AMBASSADEUR DE RUSSIE À BEYROUTH
OLEG PERESSYPKINE:
 “JE SUIS OPTIMISTE QUANT À L’ÉVOLUTION DES RELATIONS RUSSO-LIBANAISES”

 
M. Oleg Peressypkine, ambassadeur de Russie au Liban, est un diplomate, doublé d’un homme de lettres et d’un historien.
Il est dans la carrière diplomatique depuis près de quarante ans, tel qu’il le dit dans le dernier livre qu’il vient de publier sous le titre: “Les mémoires non officielles”: “En octobre 1958, écrit-il, j’ai été diplômé de l’Institut où j’ai étudié l’arabe et le français. Je me suis rendu en Syrie qui fut mon premier poste à l’étranger, délégué par la commission des affaires économiques relevant de l’Etat. Elle m’avait chargé, à l’époque, d’étudier la vallée de l’Euphrate et de rechercher un endroit adéquat pour y construire un haut barrage”.
Mais M. Peressypkine est, avant tout, un homme de lettres et un historien et c’est ce qui l’a poussé à publier son livre. Il y relate ses voyages diplomatiques dans le monde arabe, de Mossoul à Benghazi, en passant par Damas, la presqu’île du Sinaï et jusqu’au Liban.
Avec sa sensibilité d’écrivain, sa lucidité d’historien et son réalisme de diplomate, il sent l’étendue du danger qui pèse sur cette région du fait de la paralysie du processus de paix.
D’un autre côté, il considère que Beyrouth a franchi de grands pas sur la voie de la récupération de sa place pour les rencontres internationales des hommes d’affaires et des personnalités culturelles, sportives, etc... grâce aux efforts des dirigeants et du peuple libanais.
Dans le cadre de cette interview, il insiste sur la grande ouverture qui a lieu entre le Liban et la Russie suite aux visites officielles mutuelles entre les dirigeants des deux pays et aux accords conclus.
 

 
LE PROCESSUS DE PAIX, BLOQUÉ
- Comment voyez-vous l’avenir du Liban, sachant que le processus de paix est en butte à des obstacles?
“Nous faisons face, en ce moment, à de graves troubles concernant le processus de paix au Proche-Orient. Le dossier syro-israélien ne sort pas hélas! de son point de stagnation. De même, il n’y a aucun développement au plan du volet libano-israélien, alors que nous lisons chaque jour des nouvelles faisant état de confrontations armées au Liban-Sud, de violations de l’accord d’avril 1996 et de plaintes déposées devant le “comité de surveillance” à Nakoura.
“Le gouvernement de Benjamin Netanyahu agit de façon unilatérale par rapport au règlement du conflit du Proche-Orient qui devrait, pourtant, être résolu sur la base de négociations bilatérales; le blocus imposé aux territoires occupés et la riposte inégale face aux opérations menées par les Palestiniens entravent le processus de paix.
“Dans ce même contexte, la dernière rencontre entre Benjamin Netanyahu et Yasser Arafat permet d’espérer un certain progrès positif au sujet du volet palestino-israélien.
“Evidemment, cette situation complexe et explosive, ne peut qu’inquiéter le gouvernement libanais et tous ceux qui s’intéressent à la paix comme à la stabilité au Proche-Orient.
“L’édification de l’avenir est meilleure dans des conditions de stabilité et de vision claire de l’évolution des événements. Pour cela, la poursuite des troubles au Sud du Liban; les tentatives visant à compromettre le lien entre la Syrie et le Liban; le refus d’Israël d’appliquer la résolution 425 du Conseil de Sécurité relative au retrait des forces israéliennes du Sud; tous ces facteurs ont une influence négative.
“En dépit de tout cela, Beyrouth devient, de plus en plus, un lieu de rencontre international des hommes d’affaires, de personnalités culturelles et des sportifs. Ceci prouve, une fois de plus, la capacité du peuple libanais et leur volonté à remettre leur pays sur les rails, ce qui vaut au Liban l’appui de ses amis du monde entier.”

LES PLUS LONGS DES CONFLITS S’ACHÈVENT PAR UNE PAIX
- Cette situation, ne paralyse-t-elle pas ou, du moins, ne ralentit-elle pas la reconstruction du pays? 
“L’absence de stabilité et la crainte de la résurgence ou de l’élargissement des conflits, influent négativement, sans aucun doute, sur la marche du progrès et obligent à faire des dépenses financières pour des missions qui ne sont pas directement liées au développement national. 
“Mais soyons optimistes: même les plus longs des conflits armés s’achèvent par une paix. D’où la nécessité de déployer des efforts pour parvenir au plus vite à l’instauration au P.-O. d’une paix juste et globale, qui servirait les intérêts de tous les peuples de la région.” 

- Qu’en est-il de votre participation à la reconstruction et quelles en sont les dimensions? 
“En Russie, ils connaissent parfaitement vos projets de reconstruction. Nous avons participé au forum des “amis du Liban” qui a eu lieu à Washington. Quant à la visite officielle effectuée par le Premier ministre Hariri à Moscou au mois d’avril 1997, elle fut la première d’un officiel libanais depuis plus de cinquante ans et a constitué un grand pas dans les relations bilatérales. Cette visite était en rapport direct avec les projets de réédification de l’économie libanaise: des accords furent signés entre les deux gouvernements, portant sur l’encouragement et la protection des investissements, sur le moyen d’éviter la double imposition, sur la  formation d’une commission conjointe pour la coopération économico-commerciale, dans les domaines de l’éducation, de la culture et du sport.

  “Je suis d’accord avec Hassanein Haykal: «Le Liban est un phénomène unique dont nous avons tous besoin” 

 

 

SIGNATURE D’ACCORDS BILATÉRAUX
“A Moscou, poursuit l’ambassadeur, furent, aussi, échangés les documents relatifs à des accords signés auparavant, portant sur le commerce et la coopération économique. En l’absence de ces documents essentiels. On ne peut pas parler de relations économiques importantes. On peut donc considérer la visite du président Hariri à Moscou et la signature de ces documents comme une étape préliminaire en vue d’un rôle économique de la Russie au Liban. Les modalités d’approbation de ces documents sont en cours et bon nombre d’organismes russes, manifestent de l’intérêt vis-à-vis de ce pays.
“Au cours des derniers mois, des délégations de certaines sociétés ont visité Beyrouth dont La “Tekhnostroï Exports” (qui envisage d’installer une représentation à Beyrouth), la “Eftobank”, la “Engostrakh”, (société d’assurance); la “Contract” et d’autres. A notre connaissance, les sociétés russes sont intéressées à participer à la remise en état des infrastructures.
“Elles manifestent, aussi, un intérêt pour la coopération dans les domaines financier et commercial, car Beyrouth est, traditionnellement, connue comme le centre des banques et du commerce au Proche-Orient. “Par ailleurs, je voudrais signaler que les hommes d’affaires libanais effectuent des visites en Russie où s’offrent à eux des opportunités d’investissements importants.”

FAIRE ÉVOLUER LES RELATIONS BILATÉRALES
- Mis à part, votre rôle essentiel dans le parrainage du processus de paix, quel autre pouvez-vous jouer vis-à-vis du Liban?
“En plus du parrainage du processus de paix qui, j’en suis sûr, va prendre de plus en plus d’importance, nous déployons de grands efforts pour faire évoluer les relations bilatérales. Le Liban attire les touristes. Pour cela, en collaboration avec le ministère du Tourisme dont le titulaire assume la présidence de la commission proche-orientale au sein de l’organisation mondiale du tourisme, nous avons élaboré un projet de coopération dans le domaine touristique. Cet accord n’a pas encore été signé, mais nous avons déjà commencé par créer une représentation de la Commission mondiale de la culture physique et du tourisme à Beyrouth. Moscou attend la visite des ministres des Affaires étrangères et du Tourisme pour signer cet accord.”

L’IMPACT POSITIF DES VISITES OFFICIELLES
“Pour l’instant, ajoute M. Peressypkine, a lieu la constitution d’une commission gouvernementale conjointe pour les affaires commerciales et la coopération économique, en vertu de l’accord signé en avril dernier, lors de la visite du président Hariri à Moscou. Cette commission tiendra sa première réunion à Beyrouth dans le courant du mois de décembre. Le ministre de l’Economie et du Commerce, Yassine Jaber, présidera cette commission du côté libanais qui sera présidée, du côté russe, par le ministre Evgueni Primakov.
“De même, une action est menée en  vue de faire évoluer les relations culturelles. Dans cet ordre d’idées, il faut mentionner l’accord de coopération qui a été signé entre l’académie diplomatique, dépendant du ministère russe des A.E. et l’université de Balamand. Lors de la visite du député Issam Farès à l’invitation du patriarche Alexis II de Moscou et de toute la Russie, il a été mis au courant des activités de l’académie diplomatique et un doctorat honorifique lui a été attribué. Le président Youri Kachiliov, envisage de visiter le Liban le mois prochain.
“En d’autres termes, nous essayons de faire évoluer la coopération avec le Liban, aussi bien au niveau des questions relatives au processus de paix que des relations bilatérales.”

- Les dernières transformations ayant eu lieu à l’échelle proche-orientale, autant qu’internationale, ont produit leur impact sur les relations libano-russes. Comment évaluez-vous ces relations et leurs perspectives d’avenir?
“Il ne fait pas de doute que les transformations de la conjoncture mondiale, aussi bien en Russie qu’au Proche-Orient, produisent leur impact sur les relations russo-libanaises. La guerre d’avril 1996 et la stagnation du processus de paix ont rendu nos concertations au sujet des questions régionales plus actives. Le ministre russe des A.E., Evgueni Primakov a déjà effectué deux visites au Liban, en avril et octobre 96 et, il y a juste une semaine, il a entamé, par Beyrouth, une tournée proche-orientale. Dans cette démarche, je vois de profondes significations. De même, le délégué spécial du président russe, au Proche-Orient, le vice-ministre des A.E. Victor Poussouvaliouk a visité Beyrouth à deux reprises en 1996.”
 

LE LIBAN, UN PAYS EXCEPTIONNEL
L’ambassadeur russe précise, aussi, que dans le cadre des concertations entre les ministères des A.E. des deux pays et en vertu du protocole signé en octobre 96, le directeur du département Proche-Orient et Afrique du Nord des A.E. russes, Andreï Vadovine, est venu à Beyrouth, alors que la visite du Premier ministre, Rafic Hariri, favorisera la coopération économique. 
“De même, la visite du député Issam Farès a contribué à l’établissement de relations avec le parlement russe. Plusieurs projets dans le domaine de la coopération culturelle et scientifique pouvant être réalisés. De manière générale, je suis optimiste concernant l’évolution des relations russo-libanaises.” 

- Quelles sont vos impressions libanaises et quelle image s’est imprégnée dans votre esprit depuis votre entrée en fonctions? 
“Le Liban est bien connu en Russie. Le premier consulat russe à Beyrouth, ouvert en 1838, a œuvré avec succès jusqu’en 1918 et ses archives abondent en documents sur l’histoire des relations entre nos deux pays. Pour ma part, j’ai eu l’opportunité auparavant de visiter le Liban, la première fois en 1966, selon mes souvenirs. 
“Il ne fait pas de doute que c’est un pays exceptionnel et je suis d’accord avec M. Hassanein Haykal lorsqu’il dit: Le Liban n’est pas un pays, mais plutôt un phénomène unique dont nous avons tous besoin. 
“Je suis très heureux d’y représenter la Russie, car je peux ainsi apporter ma contribution à l’évolution des relations d’amitié entre nos deux peuples.” 
 

(Propos recueillis par T. CHAMSEDDINE)
 
 
“Tout conflit, quel qu’il soit, débouche en définitive sur un accord” 
 

 

 

 

 


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