À LA LIBRAIRIE DÉDICACE AMÉLIE NOTHOMB SIGNE SON DERNIER-NÉ: “ATTENTAT”

M. Georges Audi présentant Mlle Amélie Nothomb.

On la dit incisive; elle est d’une extrême sensibilité. On la taxe d’avoir une écriture au vitriol; elle ne fait que dépeindre  un univers vitriolé. On lui trouve un talent corrosif, mais il n’est qu’à l’image du monde qu’elle essaie de mieux voir à travers son “pessimisme joyeux, tonique”.

“Personne, dit-elle, ne s’est jamais suicidé après m’avoir lue. Le rire existe dans toutes ses pages: “Je pouffe souvent en écrivant”.

JE NE SAIS RIEN FAIRE D’AUTRE QU’ÉCRIRE DES LIVRES
Cette jeune romancière d’à peine trente ans qui a signé son “Attentat” à la Librairie Dédicace, a déjà écrit six romans, tous des réussites.
- Comment et pourquoi? s’étonne-t-on.
“Eh! bien, parce que je ne sais rien faire d’autre que parler japonais et écrire des livres”, clame presque désolée cette fille de diplomate belge, née au Japon, catapultée en Chine; puis, au Laos et, à 17 ans, en Belgique, son pays d’origine où elle croyait trouver ses racines, mais elle découvre là-bas qu’elle ne ressemble à personne de ceux qui l’entourent et se sent exclue. Elle repart pour le Japon, avec l’intention de s’y établir définitivement, devient interprète, se fiance avec un Japonais, croit sa vie bien installée.
Soudain, envoie tout balancer: sa patrie n’est pas le Japon, encore moins la Belgique: Elle n’en a qu’une, la littérature. “C’est vrai, dit-elle, je suis cosmopolite”. Là commence l’aventure, celle de l’écriture avec son premier roman à succès.
“L’hygiène de l’assassin” paru en 1992 aux Editions Albin Michel, qui obtient le prix René Fallet. D’autres le suivent: “Le Sabotage amoureux” (1993) (Prix de la Vocation et prix Chardonne), “Les combustibles” (1994), “Les Catalinaires” (1995 prix du Jury Jean Giono, prix Paris Première et prix franco-européen) et “PEPLUM” en 1996. Traduite en 14 langues, elle a reçu en Allemagne le prix des Libraires.
Aujourd’hui, Nothomb signe son sixième roman “Attentat”, mais se dit “dialoguiste” et non romancière. En effet, ses livres ressemblent fort à des pièces de théâtre où les acteurs se donnent la réplique. Acerbe, cinglante pleine d’humour aussi.

LA BELLE ET LA BÊTE REMIS EN SCÈNE
Imaginez un livre qui commence ainsi: “La première fois que je me vis dans un miroir, je ris: je ne croyais pas que c’était moi. A présent, quand je regarde mon reflet, je ris: je sais que c’est moi. Et tant de hideur a quelque chose de drôle.” Eh! bien, moi aussi je ris de voir “tant de hideur” devenir une arme, une fortune, un moyen de posséder la beauté. Car le héros va désormais l’exploiter à fond et tout Quasimodo qu’il est, trouver moyen de tomber amoureux d’une superbe actrice.
La “Belle et la Bête” sont, monstrueusement, remis en scène; pourquoi? “J’adore les contes de fées. Ils disent beaucoup de choses vraies sur l’être humain. Mais ils n’avaient pas dit que la Bête n’était pas si gentille que ça, ni la Belle si méchante qu’on veut le faire croire.
“Dans mon livre, j’ai voulu montrer que rien n’est simple; que les belles ne sont pas toujours méchantes et que le vrai  pervers c’est le très laid. Il est plus intéressant que le bellâtre soit plus sympathique, aussi, mais pervers.”
- Dans ce roman, l’écrivain semble remettre en question l’importance du look, du physique. Est-il plus important qu’auparavant?
“Le physique a toujours été important, mais jamais aussi injuste qu’aujourd’hui. Dans “Attentat”, le personnage revendique une place de postier. Un postier n’est pas censé être beau que je sache. Or, on le refuse parce que son physique dérange. A travers les médias, l’image règne en maître. Même pour les écrivains: on préfère lire les beaux, on néglige les laids. Je me demande parfois: “Pourquoi prend-on tant de photos de moi?”  Ce n’est pas mon appa-rence qui compte; ce sont mes livres.”
- Comment la laideur peut-elle devenir une arme?
“Ce personnage hideux décide de déranger quand il réalise que son physique dérange... et il va devenir le héros de la laideur, le premier mannequin-repoussoir, immensé-ment riche grâce à sa laideur.”

LE MONDE TEL QUE JE LE VOIS
- Quel effet cela lui fait que la presse parle d’elle comme d’un auteur à l’écriture au vitriol?
“Ce n’est pas recherché, se défend-elle. Je décris le monde tel que je le vois: il est corrosif et vitriolé ce n’est pas moi, c’est lui qui l’est.”
- A la fin de votre ouvrage vous dites qu’“il n’y a pas d’amour impossible”. Mais à quel prix?
“Vous l’avez bien dit, le prix est parfois lourd. Bien sûr, je ne recommande pas aux gens de tuer l’objet de leur amour, mais je crois qu’on peut vivre un amour autrement que dans une relation. On peut le vivre en silence. Cela m’est arrivé, surtout pendant l’adolescence.
“Or, mon héros a compris que la seule relation avec la femme qu’il aime, c’est l’assassinat. C’est cela ou rien. Il a préféré le crime, la possédant pour ainsi dire, pour l’éternité.”
- Croyez-vous qu’il faille être belle (ou beau) pour être aimé?
“Vous savez, j’estime qu’à la naissance, on subit le premier “attentat”. C’est le coup de loterie: on naît avec un physique qu’on n’a pas choisi et avec lequel on va devoir vivre toute sa vie. La beauté de l’âme n’est rien. On dit tout le temps le contraire, mais ce n’est pas vrai. En amour comme ailleurs, on choisit le physique agréable; les autres, on les met de côté.”

LE LIBAN, C’EST “LE ROCHER DE TANIOS”
- Connaissez-vous les écrivains libanais francophones?
“Seulement Amine Maalouf, que j’adore. J’ai lu tous ses livres. Je l’ai vu lors de ses interviews; il parle avec une belle sagesse, une belle culture! C’est grâce à lui que je me suis fait une idée des Libanais et j’ai eu raison. Mes idées sur le Liban? Le Liban pour moi, c’était le Rocher de Tanios. J’ai ressenti cela lors de ma visite aujourd’hui à Beiteddine, Beyrouth est déchirante. On sent qu’elle a été superbe, une ville de Paradis. On voit ce qu’elle a souffert et on espère qu’elle retrouvera son visage d’antan.”
Des livres, elle peut en “accoucher” tous les trois mois: “Je puis dire que je suis “enceinte” de mes livres. L’image est vraie parce que tant que je n’en ai pas accouché, il n’y a pas de place pour un autre. J’en suis pleine.”
Sur le moment de la “conception”, elle plaisante mais assure: “c’est souvent dans les transports en commun belges.”
Et quand on lui demande, enfin, si elle n’aimerait pas accoucher cette fois d’un bébé, d’un vrai et non d’un livre, elle affirme tristement: “J’ai visité le Bengladesh qui est un pays surpeuplé et très pauvre et j’ai été très marquée par les enfants abandonnés. Je préfère en adopter un, pas en avoir. Il y a beaucoup d’enfants à nourrir. A quoi bon en rajouter?”

NICOLE EL-KAREH


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