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QUAND LE DÉBAT AVAIT UN SENS... 
 
L’ouvrage que notre ami et confrère Georges Farchakh a livré au public, ce 24 octobre, sous le titre “Hamid Frangié et la République de l’indépendance”, vient à son heure nous rappeler ce que fut la vie politique au Liban, quand le débat avait un sens et une portée.
Cet ouvrage, extrêmement bien documenté avec un grand souci d’impartialité qui fait honneur à son auteur, raconte Zghorta, les Frangié et la République. La carrière parlementaire et ministérielle de Hamid Frangié s’est déroulée d’abord dans le cadre du mandat français; ensuite, dans celui de l’indépendance jusqu’en 1957. Suivre son développement c’est, en même temps, évoquer tous les grands débats et les crises de l’époque. On peut en tirer plus d’un enseignement.
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Pour saisir l’importance de cette phase de l’Histoire, on peut en noter d’abord quelques-unes des grandes étapes:
1943 - L’indépendance.
1945 - La création de la Ligue arabe.
1946 - La négociation pour l’évacuation simultanée des armées anglaises et françaises. Le gouvernement français exigeait un traité d’amitié comme préalable; il avait fallu aux négociateurs libanais beaucoup d’habileté et même de ruse pour ne pas tomber dans ce piège qui aurait entraîné la division du pays.
1952 - La première crise nationale qui avait provoqué la démission du président Béchara El-Khoury et l’éviction de Frangié au profit de Chamoun pour la présidence de la République.
1956 - La crise de Suez.
1957 - La “doctrine Eisenhower” relative à la lutte contre le communisme et la division du monde arabe sur l’ordre des priorités: le péril communiste ou le péril sioniste; la vague nassérienne et la résurgence du Croissant Fertile.
Si l’accent est ainsi mis sur les problèmes de politique internationale, c’est bien sûr parce que Hamid Frangié fut, pendant cette période, souvent ministre des Affaires étrangères. Mais il a été, aussi, ministre des Finances et il a eu des interventions remarquables dans le domaine fiscal et de la justice sociale. Il a soutenu un projet d’impôt sur le revenu au moment où la spirale prix-salaire menaçait la stabilité monétaire. Ses discours sur l’ensemble de ces problèmes furent d’une grande lucidité. En matière de politique intérieure comme dans le domaine de la politique étrangère, Frangié exprimait une pensée cohérente, courageuse, toujours guidé par l’intérêt supérieur du pays et par une vision claire de sa position et de son rôle dans le monde arabe.
Le lieu où se déployait sa doctrine était l’enceinte parlementaire. Les joutes oratoires y étaient, souvent, d’une grande élévation. Entre un  Charles Malek et un Hamid Frangié, par exemple, sur l’adhésion à un traité de défense contre le communisme préconisé par Eisenhower, le débat portait sur l’essentiel et était conduit avec une franchise brutale, sans concession à “la langue de bois” comme on le voit trop souvent de nos jours.
Alors, l’opinion publique pouvait suivre et comprendre l’importance des enjeux. Nous n’étions pas loin, alors, d’un processus démocratique de prise de décision. Sur la place publique comme dans l’enceinte parlementaire, la liberté d’expression avait un sens.
Mais l’Etat, enfermé dans le jeu des puissances qui le dépassait, avait cru, hélas! qu’il pourrait échapper à cet exercice de la liberté démocratique par la répression que venaient couronner les élections législatives faussées de 1957.
On a eu les conséquences: l’insurrection de 1958 et l’intervention étrangère.
Là s’arrête la biographie de Hamid Frangié. La maladie l’avait mis hors jeu fin 1957. Mais il nous laisse, grâce à notre ami Farchakh, le récit d’une vie politique exemplaire dans une époque riche en événements décisifs.

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Il n’y a pas de comparaison possible entre l’époque ainsi évoquée et celle que nous connaissons depuis 1990 après l’intermède d’une longue guerre civile.
Le débat public a été, aujourd’hui, simplifié au point de n’apparaître plus que comme l’illustration de querelles personnelles et d’intrigues de sérail.
Les vrais problèmes qui engagent le destin du pays sont occultés.
Les questions de politique intérieure, économique, financière, sociale sont continuellement escamotées.
Il n’y a plus de leadership. Il n’y a plus d’orateurs capables de faire vibrer le pays et de lui faire prendre conscience des enjeux, de rassembler un courant capable de mettre en question le sort d’un ministère.
Tout est suspendu au bon vouloir des trois personnages qui se partagent les trois pouvoirs. De leurs ententes ou de leurs divergences, nous ne sommes pas juges.
La République n’est plus qu’une façade. Et la politique, une entreprise de travaux d’urbanisme. 

 
 
 

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