M. Najah Wakim, député de Beyrouth, a été
l’élément capital ayant déclenché cette crise,
le bouillant parlementaire s’étant signalé jusqu’ici par
ses prises de position hostiles au gouvernement et, spécialement,
à son chef, Rafic Hariri.
Le fait pour la LBCI d’avoir annoncé pour dimanche dernier,
la diffusion d’une interview de M. Wakim, a suscité une réaction
en chaîne auprès du Premier ministre et de sa coterie, pareille
à celle qu’avait provoquée, précédemment, l’interview
du général Michel Aoun interdite à l’antenne de la
MTV, bien que le chef de l’Etat s’était prononcé en faveur
de la retransmission des déclarations du Général.
En ce qui concerne l’interview du député de Beyrouth,
les présidents Hraoui et Berri ont eu gain de cause, puisque M.
Wakim a pu paraître sur le petit écran de la LBC, dont l’audimat
est monté en flèche, l’écrasante majorité des
téléspectateurs ayant été poussés à
y assister avec d’autant plus d’intérêt que la question des
libertés était en jeu.
HRAOUI ET BERRI CONTRE L’INTERDICTION DE L’ÉMISSION
PAR SATELLITE?
Le ministre de l’Information, Bassem Sabeh, a tenté de minimiser
l’importance de l’événement, arguant que ce dernier était
du ressort du Conseil national de l’audiovisuel avec lequel il a conféré
longuement, ainsi qu’avec la commission de suivi.
Puis, il a rendu compte de la teneur de ses concertations à
ce sujet au chef du gouvernement auquel il aurait conseillé, dit-on,
de présenter au Conseil des ministres une proposition prévoyant
l’abolition de la censure préalable sur l’émission, par satellite,
des programmes politiques télévisés.
Par la suite, on devait apprendre qu’une telle proposition n’a jamais
effleuré l’esprit de M. Hariri. La veille du jour (mercredi) où
devait se tenir le Conseil des ministres afin de statuer sur la question,
les concertations se sont intensifiées, en vue de parvenir à
une solution de moyen terme, de nature à satisfaire toutes les parties.
Au cours de ses échanges de vues avec les chefs de l’Etat et
du Législatif, le président du Conseil n’est pas parvenu
à les convaincre de l’opportunité d’interdire l’émission,
par satellite, des programmes et des nouvelles de caractère politique,
cette émission devant, à son avis, être limitée
à Télé-Liban (la télévision d’Etat).
Lorsque M. Hariri a essayé d’exposer les “négativismes”
pouvant affecter le Liban, “en raison de la confusion au plan de l’émission
par satellite”, les présidents Hraoui et Berri lui ont recommandé
d’étudier cette affaire dans un climat moins passionné, sans
engager le Pouvoir dans des batailles dont il a intérêt à
se passer...
HARIRI IMPERTURBABLE
Toujours est-il, que le président du Conseil a persisté
à plaider en faveur du retrait des licences octroyées aux
stations de télévision, les habilitant à procéder
à l’émission, par satellite, des programmes politiques, arguant
que le Conseil des ministres dispose pleinement de ce droit.
Mais M. Berri lui a conseillé d’y renoncer et d’opter, plutôt,
au renforcement des sanctions contre les stations de TV qui enfreindraient
les dispositions de la loi.
M. Hariri n’a rien voulu entendre et mercredi, il faisait approuver
par le Conseil des ministres une décision interdisant l’émission,
par satellite, des programmes et nouvelles politiques.
Le président Hraoui en a informé le président
Berri, à la faveur d’une communication téléphonique,
dès la fin du Conseil des ministres. Il lui a fait savoir qu’une
suggestion a été proposée en vertu de laquelle toute
station de télévision désireuse de diffuser un bulletin
de nouvelles (politiques), peut retransmettre le journal télévisé
de Télé-Liban...
L’OPPOSITION RÉAGIT...
Les milieux de l’opposition ont vite réagi, en observant que
si le chef du gouvernement a voulu interdire l’émission, par satellite,
des programmes politiques, c’est à cause des répercussions
négatives de ces derniers sur son projet politico-économique,
lequel a des prolongements au double plan arabe et international...
La décision du Conseil des ministres a été prise
par tous les membres du gouvernement présents à la réunion
- à l’exception de deux d’entre eux: MM. Fattouche et Merhèje
qui ont formulé des réserves - celle-ci ayant été
tenue au palais de Baabda et non au palais du gouvernement à Sanayeh.
Les représentants de l’audiovisuel, rassemblés au siège
de la “Voix du Liban”, ont considéré que la décision
ministérielle transgresse le caractère pluraliste du Liban
et affecte son rôle au plan médiatique. Aussi, ont-ils décidé
de maintenir leur réunion ouverte, à l’effet de prendre les
mesures adéquates.
KARAM: UNE DÉCISION GRAVE
M. Melhem Karam, président de l’Ordre des journalistes, a qualifié
la décision du Conseil des ministres “d’extrêmement grave”:
“Tous les moyens d’oppression sont mis en œuvre, a-t-il déclaré,
pour massacrer les libertés, les apprivoiser et les bâillonner.
Ce qui s’est produit, aujourd’hui (mercredi) est extrêmement grave:
le gouvernement a accordé; puis, retiré les licences pour
l’émission, par satellite. Il peut, en conséquence, retirer
les licences octroyées à tous les moyens d’information. Ainsi,
la liberté d’expression est affranchie de toute garantie, une action
étant exercée en vue d’entraver la pratique de toute liberté.
“La Presse écrite, a ajouté M. Karam, accueille avec
inquiétude et méfiance ce qui s’est passé (en Conseil
des ministres) et le considère comme un prélude suspect à
une atteinte à sa liberté, partant d’un prétexte et
de considérations fallacieux, afin d’annihiler toute opposition
et de consacrer l’instauration de l’opinion unique.”
Estimant que la privation des moyens d’information de leur droit à
l’émission par satellite constitue l’élimination de l’un
des remparts de la liberté d’information, il poursuit: “Un pan du
mur protégeant cette liberté s’est effondré, en prévision
de la démolition du mur tout entier. Quels que soient les rêves
ayant motivé cette décision impopulaire, ils ne se réaliseront
pas et se retourneront contre leurs auteurs qui semblent vouloir nager
à contre-courant.
“L’Ordre des journalistes, a conclu M. Karam, définira une position
de nature à fortifier les libertés qui sont un droit naturel
à tous et nous sommes tenus de les défendre. Nous rejetons
ce qui a été décidé et n’abandonnerons pas
nos confrères de l’audiovisuel. Nous les assurons, au contraire,
de notre soutien total. S’ils sont aujourd’hui la cible; demain ce sera
notre tour.”
HUSSEINI: LE CABINET A PERDU LA CONFIANCE DU
PAYS
Le président Hussein Husseini a dénoncé la décision
gouvernementale, disant que le Cabinet Hariri a perdu la confiance du pays.
“C’est un gouvernement chargé, désormais, d’expédier
les affaires courantes.
“Nous devons œuvrer en faveur de la mise sur pied d’un gouvernement
d’union nationale et entreprendre une démarche d’invalidation auprès
des instances judiciaires qualifiées. D’autant que la décision
ministérielle est légalement nulle, parce qu’allant à
l’encontre de la Constitution.”
MM. Nassib Lahoud, Boutros Harb, députés du Metn et de
Batroun, ont abondé dans le même sens, alors que Me Néemetallah
Abi-Nasr, ancien secrétaire de la Ligue maronite, soutient “qu’un
gouvernement craignant l’opinion ne représente pas la volonté
de son peuple.” Il observe que près de 700.000 Libanais qui se sont
expatriés durant les douloureux événements, en plus
des dizaines de millions d’émigrés, attendent impatiemment
les nouvelles et les programmes télévisés émis
par satellite; ils vont être coupés de la mère-patrie.
L’ÉTAT INCAPABLE D’APPLIQUER LA LOI
Cela dit, les observateurs font assumer au gouvernement l’entière
responsabilité de la confusion qui caractérise l’audiovisuel
et le secteur médiatique, en général, parce qu’il
a été incapable d’appliquer les lois régissant ce
secteur et s’est distingué par son cafouillage dans ce domaine particulièrement
important et délicat.
Puis, en se partageant les licences, les gouvernants ont lié
le monde médiatique à leurs intérêts politiques.
Le fait pour le Conseil des ministres d’avoir confié à
une commission ministérielle le soin d’évaluer la situation
au plan médiatique dans un délai de deux mois, laisse prévoir
l’élaboration d’une nouvelle loi sur l’audiovisuel (une de plus).
Puis, la décision gouvernementale, ainsi que l’a souligné
un éminent constitutionnaliste, est illégale, car l’abrogation
des licences accordées en vertu d’une loi en bonne et due forme,
exige une autre loi. “La décision du Conseil des ministres, affirme
le Dr Hassan Rifaï, ne lie que les membres du gouvernement.”
NON AU TOTALITARISME...
Tout cela porte à penser que les réactions négatives
et hostiles à cette décision ne cesseront de s’amplifier,
le gouvernement étant accusé de violer les lois et de porter
atteinte aux libertés publiques.
Il reste un point à trancher: l’idée lancée par
le président Berri préconisant la renonciation par les gens
du Pouvoir à leur part de l’audiovisuel, a-t-elle quelque chance
d’être agréée? On peut en douter, si on tient compte
des échéances de l’année en cours.
Le gouvernement finira-t-il par faire marche arrière, sous l’effet
des coups de boutoir que ne manqueront pas de lui asséner les milieux
parlementaires médiatiques et populaires, à qui il répugne
de voir le Liban - “phare de liberté et de rayonnement culturel”
- régresser au point de revenir au système totalitaire?