des lendemains qu’ils voudraient ne jamais voir se lever. N’en déplaise à cheikh Sobhi, il n’y a pas des affamés qu’au Hermel.
Qu’adviendra-t-il si chaque “affamé” venait à faire sa déclaration d’indépendance et à se constituer en canton souverain? Serait-ce en dernier recours le modèle qu’on nous propose de suivre et cheikh Sobhi ne se trouve-t-il là que pour nous indiquer le mode d’emploi?
Reste à savoir si les menées déstabilisatrices qui se déroulent dans la Békaa sont dues à un ras-le-bol populaire, à une inspiration personnelle ou bien représentent-elles un message venu d’ailleurs? Et si c’est le cas, auquel des trois présidents est destiné ce message et que signifie-t-il? A part nous rendre encore plus dépendants et ce, juste à la veille des présidentielles et au moment où les Américains - après une  longue absence - amorcent une manœuvre de retour. 

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