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À L’HEURE DES AGAPES
 
Les conseillers de M. Hariri, soucieux de sa popularité, lui auraient recommandé de ne plus ignorer les attaques de ses détracteurs et de répondre, désormais, du tac au tac. Le chef du gouvernement a tout de suite donné le ton au cours du premier Iftar qu’il offrait chez lui à l’occasion du début du Ramadan. Il a carrément annoncé qu’il avait l’intention, à partir de maintenant, de répliquer et “de remettre chacun à sa place”. Il en serait ainsi à chaque Iftar, car il compte en offrir presque tous les soirs du mois du jeûne.
On serait ainsi entré dans une ère de polémiques. C’est, hélas! le plus mauvais conseil qu’on pouvait donner, en ce moment, au chef du gouvernement.
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Ce que ses conseillers ne semblent pas avoir compris, c’est que le problème n’est pas, aujourd’hui, la popularité personnelle du chef du gouvernement (encore qu’il ne soit pas sûr que cette popularité serait mieux servie par la polémique); le problème actuel est celui de cette réconciliation nationale promise depuis Taëf et dont les données et les conditions ne sont pas encore maîtrisées par les détenteurs du pouvoir (lesquels ont besoin périodiquement de se réconcilier d’abord entre eux). On n’en veut pour preuve que cette situation la plus voyante sur laquelle tout le monde est d’accord: le retour des déplacés dans ces villages mixtes de la montagne à qui on a promis qu’on y rétablirait une traditionnelle convivialité.
Sept ans n’ont pas suffi pour financer cette politique, aujourd’hui, en panne faute d’argent alors que des projets somptueux de construction ont été exécutés et qu’on continue d’en élaborer d’autres dont personne ne voit l’urgence. Faut-il rappeler aussi les problèmes sociaux et agricoles depuis longtemps négligés dans la Békaa, par exemple?
Engager maintenant une polémique pour justifier une politique aussi contraire aux objectifs qu’on s’assignait, n’est-ce pas ajouter aux motifs d’inquiétude devant ces défaillances et ces contradictions, une nouvelle cause de division?
S’agit-il de creuser le fossé pour retrouver une popularité auprès d’un électorat particulier? Ou, au contraire, de combler ce fossé pour rebâtir un pays uni? Et si, ce faisant, on retrouve, par voie de conséquence, une popularité à l’échelle nationale, nul ne s’en plaindrait.
C’est bien ce que les conseillers de M. Hariri auraient pu lui suggérer. Mais apparemment, c’est trop tard. Et si le chef du gouvernement s’engage plutôt dans la polémique, on pourrait en conclure qu’il ne croit pas pouvoir faire plus que ce qu’il a fait jusqu’ici. Ce n’est plus qu’un combat d’arrière-garde. C’est dommage.

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Evidemment, le chef du gouvernement n’est pas seul en cause. C’est tout le fonctionnement du pouvoir et des institutions qui est impliqué dans cet échec d’une politique de réconciliation nationale.
A cet égard, il ne suffit pas de parler de la responsabilité des trois chefs devenus presque inamovibles du Législatif et de l’Exécutif. Cette responsabilité est partagée par les ministres d’abord, soit qu’ils s’expriment et donnent du pouvoir une image incohérente, soit qu’ils préfèrent, comme la majorité des députés, se taire et continuer à tirer un profit personnel de leur situation.
C’est une véritable complicité dans l’aveuglement.
L’année nouvelle, qui est celle de l’échéance du mandat présidentiel, commence ainsi dans une atmosphère de liquidation de comptes. C’est ce que signifie, d’abord, ce brusque sursaut du chef du gouvernement pour répondre à toutes les critiques, en prenant à témoins ses convives aux agapes du Ramadan. Ce n’est évidemment pas là le lieu indiqué pour un débat politique: quand on a l’honneur de dîner à la table du chef du gouvernement, on est mal placé pour lui donner la contradiction. C’est à la Chambre que, normalement, ce débat est censé s’engager et se conclure. Mais visiblement, M. Hariri veut l’ignorer. On l’a bien constaté aux dernières séances parlementaires de questions et d’interpellations: il avait fallu que le président de la Chambre exige haut et fort la présence de M. Hariri. Et quand celui-ci a consenti à siéger, ce fut pour donner aux députés des réponses vagues, faites de généralités qui n’ont satisfait personne. Tout s’est passé comme si, pour lui, le débat se situait désormais ailleurs.
Le fameux slogan qu’on nous assène depuis sept ans, l’Etat des institutions, est bel et bien oublié.
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Sur quel chemin est-on en train de s’engager ainsi?
Encore une fois, il devrait être bien clair que ce qui est en cause, ce n’est pas M. Hariri et sa popularité, pas plus que M. Berri et son influence personnelle. Il s’agit de l’Etat, de ses institutions et d’un peuple qui a manifesté, à plus d’une occasion, au cours de l’année écoulée, qu’il n’aspire qu’à vivre dans la dignité, dans la liberté et dans l’unité.
Lui en donner les moyens, c’est toute la politique qui, seule, devrait orienter l’action des pouvoirs publics.
M. Hariri a déclaré, le soir de son premier Iftar, qu’il s’était appliqué à “s’élever au-dessus des polémiques afin de ne pas aggraver les problèmes; mais il est apparu, a-t-il ajouté, que cette attitude n’a pas donné les résultats espérés.” Alors, désormais, il répliquera.
Au risque d’aggraver les problèmes?
Et à qui appartiendrait, alors, de résoudre ces problèmes?... 

 
 
 

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