De tous temps, la stabilité économique
a servi de cheval de bataille contre usuriers et usurpateurs, quels qu’ils
soient et d’où qu’ils viennent. Les dérapages et les excès
d’endettements vont à l’encontre de toute stabilité économique.
L’ère des illusions est révolue. Lorsque les gérants
de la finance publique défendent astucieusement la monnaie, ils
auront défendu en même temps l’économique, le social,
le moral et le politique qui constituent la crédibilité de
l’Etat de droit.
Au Liban, nous sommes, que nous le voulions ou pas, concernés
par toutes les convulsions politiques, économiques et financières
dans le monde. Leurs répercussions nous affectent en premier. La
crise asiatique dont nous devons tirer la leçon, est un signal d’alarme
inquiétant d’une crise écono-mique globale. Prenons-y garde,
avant d’être saisis à l’improviste. Un code de conduite budgétaire
et monétaire s’avère indispensable, ainsi que davantage de
transparence sur la réalité de notre économie.
***
L’Occident et le Fonds monétaire international ont beau nous
rassurer, la bulle asiatique a quand même éclaté. Le
programme d’ajustement élaboré, à cet effet, va-t-il
pouvoir contenir l’érosion? Il y a grand risque que cette tempête
emporte avec elle les économies fragilisées, telle la nôtre.
A en croire les experts en la matière qui suivent de près
ce processus, l’effondrement financier des pays asiatiques, n’est qu’un
prélude. Une longue et profonde récession doublée
d’une faillite bancaire généralisée difficilement
contrôlable, sévit dans ces pays, que l’on croyait invulnérables.
Le plus redoutable serait que les deux “Dragons”, Chine populaire et Corée
du Sud, rejoignent de sitôt le Japon sur le long chemin de la déflation.
Les causes de cette forte dépression ne nous sont pas étrangères;
nous les suivons de très près. Depuis plus d’un an, les pays
asiatiques se trouvent au bord de la faillite: investissements excessifs,
contrairement aux Etats-Unis où les excès sont dans la consommation,
ce qui est déjà suffisant pour les plonger dans une dépression
économique difficile à contenir.
Le plan de sauvetage du Fonds monétaire international s’avère
insuffisant pour les cinq pays touchés par la crise: Thaïlande,
Philippines, Indonésie, Corée du Sud et Malaisie. Il prévoit
150 milliards de dollars pour tout le bloc, alors que rien que les dettes
bancaires à court terme, équivalent à ce montant,
le manque de liquidités pour le règlement des dettes extérieures
dont les montants sont exorbitants, dépassant de loin leur capacité.
Si la confiance n’est pas rétablie, la cessation de paiement peut
intervenir à tout moment et la marge des gouvernements concernés
serait très réduite. Les problèmes internes dont souffrent
les pays asiatiques sont pire que ceux dont souffrait le Japon en 1990,
qui, pour relever le défi, a dû réduire les taux d’intérêts
grâce à une balance de paiement excédentaire et une
transfusion de liquidités pour arrêter l’hémorragie.
Or, le tandem Chine populaire-Corée du Sud, a une balance de
paiement excessivement faible, pour pouvoir contrôler leurs taux
d’intérêts, donc de leur monnaie, actuellement 25% contre
1% au Japon. Ce qui fait qu’ils sont des débiteurs internationaux
redoutables à tous égards. Même si certains économistes
affirment que ces pays ont des “fondamentaux” solides (épargne,
investissement, productivité), leurs conditions monétaires
sont épouvantables, comparables à celles qui ont engendré
la crise économique mondiale des années 30.
Le Dr Kurt Richerbacher, une éminence en matière économique
et spécialiste de la finance, atteste que la crise asiatique est
un signe avant-coureur d’une crise économique planétaire
à prendre au sérieux. Le Japon dit-il, est entré dans
une déflation qui n’est pas cyclique, mais structurelle.
Dès que le stimulant fiscal a été retiré,
l’économie a replongé immédiatement dans la récession.
Malgré ces excellents fondamentaux, et ces taux d’intérêts
ultrabas, l’économie japonaise serait en dépression. Et d’ajouter,
en France et en Allemagne, la politique monétaire des taux bas n’a
pas mieux fonctionné qu’au Japon, sauf pour le boom des marchés
financiers. En effet, où en seraient les économies françaises
et allemandes sans le puissant support de la hausse des exportations? Ne
seraient-elles pas en déflation?
Face à ces avalanches asiatiques et européennes, l’économie
mondiale est-elle prise entre le marteau de l’inflation et l’enclume de
la déflation? La crise asiatique marque-t-elle le début de
ce processus déflationniste?
L’Amérique peut-elle résorber cette dépression
à multiples facettes et limiter les dégâts?
Il semble que le douloureux processus d’ajustement structurel des économies
asiatiques est inévitable. Si les réserves financières
du FMI sont insuffisantes et la politique monétaire des Banques
centrales impuissante, que reste-t-il entre les économies occidentales,
fragilisées et la crise asiatique?
A vrai dire, il n’y a que l’expansion américaine qui puisse
éviter à l’économie mondiale une dépression
fatale. Le destin du monde se joue en Amérique, si Wall Street cède,
l’économie mondiale est ébranlée. Les pays asiatiques
n’ont qu’une seule issue: réduire leurs investissements et augmenter
leurs exporta-tions. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de les absorber,
l’Europe, certainement pas, à condition que la croissance américaine
continue. Que devrions-nous retenir au Liban de ce cercle vicieux de la
contraction économique en Asie? Les fondamentaux nécessaires
pour qu’une économie soit saine, sont les coefficients d’épargne,
les coefficients d’investisse-ments, les ratios de productivité
et la balance des paiements. Ils sont à respecter pour nous épargner
une quelconque débâcle dont les répercussions seraient
catastrophiques. Il est grand temps surtout, de songer à la restauration
de la monnaie nationale, qui est en fait le pôle d’attraction par
excellence pour les capitaux libanais en émigration et les investisseurs
étrangers pour qui, le Liban fût jadis un lieu privilégié.
Une fois réhabilitée, l’épargne reprendrait son essor,
et féconderait intensément la productivité. Le pouvoir
d’achat des Libanais cesserait d’être un mirage cruel, actuellement
parmi les plus bas mondialement, et deviendrait l’obsession d’un Liban
décidé à ouvrir les voies à une économie
de paix ambitieuses.
Quand les plus forts d’entre nous viendront carrément à
la rescousse de la monnaie nationale, les autres, sans nul doute les suivront.
Dans l’intérêt du bon fonctionnement à plus long terme
des marchés financiers, il est impératif que le secteur privé
joue son plein rôle dans la solution des crises. Un peuple qui vit
dans la hantise des débâcles monétaires et les méandres
de la politique est un peuple qui se suicide. A bon entendeur... |
“Un pays sain, une économie saine, ne peuvent jamais
s’accommoder d’une monnaie défaillante, d’une dette publique incontrôlable.”
Antoine Pinay
(Premier ministre sous la IVe République)
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