A la question: “Où se tient le président Khatami entre
le courant de l’ayatollah Hussein Ali Montazeri qui veut reconsidérer
les prérogatives de la “dignité d’Al-Fakih” (théologien)
et le courant des conservateurs acquis au guide de la révolution,
Ali Khaménei?”, M. Rahjavi commence par adresser un salut au peuple
libanais qui entreprend la bataille de la reconstruction “dans ce Liban
qui a été de tout temps un modèle exceptionnel de
tolérance religieuse et de pluralisme.”
Avant de répondre à ma question, il évoque des
faits historiques et aboutit à la conclusion ci-après: “Depuis
la mort de Khomeyni, le régime actuel a perdu son équilibre,
car il est devenu sans tête. Avant le décès de Khomeyni,
quand il a approuvé la résolution internationale 598 proclamant
le cessez-le-feu avec l’Irak, il a été contraint d’y souscrire
sous la pression des feux croisés de la résistance iranienne,
considérant que son approbation de ladite résolution équivalait
à ingurgiter du poison.
“Le régime iranien a perdu sa raison d’être quand il a
été forcé d’arrêter la guerre, d’autant qu’il
comptait sur l’aventure extérieure et la répression intérieure
pour se maintenir en place. Ce régime n’a pas sa place dans le dernier
quart du XXème siècle. Il s’est emparé du pouvoir
dans des circonstances internationales déterminées, à
la faveur de la guerre ayant opposé, alors, les deux superpuissances,
lorsque le chef du Département d’Etat de l’époque, Brezinsky
a préconisé la formation d’un cordon islamique autour de
l’Union soviétique.
LE RÉGIME DÉCAPITÉ SANS
KHOMEYNI
“Après le décès de Khomeyni, le régime
de Téhéran s’est senti orphelin. Aussi, s’est-il empressé
d’élever Khaménei, homme de religion de la quatrième
catégorie, au niveau du Fikh, (théologie musulmane), alors
qu’il n’est pas habilité à assumer cette charge.
“De profondes divisions se sont produites au sein du régime
et Rafsandjani a avoué, dernièrement, avoir préconisé
la mise sur pied d’une “administration collective” de trois personnes.
Cela signifie que le régime s’est scindé en trois fractions.
“Entre-temps, la guerre du Koweit a éclaté, ce qui a
permis au régime iranien de se renflouer et de dépasser ses
divisions internes. Après la guerre irako-koweitienne et parce que
la direction iranienne était incapable de diriger un pays ayant
l’importance géo-stratégique de l’Iran, la situation socio-économique
s’est dégradée, la résistance iranienne ayant du même
coup acquis une dimension et une portée supplémentaires.
“Mais les dissensions ont rejailli de nouveau et dans ce climat enfiévré,
le Guide suprême a demandé au président Rafsandjani
de veiller à la cohésion et à l’unité du régime
comme au temps de Khomeyni. Pour cela, il fallait freiner toute velléité
de réforme ou de libéralisation, parce que cela était
dangereux. Il lui a, également, demandé d’adopter les positions
les plus radicales, mais Rafsandjani a fait montre de réserve à
ce sujet. A ce moment, Khaménéi a décidé de
s’en séparer. Et là était l’erreur, car les deux hommes
se complétaient, l’un ne pouvant survivre sans l’autre”.
La “dignité D’AL-FAKIH” AU-DESSUS DE
LA CONSTITUTION
- Mais le président Rafsandjani ne pouvait pas, constitutionnellement,
aspirer à un troisième mandat...
“Croyez-moi, ce régime ne se préoccupe nullement de respecter
la Constitution. Khaménéi après Khomeyni, a déclaré
publiquement à plusieurs reprises que la “dignité d’Al-Fakih”
(théologien) est au-dessus de la Constitution. Partant de là,
le guide de la révolution aurait pu réviser la Constitution,
comme Khomeyni l’avait fait avant sa mort, afin de permettre à Rafsandjani
d’accéder à la présidence, après avoir supprimé
le poste de Premier ministre.
“Par la suite, Khaménéi n’a pas disposé de la
majorité au sein de l’instance dirigeante du régime, parce
qu’il ne jouit pas des qualifications requises. A la suite du décès
de l’ayatollah Araki en 1994, le Guide suprême de la révolution
a essayé, vainement, de se poser en autorité supérieure.
N’ayant pas réussi, il s’est présenté en tant que
leader des chiites en dehors de l’Iran.
“Mais les dissensions ont éclaté au grand jour et revêtu
un cachet grave. La société iranienne a commencé à
réagir, les premiers soubresauts s’étant déclarés
en 1992 dans les villes de Mach’had, Arak et Chiraz. Des protestations
ont fusé partout que les autorités ont réprimées
dans le sang. En 1994, des manifestations ont eu lieu dans la ville de
Kazwine, à 150km au nord-est de Téhéran et se sont
soldées par plusieurs tués et blessés.
EXTENSION DE LA VAGUE PROTESTATAIRE
“En 1995, la vague protestataire s’est étendue au sud de Téhéran
où le régime a son centre vital. Ce dernier a eu recours
aux hélicoptères pour mater ce qu’il avait appelé,
alors, “le sursaut de cent jeunes” ayant protesté contre le relèvement
du prix de l’eau et se réclamant de la classe pauvre. Pourtant,
ceux-ci étaient censés former la base sociale du régime
de Khomeyni.
“Ceci a poussé le parlement à ratifier une loi autorisant
l’usage des armes à feu contre les protestations et les manifestations,
même de caractère pacifique. De plus, les antennes paraboliques
ont été interdites en vertu d’une loi promulguée au
mois d’avril 1995.”
- Où se situe le président Khatami entre le courant
réformateur de Montazeri et le courant conservateur du Guide suprême
de la révolution?
“L’ayatollah Montazeri et d’autres que lui ont profité des élections
législatives pour élever la voix, réclamant le changement
et dénonçant la dignité d’Al-Fakih. Khaménéi
a déclenché une contre-offensive contre les ayatollahs Al-Azmi,
Azri, Qommi, Chirazi, Rouhani, Tabtabahi et Montazeri, celui-ci étant
la plus haute autorité spirituelle dans la république islamique.
LE RÉGIME DANS L’EMBARRAS
“Pour la première fois dans l’histoire, le turban d’un dignitaire
chiite de ce haut rang a été brûlé, après
la destruction de la maison de Montazeri dont la bibliothèque a
été incendiée. Lui-même a été
l’objet de voies de fait. Né à Najaf Abad non loin d’Ispahan,
il réside à Qom; c’est le maître de Khaménéi,
de Rafsandjani et l’un des piliers du régime en place.
“Comment un régime religieux peut-il traiter de la sorte une
instance de ce niveau? Ceci prouve l’embarras dans lequel vit le régime.
En s’attaquant à Khaménéi, Montazeri se proposait
de se ranger du côté de Khatami, mais celui-ci a pris le parti
du Guide suprême.
“Fait à signaler: Abdallah Noury, ministre de l’Intérieur
de Khatami qui assumait ces mêmes charges sous Rafsandjani, reçoit
toujours les instructions de Khaménéi et non du nouveau chef
de l’Etat, lequel ne peut pas assurer sa propre sécurité,
plus de quatre mois après son entrée en fonctions. Dans un
discours prononcé au parlement, il a dit que “les libertés
étaient maintenues sous le plafond de la dignité d’Al-Fakih
et la pensée islamique”, c’est-à-dire de l’intégrisme
islamique.
“En Occident, on cherche à enjoliver l’image de Khatami, pour
justifier une tentative d’approche de Téhéran croyant que
le nouveau président iranien est un libéral et un modéré
connu pour son esprit d’ouverture.
KHATAMI INCAPABLE D’AGIR
“Or, depuis son élection, non seulement rien n’a changé
en Iran, mais la situation n’a cessé de se dégrader. On y
a enregistré soixante-cinq exécutions, soit trois fois plus
que le nombre des exécutions survenues durant la période
correspondante de 1996. De plus, vingt-cinq Kurdes iraniens ont été
assassinés. La veille de l’ouverture du VIIIème sommet islamique,
des centaines de femmes ont été interpelées pour avoir
pris part à une manifestation organisée à l’occasion
d’une rencontre de football.
“Il y a deux jours, des mères de martyrs ont été
appréhendées au cimetière de “Bahchat Az-Zahra” dans
la capitale. Au sommet islamique, les observateurs ont constaté
que les positions de Khaménéi n’avaient pas changé
d’un iota. Naturellement, Khatami a tenu un discours différent,
mais il ne dispose d’aucune autorité et il lui est loisible de dire
ce qu’il désire.”
RAFSANDJANI, UN “STRATÈGE POLITIQUE”
- Où en est la position de Rafsandjani envers les forces
et les pôles d’influence?
“Rafsandjani est un “stratège politique” de premier plan et
a été le NÞ2 sous le régime de Khomeyni. Il
mène un jeu complexe, essayant de satisfaire en même temps
Khaménéi et Montazeri. Dans un discours prononcé il
y a quelques jours, il a dit que Khaménéi ne dispose pas,
en réalité, de la connaissance requise pour être une
instance traditionnelle.
“Khaménéi a avoué ne pas ambitionner d’assumer
ce rôle, en répétant que la “dignité d’Al-Fakih”
est l’épine dorsale du régime. Aussi, insiste-t-il en vue
de la maintenir, car les “Moujahidine Khalkh”, nous attendent au tournant.
Il nous faut donc, dit-il, nous attacher à cette dignité.”
- Le président Rafsandjani vient-il, vraiment, en seconde
position avant le président Khatami du point de vue de l’influence
et du poids politique?
“Effectivement, c’est le second homme du régime après
Khaménéi et de loin avant Khatami. Aucun parallèle
ne peut être établi entre Rafsandjani et Khatami, l’erreur
de Khaménéi ayant consisté à se séparer
de Rafsandjani. Il l’a reconnu par la suite, aussi a-t-il élargi
les prérogatives du conseil que préside l’ancien chef de
l’Etat. Celui-ci n’aspire pas, uniquement, à être le NÞ2
du régime, mais d’en être le NÞ1. Mais son problème
réside en ce qu’il ne peut être “Hojatolislam.”
RÉGIME DE LA RÉPRESSION
- Certains hauts dignitaires ne reconnaissent pas le “mandat de
Khaménéi”. Mais on ne détecte pas un courant ayant
une personnalité ou une identité claires, capable de s’imposer
au nouveau de l’institution religieuse...
“Il n’existe pas jusqu’ici un tel courant, c’est exact. Cependant,
les choses bougent vers la concrétisation d’un tel courant. Le régime
réprime avec force. Un adage dit: “Les musulmans sont tombés
d’accord pour ne pas s’entendre”. Et la Constitution iranienne stipule
que “Al-Wali Al-Fakih” doit être le plus instruit et le plus pieux.
Rafsandjani lui-même a reconnu que Khaménéi a le minimum
de savoir et d’expérience.
“Quant à Azri Qommi, il soutient que Khaménéi
ne peut être pieux, parce qu’il a couvert des événements
sanglants et il doit en payer le prix. Il sait, aussi, que beaucoup d’hommes
de religion sont hostiles au Guide suprême mais n’osent pas se manifester,
parce qu’ils craignent pour leur vie.
“Azri Qommi était membre du conseil des sages et le fondateur
du journal “Risalâte”, porte-parole des conservateurs. Il était
l’un des plus fervents adeptes de Khomeyni et après la mort de ce
dernier, il s’est prononcé en faveur d’un mandat absolu d’Al-Fakih.
Aujourd’hui, il s’en prend au Guide suprême et le défie en
ces termes: “Vous pouvez me déférer devant la Justice, mais
cela ne m’empêchera pas de dire ce que je veux. Vous n’êtes
pas apte à être un Wali.” C’est le summum du défi,
n’est-ce pas?”.
CLIMAT PROPICE AU CHANGEMENT
- Jusqu’où peut aller cette vague de mécontentement,
l’Iran ayant été le théâtre de grandes manifestations
protestataires?
“Comme au temps du chah, les manifestations et les protestations n’ont
rien changé. L’armée nationale se doit d’intervenir au moment
opportun à l’effet de soutenir le mouvement protestataire, d’autant
qu’il existe actuellement, un climat propice au changement.
“Des manifestations monstres ont eu lieu, dernièrement, auxquelles
ont participé non moins de cent mille personnes, ainsi que l’a signalé
le jour-nal “Le Monde”. Les forces de l’ordre ont tenté de séparer
les hommes des femmes, mais près de cinq mille manifestantes ont
investi les stades de football à Téhéran, plusieurs
d’entre elles n’ayant pas porté le tchador. Le Pouvoir est incapable
d’imposer par la force sa conception de la manière d’appliquer les
lois et règlements en vigueur et tout le monde le sait.”
- A quoi cela est-il dû d’après-vous?
“Il existe à Téhéran trois gouverne-ments: l’un
est dirigé par Khaménéi, son ministre des Affaires
étrangères étant Wilayati que le Guide suprême
a nommé en tant que “conseiller diplomatique”, ses prérogatives
étant plus larges que celles de Kamal Khérazi, ministre en
titre des A.E.
“Rafsandjani préside le second gouvernement qui a ses hommes,
son mécanisme et ses attributions. Enfin, le troisième Cabinet
est celui de Khatami.
“De même, les “Pasdaran” et les “Passige” (volontaires) sont
divisés et se répartissent entre les trois gouvernements.
AUGMENTATION DE LA RÉPRESSION
“Quant au ministre de la Défense, Chamkhani, il est l’homme
de Khaménéi, ainsi que Safoui, chef de la garde révolutionnaire,
mais la règle ne s’applique pas à leur encontre. Ceci explique
la destitution de 127 officiers supérieurs des “Pasdaran” et Mohsen
Radaï qui a dirigé pendant seize ans le “parti révolutionnaire”,
a été renvoyé, parce que l’aide fondamentale de la
“garde” a pris sa distance de lui. Il l’a avoué dans une longue
interview accordée au journal “Salam” ayant couvert trente-six pages.
“D’après une étude statistique que nous avons effectuée,
il apparaît que 93 pour cent des effectifs de la “garde révolutionnaire”
avaient des motivations religieuses au début du règne de
Khomeyni. Cette proportion a considérablement baissé maintenant.
Cela prouve que Khamenéi n’a plus la situation bien en main, d’où
l’augmentation de la répression.
“Notre mouvement profite de cet état de choses. De fait, nous
avons renforcé nos réseaux dans 280 grandes villes logistiques.
Au cours des seize derniers mois, nous avons entrepris 620 opérations
militaires à l’intérieur de l’Iran, plus précisément
à Ispahan, dans les zones nord et est situées à deux
mille kilomètres des frontières irakiennes.
“Depuis l’élection de Khatami, la fréquence des manifestations
et des mouvements protestataires a augmenté et nous agissons en
vue de les attiser sous différentes formes. Ceci a permis à
certains ayatollahs d’élever la voix, car Montazeri et Azri Qommi
avaient les mêmes idées au cours des dernières années,
mais se sont abstenus de les proclamer publiquement. Ils sont persuadés,
à présent, que la société iranienne est mûre
pour les admettre. Le fruit est donc mûr et, fait étrange,
ce régime qui a œuvré pour déstabiliser l’Egypte,
l’Algérie et les pays du Golfe, souffre aujourd’hui de l’instabilité.”
LA PARTICIPATION AU VIIIème SOMMET ISLAMIQUE
“Les pays ayant pris part au VIIIème sommet islamique de Téhéran,
l’ont fait pour exprimer leur réserve à propos de la politique
américaine dans la région, non pour légaliser le régime
iranien; le prince héritier Abdallah d’Arabie séoudite était
suffisamment clair à ce sujet, quand il a déclaré:
“L’Islam est la religion de la modération et de la tolérance”,
tout en dénonçant le terrorisme pratiqué au nom de
cette religion.”
- Le fait pour votre commandement d’avoir établi son Q.G.
en Irak n’affecte-t-il pas votre crédibilité?
“Pas du tout. En 1983, les conditions sur base desquelles un arrangement
allait être approuvé entre l’Irak et l’Iran étaient
fin prêtes, mais Khomeyni les a rejetées. En janvier de la
même année, mon frère Massoud Rahjavi a rencontré
à Paris Tarek Aziz, vice-président du Conseil irakien à
la demande de ce dernier qui a agréé nos conditions de paix.
Celles-ci assuraient une paix globale et équilibrée, garantissant
les intérêts iraniens. Ce plan a été agréé
par les Iraniens dans leur écrasante majorité, dès
qu’ils en ont eu connaissance. Mon frère Massoud s’est rendu pour
la première fois à Bagdad afin de sauver les otages français
et a signé avec le président Saddam Hussein un communiqué
en vertu duquel les deux parties respectaient l’indépendance l’une
de l’autre et s’interdisaient de s’immiscer dans leurs affaires intérieures.
“Nous ne transigeons pas sur nos principes. Je vous révèle
que nous avons fait échouer cent vingt opérations terroristes
que le régime iranien a planifiées contre nous l’an dernier.
En revanche, nous avons fait subir d’importantes pertes en vies humaines
dans les rangs de la “garde de la révolution” au cours des opérations
que nous avons accomplies.”
NOUS N’ENTRETENONS PAS DE RELATIONS AVEC ISRAËL
- Certains milieux du régime de Téhéran vous
accusent d’entretenir des relations avec Israël; est-ce exact?
“Nous n’établissons aucune relation avec l’Etat hébreu.
Mais nous ne sommes pas contre le peuple juif et œuvrons en faveur de l’amitié
entre les peuples, sur base du respect mutuel. Nous sommes un mouvement
indépendant ayant des missions représentatives dans quarante-quatre
pays. Nous avons de larges contacts en Europe et aux Etats-Unis. Notre
armée compte des dizaines de milliers d’hommes bien entraînés,
ayant foi dans les objectifs que notre mouvement veut atteindre.
“Le régime de Téhéran nous avait accusés
d’être des agents à la solde du KGB ou de la CIA. Fait curieux,
le premier à avoir réclamé la tête de mon frère
Massoud en France, fut le secrétaire du général du
parti communiste iranien (Toudeh); il a même réclamé
son expulsion du territoire français.
“Puis, le département d’Etat US a publié, dernièrement,
par complaisance pour le régime iranien, un rapport contre les “Moujahidine
Khalk”. Nous avons répliqué à ce rapport dont l’importance
réside en ce qu’il constitue une réponse convaincante à
ceux qui nous accusent de coopérer avec certains services de renseignements
étrangers. Le rapport du département d’Etat nous a rendu
notre dignité tout en confirmant notre indépendance.”