PORTE-PAROLE DES HABITANTS DE LA ZONE FRONTALIÈRE OCCUPÉE
Me SALIBA EL-HAGE PLAIDE EN FAVEUR D’UNE LOI D’AMNISTIE
POUR CRIME DE “COLLABORATION AVEC L’ENNEMI”

 
Vingt-deux ans d’occupation israélienne de la zone frontalière l’ont coupée du reste du Liban et du monde. Réduites au contact individuel, les relations entre les deux parties du Liban (occupée et libre) se sont détériorées, ce qui a eu pour effet d’appauvrir complètement la région occupée. Toutes les ressources économiques sont coupées. Nul ne peut “importer” ou “exporter” ses produits tant agricoles, industriels, qu’artisanaux, même si tout Libanais pouvait franchir les barrages et se rendre en zone libre.
Quelle instance libanaise peut assurer la liberté à ces gens soupçonnés de collaborer avec l’ennemi, alors que vingt-deux ans de cohabitation forcée et de coupure avec la partie libre du Liban ont rendu nécessaires les échanges entre l’occupant et les habitants libanais pour assurer leur survie?
Aux yeux de la loi, tout Libanais s’étant rendu en pays ennemi sans autorisation préalable du gouvernement (article 285 du code pénal), ou ayant procédé à des échanges commerciaux avec l’ennemi (article 7), est un criminel passible d’un an de prison pour sa forfaiture.
Des conditions de vie bien difficiles donc pour les habitants de la région frontalière. Afin d’améliorer les relations entre les Libanais et de les rapprocher, un groupe de personnes, originaires des villages sudistes occupés, habitant la partie libre du pays, ont décidé de plaider auprès du chef du Législatif, M. Nabih Berri, en faveur d’une loi d’amnistie pour les Sudistes ayant collaboré avec Israël et commis des crimes sans aucun rapport avec la sécurité et la politique du pays.
A ce sujet et pour tirer les choses au clair, “La Revue du Liban” a rencontré Me Saliba El-Hage qui présidera la délégation chargée de plaider la cause des pseudo-collaborateurs auprès du président Berri. Lui-même originaire de Rmeiche, village maronite de cinq mille habitants, Me El-Hage vit à Beyrouth où sa profession et ses affaires le retiennent.

DES FEMMES ET DES PERSONNES ÂGÉES
- Me El-Hage, quel est le but exact de votre démarche?
“Nous voulons venir en aide aux personnes ayant été obligées, pour survivre, d’avoir des relations avec Israël. Beaucoup de nos compatriotes se sont rendus en pays ennemi au cours des vingt-deux dernières années, afin de chercher du travail et d’assurer les vivres à leur famille, les ressources en zone frontalière occupée étant très réduites et insuffisantes.
“La plupart d’entre eux, des femmes, ou des hommes âgés font face à de nombreux problèmes de santé.
“Avant 1990, date à laquelle le gouvernement libanais a pu instaurer l’ordre dans la région libre, les habitants de la région frontalière se rendaient en Israël pour se faire soigner. Aujourd’hui, s’ils veulent se rendre en région libre pour la même raison, ils sont saisis par les forces de l’ordre et jugés selon l’article 285 du code pénal.
“Alors, ils préfèrent rester chez eux et ne pas risquer la prison, malgré leur santé défaillante. Notre but est, uniquement d’ordre humanitaire et ne se rapporte, ni de près ni de loin, à la sécurité de l’Etat.”

PLACER TOUS LES CITOYENS SOUS L’AILE DE L’ÉTAT
- Qui peut garantir que certains de ces gens ne puissent s’infiltrer et mettre en danger la sécurité du pays, le jour où ils auront la possibilité de circuler en zone libre?
“Ces personnes n’ont commis qu’un seul crime, celui de violer et, parfois, sans même le savoir, les articles 285 et 7 du code pénal. Les autres, ceux qui ont enfreint les articles 283, 284 et 275 se rapportant à la sécurité de l’Etat et à l’armée, sont entièrement responsables de leurs actes; notre démarche ne les concerne donc en aucun cas.
“Nous voulons, non légaliser la collaboration avec Israël, mais plutôt placer sous l’aile protectrice de l’Etat tous les Libanais, qu’ils vivent en territoire libre ou occupé et que l’Etat amnistie ceux qui demandent à en bénéficier, surtout dans les cas où ils ne portent aucun préjudice à la sécurité du Liban.”

- Si les relations ont été coupées entre les deux parties du pays, comment être sûr que ceux qui bénéficieront de l’amnistie ne mettront pas en danger la sécurité nationale?
“Ces gens étant des ouvriers et des civils, l’Etat doit en principe disposer de la liste des collaborateurs.
“Ceux qui n’ont rien fait de repréhensible et n’ont pas collaboré avec l’ennemi, politiquement ou militairement, ne doivent donc pas craindre de se mettre sous l’aile protectrice de l’Etat.”

- Qu’est-ce qui vous a encouragé à entreprendre ces démarches?
“Notre démarche est individuelle et vient du fait que nous connaissons les malheurs de nos compatriotes dans la région frontalière. Moi-même en tant qu’avocat, je reçois beaucoup de cas à défendre de personnes - que je considère comme innocentes - ayant été appréhendées par les forces de l’ordre à leur entrée en région libre.
“Ces personnes sont venues à Beyrouth pour consulter des médecins compétents, se faire hospitaliser ou, tout simplement, travailler pour assurer la survie de leurs familles.”

SITUATION PLUS QUE DRAMATIQUE
- La situation est-elle si dramatique?
“Et même plus que cela. En deux mois, treize malades cardiaques devaient se faire opérer. Qui peut garantir que s’ils viennent à Beyrouth pour se faire hospitaliser, ils ne seront pas conduits en prison? Certains d’entre eux bravent ce risque; d’autres craignent pour les répercussions sur leur famille restée au village. Ceux-ci se laissent plutôt mourir.”

- Croyez-vous que cette proposition de loi sera accueillie favorablement en milieu parlementaire et que pensez-vous de la réaction probable de la Résistance?
“Du point de vue humanitaire, on ne peut ignorer notre requête mais, politiquement, celle-ci peut soulever des remous et sûrement des objections.
“Nous espérons qu’en sa qualité de chef du “bloc parlementaire de la libération”, le président Nabih Berri adoptera notre proposition de loi.
“Lui-même n’a-t-il pas invité tout soldat de l’“Armée du Liban-Sud” voulant porter le drapeau blanc, à rallier la partie libre du pays?
“Les habitants vivent dans une angoisse constante. Leurs lendemains ne sont jamais sûrs, il faut absolument faire quelque chose en leur faveur. Ne sont-ils pas des Libanais après tout et n’ont-ils pas les mêmes droits que leurs compatriotes selon la Constitution?”

MONOCULTURE...
- Quelles sont exactement les ressources des habitants de la région frontalière?
“Depuis quelque temps, l’unique transport de produits se faisant de la région occupée en région libre, est le tabac, la Régie libanaise ayant encouragé cette culture. Mais ces ressources équivalent au salaire minimum et tout le monde là-bas n’a pas la possibilité de s’y adonner. Ils sont donc obligés de procéder à des échanges commerciaux avec Israël, jusqu’à la libération des territoires occupés.”

(Propos recueillis par HÉLÈNE RECHMANY)

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