ALGERIE :
HORREUR DES MASSACRES SANS NOM ET SANS VISAGE
Un des nombreux rescapés des dernières tueries.
Les rescapés du plus effroyable massacre perpétré depuis 1992, n’en finissent pas de raconter les horreurs dont ils ont été les témoins désespérés au cours de la longue nuit du 30 au 31 décembre dans trois hameaux de Relizane, à 300 kilomètres à l’ouest d’Alger.
Sous leurs yeux, leurs enfants, épouse, père, mère, frères, sœurs, viscéralement liés à leur chair et à leur esprit, ont été dépecés à la hache, égorgés de sang-froid, sauvagement mutilés. Ils ne comprennent pas l’incroyable cruauté dont ils ont été victimes, isolés, sans secours, livrés à une terreur primitive, venue du fond des âges.
AVEU D’IMPUISSANCE OU DE COMPLICITÉ?
Comment se fait-il que tout cela se produise sans que les autorités déploient en force leurs effectifs armés, pour protéger les populations civiles qui doivent souvent choisir entre l’exode forcé et la mort atroce? “On ne peut pas mettre un militaire derrière chaque citoyen”, déclare le général Abdel-Rahman. Aveu d’impuissance ou de complicité dans un pays qui s’étend sur 2.380.000 kilomètres carrés? Un nouveau “Ramadan sanglant” a endeuillé le pays après une période de calme relatif et que l’on redoutait vivement après les dures expériences de 1995 et 1996. Celui-ci a dépassé en horreur tous ceux qui l’ont précédé depuis l’annulation, début 92, des élections remportées par le FIS et qui ont engendré des cycles quasi ininterrompus de violence faisant entre 60.000 et 80.000 morts. A Relizane, le chiffre officiel des massacres du début du Ramadan était d’abord porté à 78. On a pu déplorer le sort des victimes et de toutes celles innocentes qui les avaient précédées. Mais voici qu’éclate, quelques jours plus tard, l’effroyable réalité et que sont visités les rescapés dans les hôpitaux. Le chiffre-record monte alors à 412, jamais atteint en une seule nuit. Il atteste le déplacement de la guérilla vers l’ouest du pays, jusqu’aux frontières du Maroc, sans doute pour desserrer l’étau qui encercle les groupes islamiques armés dans la Mitidja où se déroulaient le plus grand nombre de massacres. Comment recevoir le choc des chiffres sans s’étonner de l’attitude, des autorités algériennes, fières d’avoir bouclé le cycle constitutionnel avec l’élection et la désignation du Sénat, mais ayant sous-estimé la puissance de nuisance des GIA? Ceux-ci ne sont pas les seuls impliqués. D’aucuns soupçonnent l’armée qui incite les citoyens à prendre parti, à choisir leur camp; d’autres soulignent la guerre des clans au sein des villages et les conflits armés entre GIA et AIS, branche armée du FIS, qui avait annoncé le 1er octobre une trêve unilatérale sur le terrain. Et, aussi, une stratégie sournoise afin de vider des terrains de leurs habitants, notamment dans la plaine de la Mitidja où un projet de privatisation des terres est en vue.
Patrouille des forces de police au marché de Badjarah dans un faubourg d’Alger.
“APPEL À LA VIGILANCE”
A la veille du Ramadan, toutefois, les autorités ont multiplié les “appels à la vigilance”. Des indications, reprises par la plupart des journaux, ont sollicité la collaboration des citoyens. “Le terrorisme menace les citoyens dans leur vie et leurs biens. La vigilance de tous est le meilleur moyen d’assurer la sécurité de chacun. Prêtez-vous avec discipline aux contrôles (...) Votre devoir est de signaler à la police et à la gendarmerie tout individu ayant un comportement suspect”. D’autre part, le ministère de l’Intérieur a mis en garde contre de “possibles infiltrations des GIA dans Alger” et interdit tout stationnement de véhicules dans les lieux publics, invitant “les usagers de la voie et des lieux publics (à se tenir) loin des poubelles et des véhicules abandonnés dans la rue, dans un fonds de commerce, dans une salle de spectacle, etc...” Quant aux villageois, il leur a été conseillé, plus d’une fois, de “prendre les armes individuellement, de se regrouper et d’armer un groupe de jeunes ou de déménager et rejoindre les villes.” Conseils qui laissent perplexe et creusent un abîme entre la satisfaction affichée par les autorités et la cruelle réalité dans ce vaste pays où plus d’une question reste sans réponse et où aucune réponse ne justifie, d’une part l’impuissance des autorités; d’autre part, le mutisme ou la timidité de la communauté internationale confrontée aux “affaires intérieures” d’un pays où les massacres doivent cesser d’une façon ou d’une autre. Le 8 janvier, le président Zéroual intervient auprès de la Chambre des députés et de l’assemblée du Sénat réunis pour la première fois. Saura-t-il rassurer face au “génocide de son peuple”?
N.B. La communauté internationale a, enfin, réagi à la suite des massacres de Relizane. L’Union européenne a condamné la “sauvagerie” de ces tueries, proposé une aide aux victimes et l’envoi sur place d’une troïka composée du Luxembourg, de la Grande-Bretagne et de l’Autriche. La Maison-Blanche a recommandé la constitution d’une commission d’enquête internationale. Quant à la France, elle a invité Alger à protéger les civils et à engager une véritable démocratisation au pays. Ce qui a été fort mal perçu par les autorités algériennes.