Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

LES ONDES DE CHOC DE LA CRISE ASIATIQUE

De tous temps, la stabilité économique a servi de cheval de bataille contre usuriers et usurpateurs, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Les dérapages et les excès d’endettements vont à l’encontre de toute stabilité économique. L’ère des illusions est révolue. Lorsque les gérants de la finance publique défendent astucieusement la monnaie, ils auront défendu en même temps l’économique, le social, le moral et le politique qui constituent la crédibilité de l’Etat de droit.
Au Liban, nous sommes, que nous le voulions ou pas, concernés par toutes les convulsions politiques, économiques et financières dans le monde. Leurs répercussions nous affectent en premier. La crise asiatique dont nous devons tirer la leçon, est un signal d’alarme inquiétant d’une crise écono-mique globale. Prenons-y garde, avant d’être saisis à l’improviste. Un code de conduite budgétaire et monétaire s’avère indispensable, ainsi que davantage de transparence sur la réalité de notre économie.
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L’Occident et le Fonds monétaire international ont beau nous rassurer, la bulle asiatique a quand même éclaté. Le programme d’ajustement élaboré, à cet effet, va-t-il pouvoir contenir l’érosion? Il y a grand risque que cette tempête emporte avec elle les économies fragilisées, telle la nôtre.
A en croire les experts en la matière qui suivent de près ce processus, l’effondrement financier des pays asiatiques, n’est qu’un prélude. Une longue et profonde récession doublée d’une faillite bancaire généralisée difficilement contrôlable, sévit dans ces pays, que l’on croyait invulnérables. Le plus redoutable serait que les deux “Dragons”, Chine populaire et Corée du Sud, rejoignent de sitôt le Japon sur le long chemin de la déflation. Les causes de cette forte dépression ne nous sont pas étrangères; nous les suivons de très près. Depuis plus d’un an, les pays asiatiques se trouvent au bord de la faillite: investissements excessifs, contrairement aux Etats-Unis où les excès sont dans la consommation, ce qui est déjà suffisant pour les plonger dans une dépression économique difficile à contenir.
Le plan de sauvetage du Fonds monétaire international s’avère insuffisant pour les cinq pays touchés par la crise: Thaïlande, Philippines, Indonésie, Corée du Sud et Malaisie. Il prévoit 150 milliards de dollars pour tout le bloc, alors que rien que les dettes bancaires à court terme, équivalent à ce montant, le manque de liquidités pour le règlement des dettes extérieures dont les montants sont exorbitants, dépassant de loin leur capacité. Si la confiance n’est pas rétablie, la cessation de paiement peut intervenir à tout moment et la marge des gouvernements concernés serait très réduite. Les problèmes internes dont souffrent les pays asiatiques sont pire que ceux dont souffrait le Japon en 1990, qui, pour relever le défi, a dû réduire les taux d’intérêts grâce à une balance de paiement excédentaire et une transfusion de liquidités pour arrêter l’hémorragie.
Or, le tandem Chine populaire-Corée du Sud, a une balance de paiement excessivement faible, pour pouvoir contrôler leurs taux d’intérêts, donc de leur monnaie, actuellement 25% contre 1% au Japon. Ce qui fait qu’ils sont des débiteurs internationaux redoutables à tous égards. Même si certains économistes affirment que ces pays ont des “fondamentaux” solides (épargne, investissement, productivité), leurs conditions monétaires sont épouvantables, comparables à celles qui ont engendré la crise économique mondiale des années 30.
Le Dr Kurt Richerbacher, une éminence en matière économique et spécialiste de la finance, atteste que la crise asiatique est un signe avant-coureur d’une crise économique planétaire à prendre au sérieux. Le Japon dit-il, est entré dans une déflation qui n’est pas cyclique, mais structurelle.
Dès que le stimulant fiscal a été retiré, l’économie a replongé immédiatement dans la récession. Malgré ces excellents fondamentaux, et ces taux d’intérêts ultrabas, l’économie japonaise serait en dépression. Et d’ajouter, en France et en Allemagne, la politique monétaire des taux bas n’a pas mieux fonctionné qu’au Japon, sauf pour le boom des marchés financiers. En effet, où en seraient les économies françaises et allemandes sans le puissant support de la hausse des exportations? Ne seraient-elles pas en déflation?
Face à ces avalanches asiatiques et européennes, l’économie mondiale est-elle prise entre le marteau de l’inflation et l’enclume de la déflation? La crise asiatique marque-t-elle le début de ce processus déflationniste?
L’Amérique peut-elle résorber cette dépression à multiples facettes et limiter les dégâts?
Il semble que le douloureux processus d’ajustement structurel des économies asiatiques est inévitable. Si les réserves financières du FMI sont insuffisantes et la politique monétaire des Banques centrales impuissante, que reste-t-il entre les économies occidentales, fragilisées et la crise asiatique?
A vrai dire, il n’y a que l’expansion américaine qui puisse éviter à l’économie mondiale une dépression fatale. Le destin du monde se joue en Amérique, si Wall Street cède, l’économie mondiale est ébranlée. Les pays asiatiques n’ont qu’une seule issue: réduire leurs investissements et augmenter leurs exporta-tions. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de les absorber, l’Europe, certainement pas, à condition que la croissance américaine continue. Que devrions-nous retenir au Liban de ce cercle vicieux de la contraction économique en Asie? Les fondamentaux nécessaires pour qu’une économie soit saine, sont les coefficients d’épargne, les coefficients d’investisse-ments, les ratios de productivité et la balance des paiements. Ils sont à respecter pour nous épargner une quelconque débâcle dont les répercussions seraient catastrophiques. Il est grand temps surtout, de songer à la restauration de la monnaie nationale, qui est en fait le pôle d’attraction par excellence pour les capitaux libanais en émigration et les investisseurs étrangers pour qui, le Liban fût jadis un lieu privilégié. Une fois réhabilitée, l’épargne reprendrait son essor, et féconderait intensément la productivité. Le pouvoir d’achat des Libanais cesserait d’être un mirage cruel, actuellement parmi les plus bas mondialement, et deviendrait l’obsession d’un Liban décidé à ouvrir les voies à une économie de paix ambitieuses.
Quand les plus forts d’entre nous viendront carrément à la rescousse de la monnaie nationale, les autres, sans nul doute les suivront. Dans l’intérêt du bon fonctionnement à plus long terme des marchés financiers, il est impératif que le secteur privé joue son plein rôle dans la solution des crises. Un peuple qui vit dans la hantise des débâcles monétaires et les méandres de la politique est un peuple qui se suicide. A bon entendeur...

 
 “Un pays sain, une économie saine, ne peuvent jamais s’accommoder d’une monnaie défaillante, d’une dette publique incontrôlable.”

Antoine Pinay
(Premier ministre sous la IVe République)
 

 

  

 


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