“Personne, dit-elle, ne s’est jamais suicidé après m’avoir lue. Le rire existe dans toutes ses pages: “Je pouffe souvent en écrivant”.
JE NE SAIS RIEN FAIRE D’AUTRE QU’ÉCRIRE
DES LIVRES
Cette jeune romancière d’à peine trente ans qui a signé
son “Attentat” à la Librairie Dédicace, a déjà
écrit six romans, tous des réussites.
- Comment et pourquoi? s’étonne-t-on.
“Eh! bien, parce que je ne sais rien faire d’autre que parler japonais
et écrire des livres”, clame presque désolée cette
fille de diplomate belge, née au Japon, catapultée en Chine;
puis, au Laos et, à 17 ans, en Belgique, son pays d’origine où
elle croyait trouver ses racines, mais elle découvre là-bas
qu’elle ne ressemble à personne de ceux qui l’entourent et se sent
exclue. Elle repart pour le Japon, avec l’intention de s’y établir
définitivement, devient interprète, se fiance avec un Japonais,
croit sa vie bien installée.
Soudain, envoie tout balancer: sa patrie n’est pas le Japon, encore moins
la Belgique: Elle n’en a qu’une, la littérature. “C’est vrai, dit-elle,
je suis cosmopolite”. Là commence l’aventure, celle de l’écriture
avec son premier roman à succès.
“L’hygiène de l’assassin” paru en 1992 aux Editions Albin Michel,
qui obtient le prix René Fallet. D’autres le suivent: “Le Sabotage
amoureux” (1993) (Prix de la Vocation et prix Chardonne), “Les combustibles”
(1994), “Les Catalinaires” (1995 prix du Jury Jean Giono, prix Paris Première
et prix franco-européen) et “PEPLUM” en 1996. Traduite en 14 langues,
elle a reçu en Allemagne le prix des Libraires.
Aujourd’hui, Nothomb signe son sixième roman “Attentat”, mais se
dit “dialoguiste” et non romancière. En effet, ses livres ressemblent
fort à des pièces de théâtre où les acteurs
se donnent la réplique. Acerbe, cinglante pleine d’humour aussi.
LA BELLE ET LA BÊTE REMIS EN SCÈNE
Imaginez un livre qui commence ainsi: “La première fois que je me
vis dans un miroir, je ris: je ne croyais pas que c’était moi. A
présent, quand je regarde mon reflet, je ris: je sais que c’est
moi. Et tant de hideur a quelque chose de drôle.” Eh! bien, moi aussi
je ris de voir “tant de hideur” devenir une arme, une fortune, un moyen
de posséder la beauté. Car le héros va désormais
l’exploiter à fond et tout Quasimodo qu’il est, trouver moyen de
tomber amoureux d’une superbe actrice.
La “Belle et la Bête” sont, monstrueusement, remis en scène;
pourquoi? “J’adore les contes de fées. Ils disent beaucoup de choses
vraies sur l’être humain. Mais ils n’avaient pas dit que la Bête
n’était pas si gentille que ça, ni la Belle si méchante
qu’on veut le faire croire.
“Dans mon livre, j’ai voulu montrer que rien n’est simple; que les belles
ne sont pas toujours méchantes et que le vrai pervers c’est
le très laid. Il est plus intéressant que le bellâtre
soit plus sympathique, aussi, mais pervers.”
- Dans ce roman, l’écrivain semble remettre en question l’importance
du look, du physique. Est-il plus important qu’auparavant?
“Le physique a toujours été important, mais jamais aussi
injuste qu’aujourd’hui. Dans “Attentat”, le personnage revendique une place
de postier. Un postier n’est pas censé être beau que je sache.
Or, on le refuse parce que son physique dérange. A travers les médias,
l’image règne en maître. Même pour les écrivains:
on préfère lire les beaux, on néglige les laids. Je
me demande parfois: “Pourquoi prend-on tant de photos de moi?” Ce
n’est pas mon appa-rence qui compte; ce sont mes livres.”
- Comment la laideur peut-elle devenir une arme?
“Ce personnage hideux décide de déranger quand il réalise
que son physique dérange... et il va devenir le héros de
la laideur, le premier mannequin-repoussoir, immensé-ment riche
grâce à sa laideur.”
LE MONDE TEL QUE JE LE VOIS
- Quel effet cela lui fait que la presse parle d’elle comme d’un auteur
à l’écriture au vitriol?
“Ce n’est pas recherché, se défend-elle. Je décris
le monde tel que je le vois: il est corrosif et vitriolé ce n’est
pas moi, c’est lui qui l’est.”
- A la fin de votre ouvrage vous dites qu’“il n’y a pas d’amour impossible”.
Mais à quel prix?
“Vous l’avez bien dit, le prix est parfois lourd. Bien sûr, je ne
recommande pas aux gens de tuer l’objet de leur amour, mais je crois qu’on
peut vivre un amour autrement que dans une relation. On peut le vivre en
silence. Cela m’est arrivé, surtout pendant l’adolescence.
“Or, mon héros a compris que la seule relation avec la femme qu’il
aime, c’est l’assassinat. C’est cela ou rien. Il a préféré
le crime, la possédant pour ainsi dire, pour l’éternité.”
- Croyez-vous qu’il faille être belle (ou beau) pour être
aimé?
“Vous savez, j’estime qu’à la naissance, on subit le premier “attentat”.
C’est le coup de loterie: on naît avec un physique qu’on n’a pas
choisi et avec lequel on va devoir vivre toute sa vie. La beauté
de l’âme n’est rien. On dit tout le temps le contraire, mais ce n’est
pas vrai. En amour comme ailleurs, on choisit le physique agréable;
les autres, on les met de côté.”
LE LIBAN, C’EST “LE ROCHER DE TANIOS”
- Connaissez-vous les écrivains libanais francophones?
“Seulement Amine Maalouf, que j’adore. J’ai lu tous ses livres. Je l’ai
vu lors de ses interviews; il parle avec une belle sagesse, une belle culture!
C’est grâce à lui que je me suis fait une idée des
Libanais et j’ai eu raison. Mes idées sur le Liban? Le Liban pour
moi, c’était le Rocher de Tanios. J’ai ressenti cela lors de ma
visite aujourd’hui à Beiteddine, Beyrouth est déchirante.
On sent qu’elle a été superbe, une ville de Paradis. On voit
ce qu’elle a souffert et on espère qu’elle retrouvera son visage
d’antan.”
Des livres, elle peut en “accoucher” tous les trois mois: “Je puis dire
que je suis “enceinte” de mes livres. L’image est vraie parce que tant
que je n’en ai pas accouché, il n’y a pas de place pour un autre.
J’en suis pleine.”
Sur le moment de la “conception”, elle plaisante mais assure: “c’est souvent
dans les transports en commun belges.”
Et quand on lui demande, enfin, si elle n’aimerait pas accoucher cette
fois d’un bébé, d’un vrai et non d’un livre, elle affirme
tristement: “J’ai visité le Bengladesh qui est un pays surpeuplé
et très pauvre et j’ai été très marquée
par les enfants abandonnés. Je préfère en adopter
un, pas en avoir. Il y a beaucoup d’enfants à nourrir. A quoi bon
en rajouter?”