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LE RETOUR DU RUSSE
 
A quarante ans de distance, la nouvelle entrée en scène de la diplomatie russe au Proche-Orient semble marquée par une remarquable continuité, non pas des méthodes mais de la pensée directrice. A l’opposé, la diplomatie américaine a recours aux mêmes méthodes qu’en 1957 sans qu’on puisse ramener, aujourd’hui, ces méthodes à une pensée politique cohérente et clairement exprimée.
En 1957, la motivation de l’Amérique c’était le communisme; aujourd’hui, c’est le terrorisme. Dans les deux cas, ce sont les sources du pétrole qu’il faut protéger. Mais l’un et l’autre péril ne sont pas comparables; or, les moyens sont toujours les mêmes: pressions militaires et économiques. En 1957, ce fut l’échec qui devait conduire, dix ans plus tard, à la guerre de 1967 dont on n’a pas fini de tirer les conséquences.
Le ministre des Affaires étrangères russe vient de visiter, en qualité de co-parrain du processus de paix issu de la conférence de Madrid, les capitales du Proche-Orient les plus impliquées dans ce processus. En commençant par Beyrouth, comme on l’a beaucoup souligné, prenant ainsi le contre-pied des réticences américaines vis-à-vis du Liban. Et à la fin de son périple, au Caire, il a fait distribuer à la presse une proposition en 12 points appelée “code de bonne conduite” (De conduite du processus de paix? Une sorte de leçon donnée à l’autre parrain).
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Ce qu’il faut retenir de ce texte c’est, d’abord, qu’il prend en compte toutes les préoccupations israéliennes en matière de sécurité et offre d’y répondre par des moyens différents de ceux de M. Netanyahu.
Il va, aussi, au-devant des préoccupations américaines en matière de développement économique régional et de terrorisme.
Il pose les principes qui devraient guider les divers Etats concernés dans ces deux domaines:
- La sécurité d’un Etat ne saurait être assurée par ses seuls moyens militaires et techniques, ni par la violation des territoires de ses voisins. Le comportement israélien vis-à-vis du Liban, de la Syrie et des Palestiniens comme celui de la Turquie vis-à-vis de l’Irak est, ainsi, implicitement condamné.
- La sécurité ne peut être confinée dans des limites géographiques étroites. En l’occurrence, elle concerne toute la région qui s’étend de l’Iran aux pays du Maghreb (Terre d’Islam proche de l’Europe). Et cette sécurité ne saurait reposer sur des alliances ou des groupements stratégiques étrangers à la région (c’est-à-dire l’OTAN via la Turquie, par exemple).
- Le respect des traités signés et de la loi internationale.
- La lutte contre le terrorisme quelles que soient ses justifications.
- La diminution des budgets militaires et l’élimination des armes de destruction massive.
- Le respect de l’héritage culturel et religieux de tous les peuples (on pense aux Kurdes comme aux chrétiens et aux musulmans soumis, à Jérusalem, à toutes sortes d’avanies) et le libre accès à tous les lieux saints.
- La solution équitable du problème des réfugiés.
- Le développement économique harmonieux de tous les pays de la région.
Dans une formulation différente, ces principes ne rejoignent-ils pas la position de l’Union européenne? Mais plus circonspect que M. Chirac, M. Primakov ne parle pas d’un Etat palestinien. On peut seulement supposer qu’il n’est pas contre.
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En 1957, ce qu’on avait appelé “la doctrine Eisenhower” définissait avec une franchise brutale, “l’intérêt vital” de l’Europe et de l’Amérique pour le pétrole et pour la situation stratégique du Proche et Moyen-Orient. Elle soulignait que l’URSS n’y avait pas le même intérêt et devait donc s’abstenir d’y intervenir. Chasse gardée. Elle appelait donc les pays de la région à se mobiliser contre la pénétration du communisme et les invitait à résoudre le conflit de Palestine “dans le cadre de l’ONU” (aujourd’hui, le recours à l’ONU est mal vu, voire condamné sauf s’il s’agit de l’Irak).
La Syrie qui (avec l’Egypte) avait repoussé cette “doctrine”, se sentait, alors, menacée à la fois par la double monarchie hachémite et par le Pacte de Bagdad. Elle subissait une forte pression agressive de la Turquie.
Le maréchal Boulganine proposait alors aux puissances occidentales, une déclaration commune sur le Proche et Moyen-Orient en vue d’y ouvrir une voie à la solution pacifique des conflits. (Sous une autre forme, c’est maintenant l’idée de M. Primakov). Naturellement, il n’a pas été écouté. Il ne pouvait être question, pour l’Occident, dans le climat de l’époque, de consentir à la formation de ce genre de “concert des puissances”. En septembre 1957, M. Boulganine est allé plus loin: il adressait au chef du gouvernement turc un message personnel, le mettant en garde contre toute action visant la Syrie. En même temps, la “Pravda” lançait le même avertissement à Israël.
Ce langage propre à la guerre froide n’est plus aujourd’hui de mise. A Madrid, la Russie a été admise dans le “concert des puissances” pour être le co-parrain du processus de paix. Mais son rôle a été, en fait, marginalisé, ainsi que celui de l’Europe. La seule volonté d’Israël et des Etats-Unis prévaut dans ce domaine. Ainsi, la région demeure chasse gardée.
Au bout de six ans d’exclusivité, la diplomatie américaine est, nettement, dans l’impasse. Comme autrefois, voici que le co-parrain russe rentre en scène avec une “doctrine” qui, à la différence de la “doctrine Eisenhower”, se veut soucieuse de tous les intérêts en présence et non plus de celui, “vital”, des pays de l’OTAN ou de Moscou.
Mais il se garde bien de trop élever la voix ou d’être menaçant. La Russie est devenue un partenaire de l’Occident.
Quelle chance a-t-elle d’être écoutée?
L’erreur de la diplomatie américaine, aujourd’hui comme hier, est de ne rechercher les solutions que par le recours aux pactes militaires et aux démonstrations de force. Dans ce cadre, il est bien aisé à Israël comme à la Turquie (toutes deux puissances militaires prédominantes) d’entrer dans son jeu et de l’infléchir dans leur propre intérêt.
Mais alors, adieu la paix!
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La politique définie par M. Primakov est une politique de bon sens.
On dira que la Russie n’en a pas les moyens. En revanche, l’Amérique a les moyens de la sienne. Mais à qui aboutit-elle depuis six ans? (Depuis cinquante ans?...)
Tout ce qu’on voit, c’est une tentative de contourner les vrais problèmes par le biais des conférences économiques et c’est un piétinement lamentable qui laisse la situation se dégrader au point de menacer d’échapper à tout contrôle.
La politique russe, tout comme celle de l’Union européenne, est déterminée par la géographie et l’Histoire. Celle des Etats-Unis, étrangère à ce déterminisme, ne se préoccupe que de l’accès aux richesses pétrolières et de la stratégie militaire de leur protection.
Le résultat? Le spectacle du drapeau étoilé brûlé périodiquement sur la place publique en est la meilleure illustration. 
 
 
 

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