Le
Jour de l’An, ce n’est pas seulement l’occasion de festoyer et de présenter
des vœux. On nous a habitué, dès l’enfance, à méditer
sur ce passage du cap de l’année en nous livrant à un exercice,
celui des bilans. Une espèce d’examen de conscience.
Les hommes d’affaires, les chefs d’entreprise dressent, annuellement,
leur bilan de gestion. En revanche, les responsables de l’Etat, les hommes
politiques évitent généralement ce genre d’obligation.
Ils laissent ce soin aux journalistes qui ne sont pas nécessairement
qualifiés et se contentent de quelques notations approximatives,
comme “pour mémoire”.
Qu’est-ce qu’un bilan? Deux colonnes: actif et passif. Dans le domaine
de la gestion de l’Etat, il s’agirait de comparer par quoi l’année
écoulée a été marquée de positif et
de négatif. En somme, de mesurer progression et régression.
Là-dessus, les critères diffèrent selon qu’on est
au pouvoir ou qu’on est à l’opposé.
L’objectivité, en ce domaine, est difficile, sinon impossible.
Un bilan politique ne ressemble en rien à celui d’une gestion industrielle.
C’est pourquoi il est peut-être heureux que les détenteurs
du pouvoir évitent cet exercice périlleux et se contentent
d’échanger des vœux de circonstance. C’est ce qu’on appelle la trêve
des confiseurs. Cela ne devrait pas leur interdire de se livrer à
un examen de conscience (pour ceux, du moins, qui en ont).
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Par Solidère interposé, M. Hariri nous a fait toucher
du doigt les progrès des travaux de construction du centre-ville.
Et il peut, en outre, en sa qualité de chef du gouvernement, souligner,
comme d’habitude, les témoignages de confiance de plusieurs gouvernements
étrangers dans l’avenir du Liban. C’est bon à prendre; mais
sur tout le reste, silence.
M. Bouez, pour sa part, ne cache pas son scepticisme, sinon son pessimisme,
en ce qui concerne le processus de paix.
Quant à M. Sanioura, condamné à soutenir un budget
d’austérité très discutable et très discuté,
il ne peut plus occulter l’augmentation de la dette publique. Le bilan
financier de l’Etat est indiscutablement négatif.
Est-ce qu’il y a progrès dans le domaine du développement
économique? Rien n’est moins sûr. On ne parle que d’investissements
improductifs.
Est-ce qu’il y a progrès dans la solution du problème
des déplacés? M. Joumblatt dit que ses caisses sont vides.
C’est la panne. En conséquence, plusieurs villages de la montagne
ne pourront pas élire leur conseil municipal. Sept ans après
Taëf, c’est tragique.
Dans le domaine de l’information, de l’audiovisuel ou du respect de
la liberté d’opinion, les crises sont devenues cycliques.
Nous disposons de plus d’électricité et davantage de
lignes téléphoniques; mais le fonctionnement des services
postaux n’a fait aucun progrès. Il n’y a toujours pas de distribution
du courrier, ni de boîtes à lettres dans les rues. L’Etat
libanais, héritier du peuple qui a inventé l’alphabet, semble
vouloir nous faire renoncer à la civilisation scripturale pour tabler
sur les techniques modernes de communication spatiale. C’est le progrès
sur fond de régression intellectuelle.
Les problèmes sociaux ne remuent que M. Elias Abou-Rizk (et
le cheikh Toufayli).
On organisera des élections municipales. C’est promis, c’est
juré. Pourra-t-on, à cette occasion, en 1998, marquer un
progrès dans la pratique de la démocratie? Personne ne peut
encore l’affirmer (sauf bien sûr M. Murr qui tient bien son rôle);
il sera toujours temps, le moment venu, de le mesurer. En attendant, on
peut s’inquiéter de la possibilité pour les nouveaux conseils
municipaux, une fois installés, de disposer des moyens de régénérer
leurs services. L’élection, si elle est libre et régulière,
serait en tout cas, un pas en avant.
Sur cette petite note d’espoir, on peut franchir prudemment le cap
de l’An nouveau.
***
De cette énumération sommaire d’un certain nombre de problèmes
gouvernementaux, on peut déduire seulement qu’un bilan dans le sens
strict du terme est impossible. Mais en matière de gestion politique,
ce qui compte finalement, c’est le sentiment public. Or, il va de mal en
pis.
Ce sentiment se traduit par un malaise persistant, voire aggravé
d’année en année, une inquiétude, une impatience,
en un mot un manque de confiance.
M. Hariri ne semble pas pouvoir le comprendre. Pour lui, c’est injuste.
Il s’est donné à fond pour remettre le pays sur rails; il
a fait le maximum sur le plan monétaire et sur celui des infrastructures
techniques; il n’a pas ménagé ses efforts pour resserrer
nos liens avec de nombreux pays et pour nous redonner une place sur le
plan international.
Et pourtant!... En ce début d’année 1998, est-ce que
les Libanais font toujours confiance à ce gouvernement? Là-dessus,
il appartient à M. Hariri, à défaut d’une majorité
parlementaire crédible, de dresser ses propres bilans, selon des
critères objectifs dont il peut seul disposer et de se livrer à
d’utiles méditations. Personne ne peut se substituer à lui
pour cet exercice. Quant à espérer qu’il nous ferait part
de ses conclusions, ce serait croire qu’un homme qui détient le
pouvoir y renoncerait quand rien ne l’y accule.
M. Hariri, ou l’Etat dans ses trois volets, est content de lui-même...
mais mécontent des Libanais.
Trouver le moyen de les réconcilier, telle est la question à
laquelle on attend une réponse depuis un certain nombre d’années
déjà. Mais qui donc est pressé?... |
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