MONSIEUR LE PREMIER MINISTRE |
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L’amertume
que laissent transparaître vos dernières déclarations
et vos récents discours est à la fois consternante et injustifiée.
Vous dites être persécuté, harcelé, voire agressé
par les médias qui, quoi que vous fassiez, trouvent le moyen de
vous attaquer, de vous accuser de tous les maux dont souffrent les Libanais.
Vous voyez dans le monde de l’audiovisuel et de la presse écrite
une sorte de jungle peuplée d’animaux féroces, toujours prêts
à vous sauter à la gorge, après avoir passé
leur temps à aiguiser sur vous leurs griffes et leurs appétits.
Le croyez-vous vraiment?
Il semble qu’il y ait à la base de l’idée que vous vous faites des médias une interprétation erronée. Voyez-vous, monsieur le président du conseil, les médias ne sont ni des enfants de chœur, ni des “body-guards”. Leur vocation n’est pas le maniement de l’encensoir et leur vocabulaire n’est pas censé se limiter au mot “amen”. Ils ne sont pas là, non plus, pour servir de boucliers aux stars du pouvoir, ni aux princes régnants. Ils sont - dans leur diversité - les porte-parole des différents courants de l’opinion publique. Ils sont là aussi pour informer et, surtout, pour tenter de ramener au sens des réalités ceux à qui une ascension trop rapide a donné le vertige des hauteurs. C’est tout et ce n’est pas bien compliqué. Quant à croire que les médias vous détestent, le pensez-vous sérieusement? Je suis sûre que non. Car, non seulement les médias ne vous détestent pas, mais vous êtes le rêve de tout journaliste. Qu’aurions-nous pu écrire si vous aviez été un petit homme gris, vivant dans les normes reconnues et admises, respectueux des lois, économe de paroles, corseté de règlements, se déplaçant à pas comptés, économisant des bouts de chandelle? Nous serions morts d’ennui. Alors que haut en couleurs comme vous l’êtes, fonceur, peu soucieux d’interdits et de règlements, entreprenant sur une grande échelle, chaussé de bottes de sept lieues, bousculant au passage lois et coutumes, cherchant la bagarre et l’obtenant, vous êtes pour nous un morceau de roi. Et je connais plus d’un confrère (à part ceux que vous, vous connaissez) qui seraient franchement désolés si vous veniez (à Dieu ne plaise) à quitter le pouvoir. Donc, pour votre cote d’amour, vous n’avez rien à craindre. Reste à vous débarrasser de votre complexe de persécution et à essayer, dans la mesure du possible, de ne pas mettre les deux pieds dans le plat en même temps. Après le “plouf” retentissant que vous a valu l’interdiction de l’interview du général Michel Aoun sur la MTV, voilà que vous rééditez l’exploit - à peine un mois plus tard - par la bourde Najah Wakim sur la LBC. Tout le monde - au Liban et en dehors du Liban - connaît les opinions du député de Beyrouth. Ce qu’il a à dire sur le gouvernement, le chef du gouvernement, les ministres, certains hauts responsables dans l’administration et la magistrature, il l’a dit et répété des centaines de fois au parlement, dans la presse libanaise et étrangère, dans des termes qui laissent peu à l’imagination et son passage sur satellite n’aurait ni renversé le gouvernement, ni bouleversé les données de la politique régionale. Vous n’aviez pas de raisons d’avoir peur. Vous n’aviez surtout pas besoin, pour parachever l’image de repoussoir que se donne volontiers le pouvoir, de l’intervention intempestive et grinçante du peu charismatique Sanioura. De plus, le simple fait de vouloir soumettre ce talk show à une censure préalable a fait bondir l’audimat de la LBC de 50 à presque 100%, laissant sur la touche toutes les autres stations, y compris celles câblées. C’était malin, ça! Franchement, monsieur le président, avec des ennemis comme vous, on n’a vraiment pas besoin d’amis. Enfin, une dernière remarque. Dans une récente déclaration, vous soulignez avec ironie le “fait étrange” que la presse n’a fait aucun commentaire à propos de la loi amnistiant les trafiquants de drogue. Encore une fois, monsieur le Premier ministre, vous êtes partiellement mal informé par vos collaborateurs. Les organes de presse ont-ils commenté cette mesure si infâmante pour ceux qui l’ont votée? Chacun est libre de répondre ou de garder le silence. Ce que nous en savons, c’est que nous, ici, dans cette même page, nous avons, sans mettre des gants, accusé les députés de faire preuve d’une permissivité douteuse qui, en dépénalisant un monstrueux trafic, les rend - en puissance sinon en fait - complices des trafiquants, marchands de mort et producteurs d’overdoses et de sida. Nous, nous l’avons fait. Mais vous, monsieur le président, vous qui avez la charge et le devoir de protéger la vie et la santé de ceux que vous gouvernez, vous, si prompt à clouer les médias au pilori, l’avez-vous fait? La loi scélérate ne porte-t-elle pas - entre autres - votre signature? Pour jeter la pierre et même d’autres pierres, il faut être sans péché. L’êtes-vous? |
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