Il est fier de constater que nombreux parmi les responsables actuels au pouvoir et ceux ayant assumé les charges officielles, ont été ses étudiants à l’université. C’est le facteur fondamental sur lequel il s’est basé pour décocher son offensive contre la politique, si on peut ainsi s’exprimer. Cependant, il reste dans son dialogue, ce fervent adepte de l’esprit académique, liant les causes aux effets, avant d’exprimer ses opinions et de prendre position envers les problèmes de l’heure.
PROBLÈME DE NIVEAU DE VIE
Rappelons qu’il avait assumé pendant un certain temps la présidence
de la Caisse nationale de Sécurité sociale. A ce titre, nous
lui demandons d’établir un parallèle entre la question sociale
telle qu’elle se présentait autrefois et aujourd’hui, d’autant qu’il
dispose d’un projet visant à améliorer les prestations de
la CNSS.
“Je voudrais, dit-il, faire une simple rectification. La question sociale
n’a jamais été absente de mes préoccupations, depuis
le temps où j’ai commencé ma vie professionnelle en tant
que membre du Barreau; puis, que chef du contentieux à la CNSS en
1965. Et même après avoir cessé d’exercer mes charges
en tant que président du conseil d’administration de la CNSS.
“Cet intérêt que je porte à la question sociale
a été la plus importante des motivations qui m’ont incité
à poser ma candidature aux élections législatives
de 1996.
“Pour revenir à votre question, je tiens à mentionner
que je suis optimiste par nature, essayant toujours de voir l’aspect positif
et non négatif des choses. En dépit de la crise socio-économique
dont pâtit le Liban qui est, à mon avis, la conséquence
naturelle des années de guerre; cette crise, dis-je, n’y a échappé
à ma connaissance, aucun pays s’étant exposé comme
le nôtre à une guerre civile destructrice. Qu’il s’agisse
d’un grand pays comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne; ou
petit comme la Bosnie-Herzégovine, l’Irlande et d’autres.
“Partant de là, il n’est pas permis d’établir une comparaison
entre la situation sociale, telle qu’elle était avant la guerre
et ce qu’elle est aujourd’hui.
“Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que la situation est sombre au
point que d’aucuns l’imaginent ou veulent nous la décrire. Le véritable
problème social actuel, comme nous l’a exposé l’un des experts
les mieux versés dans les questions sociales, est celui du niveau
de vie et non de vie dans l’absolu.
BAISSE DU NIVEAU DE VIE
“Le Libanais pâtit, maintenant, d’une baisse dans son niveau
de vie, par rapport à ce qu’il en était avant et durant la
guerre, dans une certaine limite.
“Cependant, on ne peut ignorer certaines questions fondamentales, telle
la possibilité pour les citoyens de s’approprier les appartements
où ils résident, d’assurer leur hospitalisation aux frais
du ministère de la Santé ou d’inscrire leur progéniture
dans les écoles publiques dont le niveau ne cesse de s’améliorer.
Il en est de même par rapport à l’université libanaise,
sans perdre de vue l’amélioration de certaines prestations sociales,
en ce qui concerne les allocations familiales, les indemnités de
transport, les bourses scolaires notamment.
“Tout cela me porte à me poser la question ci-après:
la situation sociale est-elle, aujourd’hui pire que ce qu’elle était
avant ou même durant la guerre? Les chances étaient-elles
plus disponibles avant la guerre dans la même proportion qu’à
l’heure actuelle?
“Une mauvaise situation permettrait-elle l’intégration d’un
tel nombre d’ouvriers étrangers qui affluent au Liban pour s’assurer
un revenu alléchant et respectable?”
PARALLÈLE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET
CULTUREL
- Voulez-vous dire que la situation est meilleure aujourd’hui que
précédemment?
“Je n’ai pas dit cela dans l’absolu. J’ai précisé que
nous pâtissons, aujourd’hui d’un problème de niveau de vie.
En fait, le niveau de vie de la classe moyenne et spécialement,
de la classe modeste, a baissé d’une manière palpable. Mais
cela ne suffit pas, à mon avis, pour porter un jugement sur la situation
sociale dans son ensemble. Car celle-ci a connu, comme je l’ai signalé,
une amélioration dans bon nombre de domaines vitaux et une régression
dans d’autres. De sorte que l’évaluation globale n’est pas négative.
“Je crois que la baisse du niveau de vie de la classe moyenne laisse
cette impression quant à la dimension de la crise socio-économique.
“S’il m’est permis d’user d’une comparaison, on peut rapprocher la
situation socio-économique actuelle, de la situation culturelle.
La génération dont je me réclame, excellait dans une
large mesure aux plans des langues, des lettres et des sciences sociales,
alors que la nouvelle génération, laisse à désirer
dans ces domaines de la culture. En revanche, elle excelle mieux que notre
génération dans la technologie moderne, l’informatique, le
computer, l’Internet et l’électronique.
“Peut-on affirmer que la nouvelle génération n’est pas
cultivée ou l’est-elle moins que la nôtre? En fait, elle bénéficie
d’une culture différente de celle dont nous étions fiers.”
QUI EST RESPONSABLE?
- Qui est donc responsable de la baisse du niveau de vie?
“Si je veux être réaliste, objectif et équitable,
je dirai que le principal responsable est la guerre dont nous n’avons ressenti
les séquelles économiques et sociales qu’après sa
fin.
“Mais il ne fait pas de doute que la politique sociale et économique
suivie depuis la fin des douloureux événements, supporte
une grande part de cette responsabilité. Il est regrettable de dire
que cette politique manque d’une conception globale et complémentaire,
comme d’une planification aux objectifs clairs.
“On sait qu’il n’y a pas de politique sans une telle planification
définissant les buts à atteindre. Ici me revient à
l’esprit une expression célèbre consignée dans les
“Mémoires” du général de Gaulle qui constitue en elle-même
un programme de travail: Je me suis toujours fait une certaine idée
de la France.
“Pouvons-nous dire qu’il existe chez nous, aujourd’hui, par rapport
à la politique sociale et économique, une idée directrice
orientant cette politique et en déterminant les objectifs? Ou bien
improvisons-nous chaque fois qu’émerge un problème social,
en lui recherchant des solutions momentanées sans le résoudre
d’une manière radicale?
“C’est l’une des causes principales en plus de la guerre, à
la crise actuelle dont on ne peut sortir avec des moyens improvisés.
Cette dernière ne peut être réglée que par une
planification élaborée sur la base d’une conception globale
claire, par des économistes et des sociologues connus pour leur
compétence et leur longueur de vue, non par des personnes respectables
mais non versées dans ces deux domaines.”
“LA VÉRITÉ VOUS LIBÈRERA”
- La question des libertés est posée actuellement
avec acuité et des voix s’élèvent appelant à
leur défense. Auriez-vous une conception déterminée
à ce propos?
“Pour répondre à cette question, je commence par évoquer
une parole du Christ qui a dit: “Aimez la vérité et la vérité
vous libèrera.”
“A mon avis, il n’y a de vérité véritable que
celle qui émane de la vérité et donne à chacun
son dû, reconnaissant les positivismes et dénonçant
les négativismes. Je suis connu pour être non seulement un
fervent partisan des libertés, mais un “amoureux de la liberté”
et je ne conçois pas qu’on puisse vivre sans elle.
“Cependant, il faut distinguer entre les libertés et ne pas
les placer toutes dans la même case. On ne doit pas, surtout, en
faire un mauvais usage, faute de quoi on aurait tendance à crier
avec Mme Roland, épouse du célèbre révolutionnaire
français: “Liberté, liberté, que de crimes on commet
en ton nom.”
“Les libertés sont nécessaires, à condition d’en
user à bon escient. Il importe aussi d’établir une distinction
entre les libertés civiles et politiques. Si elles sont toutes importantes
et nécessaires, il va sans dire que les premières ne tolèrent
aucune condition, ni restriction. Alors que les secondes sont astreintes
d’office à la loi et ne doivent pas porter atteinte à la
paix civile.
“Il faut éviter l’abus de droit... Il s’agit de la manière
saine d’user de la liberté avec bonne foi, sinon elle dévie
de son objectif, si on l’utilise à des desseins inavouables.”